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L’eau des villes et l’eau des champs

Le Sahel en proie à la sécheresse, les sociétés impérialistes précipitées vers l’abîme par leurs propres systèmes, l’avaient soutenu pour mieux s’ancrer en y déversant tous leurs excédents, par des voies humanitaires, alors que des milliers d’enfants s’intoxiquaient malgré cela. Nous voulons de l’eau, rien que de l’eau. Cherchons l’eau. Trouvons l’eau. L’eau est là. Ken Bugul «Cendres et braises »

On a vu au chapitre 6 qu’on observait une « intensification » des précipitations, depuis le milieu de la décennie 2001-2010 en Afrique de l’Ouest ; elle ne s’est pas encore traduite, sauf très localement, par un dépassement des valeurs de précipitations maximales en 24 h qu’on observait durant les décennies humides 1950-1970. Et on manquait d’observations pour affirmer que les intensités horaires ont évolué dans le même sens. Ce n’est que tout récemment que Panthou et al, (2018) ont mis en évidence une augmentation sensible des intensités horaires. Par contre, on a observé une forte augmentation des inondations en zone) urbaine. Certaines, comme les inondations, devenues récurrentes, de la rive droite de la ville de Niamey (quartier Haro Banda) sont liées à la crue d’un cours d’eau (le Niger dans ce cas). Mais les épisodes récents à Niamey (30 avril 2004), à Ouagadougou (1er septembre 2009), à Dakar (26 août 2012) ou à Bamako (30 août 2013) ne doivent rien à la présence d’un fleuve ; elles sont liées à la conjonction d’une forte pluie tombée sur un secteur rendu peu perméable par l’urbanisation. En plus de diminuer l’infiltrabilité des sols et des terroirs, l’urbanisation est aussi en cause, en aval, car elle se fait souvent dans des secteurs réputés inondables, ce que souvent, la mémoire populaire et collective avait oublié…..

Les récentes inondations à la fin du mois d’août 2013, de Bamako puis, trois jours après, à Niamey, sont très différentes dans leur origine ; la première est indéniablement une crue « urbaine », donc pluviale (due aux apports d’eau de pluie), la seconde une crue d’origine « rurale » et de fait, fluviale (débordement d’un fleuve). Ces dernières sont en grande partie liées aux changements d’occupation des sols (Descroix et al., 2012 ; Descroix et al., 2013) ; ainsi elles ont touché Niamey fin août 2013, pour la troisième fois en quatre saisons (août 2010, août 2012, Août-septembre 2013) ; dans le cas des crues de 2010 et 2013, la pluviométrie était excédentaire mais pas exceptionnelle. Cette nouvelle série de crues « rurales » avait commencé en 2007 avec les inondations qui avaient causé de gros dégâts en zone rurale au nord Ghana et Togo et sud du Burkina Faso (Tschakert et al., 2010). Bien plus au Nord, la ville d’Agadès était

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victime, le 1er septembre 2009, d’une inondation liée à la rupture d’une digue protégeant la ville, et l’oued Teloua a envahi la ville, reprenant son cours naturel.

Comme on l’a évoqué à la fin du chapitre 6, c’est par contre par l’inondation, deux mois avant le début de la mousson, de quartiers entiers de Niamey (le 28 avril 2004) qu’avait été initiée la série en cours des crues « urbaines ». Ce jour-là, plus de 130 mm étaient tombés en quelques heures sur les quartiers nord de Niamey, et les bas-fonds descendant vers le fleuve Niger avaient été littéralement balayés, comme ceux de Bamako le 30 août 2013. Puis, le 1er septembre 2009, c’est Ouagadougou qui a été littéralement submergée par un épisode exceptionnel, de période de retour probablement bien au dessus de 100 ans (Karambiri, 2009) ; ce jour-là certains quartiers ont reçu plus de 270 mm en une dizaine d’heures. En aout 2013, la ligne de grains qui était à l’origine de la crue urbaine de Bamako, a ensuite causé des inondations sans précédent dans les zones basses du Sine et Saloum avec des cumuls de plus 300 mm en deux jours (alors que la capitale du Mali n’avait reçu que 85 mm de pluie).

On s’intéressera dans la première partie de ce chapitre à l’inondation qu’ont subi les quartiers Nord de Dakar le 26 août 2012 ; l’épisode a été marqué par une très forte intensité, comme l’a noté Dacosta (2012), puisque plus de 140 mm sont tombés en une cinquantaine de minutes à l’aéroport de Yoff. La hauteur précipitée totale en deux heures et demi est de 161 ou 168 mm suivant le capteur, ce qui en fait le deuxième plus fort cumul journalier jamais enregistré à Dakar depuis 1896 (ouverture de la station), le record étant toujours détenu par une précipitation de 214 mm en 1932. La pluie a été inégalement répartie ; en effet les départements de Pikine et Guédiawaye dans la banlieue de Dakar n’ont enregistré que 40 et 39 mm respectivement (Diallo, 2013), le site IRD de Hann 60 mm. C’est vraiment le cap formé par la pointe des Almadies et le nord du Cap Vert qui ont été le plus intensément touchés.

Ensuite on verra que cet évènement, s’il constitue un record pour la station de Yoff, n’est pas isolé et semble simplement témoigner d’une augmentation de l’occurrence des évènements pluvieux de fort cumul journalier, qui a occasionné d’autres inondations urbanines ces toutes dernières années.

Une urbanisation pas toujours contrôlée, un drainage imparfait

Il faut un épisode d’une telle intensité pour expliquer qu’un site tel que la ville de Dakar, surplombant la mer de ses corniches de basalte ait été à ce point inondé.

Le Cap Vert, site occupé par la ville de Dakar, est assez particulier ; il est situé à l’extrémité ouest du continent africain, sur une presqu’île en partie basaltique (figures 1 et 2). Il s’agit en fait d’une sorte d’immense tombolo double reliant une ancienne île basaltique (du quartier du Plateau à la pointe des Almadies). Il est dominé par deux ensembles de hauteurs d’origine volcanique : au sud le Plateau qui aboutit au Cap Manuel, est un ensemble de terrains volcaniques oligo-miocène, essentiellement basaltique, qui se prolonge sur l’île de Gorée et les Iles de la Madeleine. La pointe occidentale et la Corniche Ouest sont constituées d’autres terrains volcaniques plus récents (Pléistocène) constituant un littoral rocheux d’où dépassent les deux Mamelles. Ces hauteurs dominent une dépression intermédiaire et tous les espaces plus proches du continent, constitués en grande partie de matériaux sableux posés sur les roches

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sédimentaires tertiaires sur lesquelles se sont constituées ces flèches de sable rattachant les hauteurs volcaniques au continent africain.

Cette situation avancée dans l’océan confère à Dakar un climat jugé agréable car bien plus frais que le Sahel intérieur, du fait du passage presque permanent d’un alizé du nord-est le plus souvent océanique (frais), plus rarement provenant du Sahel (sec et chaud) (Figure 1).

Le nord du « tombolo » est constitué d’une rangée de dunes assez élevées sur lesquelles s’est construite dans les années 1975-1985 la ville nouvelle de Pikine, destinée à désengorger le bout de la presqu’île (Figure 2).

Ceci étant, la ville de Dakar et celle de Pikine, bien individualisées dans les années 1980, ont fait leur jonction depuis. Si l’on ne tient pas compte des zones inconstructibles, c’est-à-dire l’aéroport de Yoff et les « Niayes » ces zones humides et lacs liés à l’affleurement des nappes dans les espaces inter-dunaires de la presqu’île, tout l’espace du Cap Vert est à présent entièrement urbanisé. Même si la trame viaire a été adaptée dès le début à la croissance attendue de la ville, avec l’emplacement réservé de grands axes de communication, en particulier pour entrer et sortir de la presqu’île, il est possible que les canaux de drainage n’aient pas été prévus en nombre suffisant. La partie ouest de la ville a pourtant connu au début des années 1980 le creusement de canaux de drainage longs et profonds qui entaillent le plateau basaltique pour déboucher sur la corniche ouest par des entailles morcelant la partie ouest de l’agglomération : le canal 4 (quartier de Fann) et le canal Gueule Tapée sont creusés localement de près de 10 m ; étant sur de grandes sections à ciel ouvert, ils peuvent aussi poser des problèmes sanitaires (figure 3). La partie « nouvelle » de l’agglomération a par ailleurs été construite autour de ces « Niayes » (Pikine, Guediawaye, Parcelles Assainies, Cambérène, Golf, Malika), et encerclent ces dépressions. De ce fait, l’habitat spontané s’installe dans les interstices inondables, le nombre d’habitations évoluant rapidement au détriment des dunes et végétations naturelles (Mbow et al , 2008 pour le cas d’étude de Yeumbeul). Cependant le 26 août 2012, ce secteur habituellement très sensible aux inondations a reçu beaucoup moins d’eau que le secteur de l’aéroport, et a de ce fait été bien moins touché.

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Figure 1. Localisation du Cap Vert ; 1a- à gauche carte du Sénégal indiquant les postes pluviométriques cités et la localisation de l’encart ; 1b-à droite, zoom sur la presqu’île du Cap Vert.

Même si c’est dans sa partie ouest qu’il est le plus impressionnant (car taillé dans le basalte) tout le réseau de drainage (figure 3) a été dimensionné pour des pluies telles que celles du 26 août 2012 (120 mm en une heure –comm pers de M Ousmane Dione, de l’ONAS, Office National de l’Assainissement, Dakar), mais nous avons pu constater que parfois les canaux sont bouchés ou encombrés, réduisant leur débit potentiel. De fait, comme on le constate chaque année quelques semaines avant l’hivernage, les canaux à ciel ouvert servent fréquemment de dépotoirs, obligeant les autorités de la ville à faire procéder à un curage annuel de ces canaux, de manière à ce qu’ils puissent jouer leur rôle durant la saison des pluies.

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Figure 3 : zones humides, zones inondables et réseau de drainage du Cap Vert

Dans la partie nord de la ville de Dakar, le terrain de la Foire de Dakar a été loti en 2010 et 2011 et des constructions se sont très vite établies sur ces terrains de bas-fonds. Or le canal à ciel ouvert qui, après avoir ceint la foire, drainait le quartier vers le nord en longeant à l’est l’enceinte aéroportuaire, a été délaissé, ou pire, comblé, lors de la construction du quartier Ouest Foire (après 1997) ; de ce fait la foire et ses abords devenaient une immense zone inondée lors des pluies de forte intensité (figure 4) : un nouveau drain y a toutefois été creusé après coup, et avant l’hivernage 2014. Cependant, en août 2012, l’intensité de la précipitation avait provoqué stagnation de l’eau et inondation y compris dans des quartiers mieux drainés comme, plus près du centre-ville, auprès de la Grande Mosquée de Dakar. Les rez-de-chaussée des bâtis ainsi que les chaussées ont particulièrement souffert de cet épisode exceptionnel.

Un évènement particulièrement intense à Dakar

La pluie survenue le 26 Août 2012 dans la matinée à Dakar a été à l’origine de la plus grande inondation survenue à Dakar durant ces vingt dernières années. La presse écrite et télévisuelle a largement relaté les dégâts qu’elle a provoqués à Dakar et dans d’autres régions du Sénégal. Cet évènement n’est pas le plus fort cumul en 24 h enregistré à Dakar. En effet 214 mm étaient tombés le soir du 21 août 1932 (enregistré le 22 au matin, tableau 1). Et c’est ce dernier évènement qui occasionne la seule rupture suivant la segmentation de Hubert (voir figure 12 chapitre 6) dans la série des 115 années de données de la station de Dakar (cependant celle-ci n’a pas toujours été localisée à Yoff ; cette série n’est donc pas homogène ni statistiquement exploitable sur la longue durée ; le poste a été situé à l’hopital principal en centre ville jusqu’aux lendemains de la 2ème guerre mondiale puis à Ouakam (l’ancien aéroport) dès 1941, jusqu’à l’installation de la station de Yoff en 1946.

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Figure 4 : les immeubles construits au début des années 2010 sur les terrains de la Foire de Dakar : une nouvelle Venise ?

Les caractéristiques de cette pluie sont résumées dans le tableau 2 sur la base des données de la station de Dakar-Yoff. Le grain était constitué en système convectif de méso-échelle depuis plus de 24 heures. Il a abordé le Sénégal le 25 au matin et a arrosé l’essentiel du pays durant la journée tout en se séparant en plusieurs cellules dans la journée ; la figure 5 montre les amas constitués le 25 au soir et le 26 au matin, celui qui a intéressé le Cap Vert juste avant de quitter définitivement le continent. La figure 6 (carte des isohyètes de l’évènement) montre que les cumuls ont été plutôt faibles pour cette ligne de grains dans l’ensemble du Sénégal, sauf en arrivant dans le Sine Saloum (43 mm tombés à Kaolack) et surtout sur le bout du Cap Vert. Le trait marquant de cet épisode, au-delà du cumul important enregistré ce jour (le deuxième plus fort jamais observé à Dakar, voir tableau 1) est sa très forte intensité, puisque la pluie n’a duré que deux heures et demie. Le tableau 2 montre que 54 mm sont tombés en un quart d’heure (soit une intensité de 216 mm/h) et surtout que 144 mm sont tombés en 51 minutes à l’aéroport, soit une intensité supérieure à 160 mm/h durant ce long laps de temps. Malheureusement, les données pluviographiques manquent à ce stade pour analyser le temps de retour d’un tel évènement. Toutefois, les intensités de cette pluie sont très fortes et dépassent toutes celles enregistrées dans la base de données pluviographiques de la station de Dakar-Yoff.

Tableau 1 : Hauteurs des 5 plus fortes pluies journalières enregistrées à Dakar entre 1896 et 2013 et leur récurrence (période de retour en années) (source : Dacosta, 2013):

Date Récurrence (années) P (mm)

17/08/1927 21 150

26/08/1962 25 153,1

25/08/1964 33 157,7

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26/08/2012 76 160,8

22/08/1932 228 214

Sans avoir passé en revue les données de tous les postes d’Afrique de l’Ouest on peut affirmer que cet évènement est exceptionnel ; ainsi on n’a jamais atteint de telles intensités durant plus de 10 minutes depuis le début des années 1990 dans le degré carré de Niamey, où le réseau comprend 30 pluviographes installés lors du programme HAPEX Sahel.

Le tableau 3 indique les intensités maximales relevées par ce programme dans le degré carré de Niamey durant des pas de temps courts pour quelques évènements extrêmes de l’année 2005 qui avait été riche en épisodes intenses. Aucune n’atteint les intensités observées à Dakar ce 26/8/2012 où une intensité de 420 mm/h a été observée pendant une minute.

Tableau 2 : Déroulement précis de l’épisode du 26 août tel qu’observé au pluviographe de l’aéroport de Dakar Yoff. (source : Dacosta, 2013)

Début de la pluie : 9h 16 min

Fin de la pluie : 11h 46 min

Hauteur de la pluie au pluviomètre : 160.8 mm Hauteur de la pluie au pluviographe : 168 mm Hauteur de pluie tombée

entre 09h46 et 10h36 (51 min) :

144 mm

Hauteur de pluie tombée entre 09h56 et 10h11 (15 min) :

54 mm

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Figure 5. Avancée de la ligne de grains du 25- 26 août 2012 et les amas nuageux qu’elle a produit; l’échelle donne la température du sommet des nuages en K°. (source GrADS: COLA/IGES).

Figure 6. Isohyètes de la pluie du 25-26 août 2012 à travers le Sénégal : une activité renouvelée en arrivant sur le bout du cap Vert

Tableau 3 : Intensités de la pluie du 26 Août 2012 à Dakar comparées à celles du mois d’Août 2005 mesurées par l’Observatoire AMMA CATCH au Niger (pas de temps de 1, 2, 5, 10 et 15 minutes) (source : Dacosta, 2013)

Date P(mm) I. 1min (mm/h) I. 5min (mm/h) I. 10 min (mm/h) I. 15 min (mm/h) 16/08/2005 84.5 163 108 100 24 20/08/2005 77 196 78 57 20 22/08/2005 106.5 275 140 114 96 26/08/2012 160.8 420 276 237 216

On comprend que des espaces urbanisés en grande partie imperméabilisés, aient eu du mal à absorber de tels volumes en si peu de temps, malgré une urbanisation relativement lâche et la présence de nombreux jardins et espaces sableux (dunes plus ou moins construites, mais au sable souvent induré ou encroûté).

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Indéniablement, l’épisode pluvieux du 26 août 2012 est un évènement extrême, et en termes de cumul et, surtout en termes d’intensité de la précipitation, et ce sur une superficie assez importante.

La figure 7 représente le hyétogramme de l’averse à Yoff et permet de constater la durée spécialement longue durant laquelle ont été observées des intensités élevées.

Figure 7 : Dakar-Yoff - Hyétogramme de la pluie du 26 Août 2012 (pas de temps 5 minutes). (source : Dacosta , 2013)

Crues et inondations urbaines dans la sous-région

Figure 8. Photo prise fin novembre 2013 montrant l’état du lit d’un des cours d’eau de Banconi à Bamako, quelques semaines après la crue du 30 août 2013

Comme on l’a suggéré plus haut, les inondations urbaines se sont multipliées ces dernières années. Après Dakar en 2012, c’est Bamako qui a été particulièrement touchée en 2013 (le 28 août cette fois). Les figures 8, 9, et 10 montrent l’état des lits des cours d’eau trois mois après la crue. Les figures 11 et 12 montrent la localisation du quartier (figure 11) et des bassins versants sur lesquels se sont déclenchées la crue et l’inondation du 28 août, ainsi que la zone

0 50 100 150 200 250 300 26/08/2012 08:38:24 26/08/2012 09:36:00 26/08/2012 10:33:36 26/08/2012 11:31:12 26/08/2012 12:28:48 In te n si ( m m /h )

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s’étendant sur les versants et qui connaît depuis quelques années une urbanisation très rapide (figure 12).

Figure 9. Photo prise fin novembre 2013 montrant l’état du lit du cours d’eau ouest

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Figure 11. Localisation de la zone concernée par l’inondation du 28 août dans l’agglomération de Bamako

Figure 12. Le quartier de Banconi et les bassins des deux cours d’eau dont le débordement a provoqué l’inondation du 28 août 2013

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Figure 13. Photo prise fin novembre 2013 montrant un caniveau bouché, comme ils l’étaient pour la plupart d’après les témoignages des riverains

Le jour où ont été prises les photos (figures 13 et 14), la plupart des caniveaux étaient bouchés ; d’autres avaient visiblement été débouchés récemment ; quelques autres (peu nombreux) semblaient avoir pu être fonctionnels le 28 août 2013.

Figure 14. Photo prise fin novembre 2013 montrant un caniveau bouché (Banconi, Bamako)

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C’est aussi l’urbanisation qui est à l’origine des inondations à répétitions qui touchent certains quartiers de la ville de Ziguinchor (en Casamance, au sud du Sénégal). En effet, avec une pluviométrie annuelle moyenne proche de 1500 mm, cette ville moyenne est habituée aux grands abats d’eau : la saison des pluies n’y dure que 4 mois, soit seulement un mois de plus qu’au Sahel pour une pluviométrie trois fois plus élevée ; les averses de 50 à 80 mm en 24 h y sont très fréquentes. Mais la ville grandit, le sol s’imperméabilise, on coupe les arbres et on réduit les espaces de végétation et de sol nu où la pluie pouvait d’infiltrer ; les caniveaux ne sont pas toujours bien curés (figure 15) ; tous ces éléments se conjuguent pour provoquer un fort ruissellement, les eaux cherchant à s’écouler vers le fleuve, en fait un vaste estuaire, situé donc au niveau de la mer, transformant les rues en cours d’eau (figure 16).

Figure 15. Caniveau fonctionnel (mais en fait en grande partie comblé de sédiments et détritus), Ziguinchor, quartier Kandé, août 2014

Figure 16. Une rue du quartier Diéfaye à Ziguinchor, en août 2014, s’écoulant vers le fleuve Casamance……

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Le paradoxe du Sahel, un processus dû avant tout à l’eau des champs

Les inondations liées au débordement des grands fleuves, comme celles qui concernent de plus en plus souvent la ville de Niamey, sont clairement liées au « paradoxe du Sahel » (chapitre 3), c’est-à-dire qu’elles sont dues à l’augmentation du ruissellement observé depuis le début de la sécheresse.

Le refus d’infiltration, qui entraîne une forte diminution de la capacité de rétention en eau des sols, est lié à l’encroûtement des sols (chapitre 5) en grande partie lié au changement d’occupation des sols et à l’abandon des jachères (chapitre 4), ce qu’on observe dans toute la bande sahélienne (chapitre 1) ; l’augmentation récente du nombre d’évènements pluvieux de fort cumul (chapitre 6) explique partiellement l’accroissement de la fréquence des crues du Niger et des autres cours d’eau sahéliens ; en effet, pour être réelle, cette augmentation ne permet au mieux, à ces évènements dits « extrêmes », que de rattraper leur nombre et leur cumul précipité des décennies humides (années 1950-1970). Comme les crues « rouges » (d’hivernage) récentes sont bien plus abondantes et fréquentes qu’alors, il faut faire intervenir des facteurs « anthropiques » tel que l’encroûtement de sols pour expliquer cet excès d’écoulement. C’est sans doute ces changements d’occupation des sols et en particulier la disparition de la végétation naturelle, qui expliquent par exemple que le kori de Teloua ait rompu la digue qui le bordait et protégeait la ville d’Agadès (figure 17), inondant toute la partie basse de la grande ville du nord Niger, le 1er septembre 2009 (jour où Ouagadougou fut inondée, suite à une autre ligne de grains, par un évènement d’une fréquence très rare pour provoquer une inondation purement « urbaine », Ouaga étant dépourvue de fleuve).

Figure 17. Inondation de la ville d’Agadès (centre Nord du Niger) le 1er septembre 2009