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Dynamique des systèmes de production des zones de savane cotonnière et

1. Contexte et problématique

La zone de savane cotonnière se situe entre les isohyètes 700 à 1 400 mm. Elle présente des situations bien diversifiées entre les zones de savanes herbeuse et arbustive (700 à 1 000 mm) dans la partie septentrionale et celles plus au sud ou en altitude de savanes arborée ou boisée (1 000 à 1 400 mm). Elle se caractérise par une dominante de sols riches en sesquioxydes de fer de type ferrugineux et de sols ferralitiques, tous deux à fertilité moyenne.

Une situation d’équilibre entre agriculture et élevage jusque dans les années 1960

C’est une zone qui jusque dans les années 1960 était relativement peu peuplée (< 30 habitants au km²), avec des populations essentiellement localisées au-dessus de l’isohyète des 1 000 mm 29 où cohabitaient deux populations ayant des modes de vie très différenciés :

- Les éleveurs, essentiellement d’origine peule, qui pratiquaient un élevage extensif ; - Les agriculteurs qui subvenaient à leurs besoins par la culture de céréales (mils,

sorgho), de tubercules (manioc, igname) et légumineuses (arachide, niébé).

Les pâturages30 et les terres agricoles étaient abondants et il ne se posait pas de réels problèmes de cohabitation entre éleveurs et agriculteurs. Le maintien de la fertilité des sols (naturellement faible à moyenne) était assuré par la rotation des cultures et la pratique d’une jachère longue, permise par les fortes disponibilités en terre agricoles.

De profonds bouleversements remettent en cause cet équilibre

Le très fort accroissement démographique enregistré depuis les années 1960, résultant des progrès réalisés dans la lutte contre les grandes endémies, s’est traduit par un accroissement de la pression sur les terres, tant pour la culture que pour l’élevage. L’occupation des terres par l’agriculture diminuant l’accès aux pâturages de saison des pluies31 a conduit les éleveurs à rechercher de nouvelles terres plus au sud, alors que la saturation des terres cultivables dans les zones les plus peuplées a conduit les agriculteurs à rechercher, eux aussi, de nouvelles terres aussi plus au sud. Les programmes de lutte contre les vecteurs des grandes endémies et les déforestations liées à l’occupation des terres rendant progressivement ces dernières propices à l’occupation par l’homme et par les animaux d’élevage.

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Les zones de pluviométrie supérieure étant peu propices à l’habitat humain et aux troupeaux de bovidés du fait de la présence endémique de glossines, mouches propagatrices de la trypanosomiase, et de simulies, mouches vectrices de l’onchocercose.

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« Les pâturages sont l’ensemble des espaces non clos habituellement utilisés de manière licite, permanente ou saisonnière, pour l’alimentation du bétail, ainsi que les espèces spécialement aménagés à cette fin » – Code pastoral de la République de Guinée – Article 4

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« Les collectivités locales procèdent chaque année, après consultation de la population et des services techniques concernés, à l’identification et à la délimitation approximative des espaces affectés au pâturage de saison pluvieuse, dans un délai qui sera précisé par voie réglementaire » – Code pastoral de la République de Guinée – Article 17

En parallèle, afin de garantir la sécurité alimentaire, de subvenir aux besoins des villes en pleine expansion et de développer l’économie de leurs pays, les états ont initiés de grands programmes de développement agricole portant sur l’amélioration de la productivité des cultures existantes (arachide, sorgho, riz de bas fond…) et le développement de nouvelles filières agricoles (coton, maïs, …), en consentant d’importants efforts dans la recherche agronomique.

Conscients dès le départ de la nécessité d’instaurer un développement durable des activités agricoles, les agronomes à l’origine de ces programmes de développement ont opté pour une démarche agroécologique en prônant le développement de l’association agriculture-élevage et en particulier de la culture attelée, pour :

- accroître la force de travail des exploitations agricoles, notamment pour les opérations de labour, de semis, d’entretien des cultures (sarclages et buttages) et de transport, donc d’accroître les superficies cultivées ;

- d’accroître les rendements par des semis précoces et à bonne date ; - de préserver la fertilité des sols cultivés par la production de fumier ; - de diversifier les revenus des agriculteurs par la production de viande - d’améliorer la nutrition des familles d’agriculteurs par la production de lait ; - de valoriser les résidus de récolte par l’élevage.

L’accroissement des productions agricoles a été, jusque dans les années 1990, le résultat combiné d’une augmentation du nombre d’exploitations agricoles provoquée par l’accroissement démographique, des superficies cultivées par exploitation résultant de la mécanisation agricole, d’une amélioration des rendements agricoles résultant principalement de développement de l’emploi d’engrais minéraux (coton, maïs, riz irrigué, maraîchage), de la protection phytosanitaire (coton, maraîchage) et des améliorations variétales (arachide, coton, maïs, maraîchage, riz irrigué…).

Le développement économique des pays et l’urbanisation ont profondément modifié l’économie agricole en faisant passer des cultures de subsistance au statut de véritables cultures de rente (arachide, maïs, riz, soja et dans une moindre mesure sorgho) du fait d’une très forte demande alimentaire émanant des grandes métropoles. Mais depuis les années 1990, l’accroissement des productions agricoles ne se poursuit, pour l’essentiel, que du seul fait de l’accroissement démographique et des superficies cultivées. Cet accroissement est atténué par un fléchissement des rendements moyens pour l’ensemble des cultures, généralement imputé à une « baisse » de la pluviométrie et de la fertilité des sols et à un moindre contrôle des déprédateurs. Mais il faut noter que durant la période 1990 – 2010, les efforts publics et privés alloués à la recherche agronomique, au conseil agricole et aux soutiens à l’agriculture (conditions d’accès au crédit agricole, soutien aux prix de cession des intrants et des équipements) ont été réduits. Les techniques d’intensification des cultures et les appuis aux producteurs ont pu se maintenir grâce aux interventions des acteurs des filières cotonnières qui, avec l’aide des états et de partenaires techniques et financiers, ont pu et ont su internaliser tout ou partie de ces fonctions.

- la raréfaction des terres agricoles disponibles, et dans certains cas, l’obligation pour les jeunes générations de migrer vers de nouvelles zones où les terres sont considérées comme disponibles ;

- une faible productivité et des conditions d’accès à l’intensification des pratiques culturales limitées, hormis dans les filières cotonnières.

Les éleveurs pastoraux, qui n’ont pas été acteurs de cette transition, se retrouvent eux-aussi confrontés à un double défi :

- la raréfaction des terres de pâture du fait de l’accroissement continu des terres mises en culture ;

- la raréfaction des résidus de récolte à leur disposition du fait du développement de l’association agriculture-élevage au sein des exploitations agricoles…

L’accès à une ressource alimentaire « gratuite » pour leurs animaux (pâture et vaine pâture) se raréfie, mettant en péril le devenir du cheptel et de l’activité. Il s’en est suivi et il s’en suit des tensions entre agriculteurs et éleveurs pastoraux qui peuvent être exacerbées, mais aussi la sédentarisation de groupes d’éleveurs, devenant agro-pasteurs et s’adonnant à l’agriculture (maïs, principalement) et deux types de systèmes d’élevage complémentaires : (i) production de lait et l’embouche pour quelques têtes de bovins par an, (ii) élevage transhumant de l’essentiel du troupeau sous la conduite de bergers.

2. Les leviers d’action pour la transition agroécologique

La nécessité d’un changement de paradigme entre agriculture et élevage

Au sein des exploitations agricoles le développement de la culture attelée a permis de faire émerger les agriculteurs les plus dynamiques et d’améliorer fortement leur statut. Elle s’est traduite par un accroissement des surfaces cultivées, des rendements (dans une moindre mesure) et des productions agricoles car ces agriculteurs sont parmi les plus ouverts aux autres innovations technologiques (engrais minéraux, herbicides et insecticides) et ils ont une surface financière leur permettant en général d’y accéder.

La production de fumier dans les enclos améliorés ou parcs améliorés a été promue dans toutes les zones cotonnières et a été bien adoptée dans les grandes exploitations du Sud Mali qui disposent de beaucoup de main d’œuvre familiale. L’accroissement de la collecte des résidus de culture et mieux, l’adoption de la production fourragère ont aussi été promus afin de garder plus longtemps dans les enclos les bovins. Ces innovations permettent aussi de développer l’embouche bovins. Tout ceci concoure à augmenter le temps de stabulation des ruminants et donc la production de fumier. Mais les agro éleveurs sont en concurrence avec les éleveurs pour valoriser les résidus de culture et ces pratiques de fumure organique ne concernent, dans les meilleurs des cas, que de 10 à 20% des superficies annuellement cultivées.

Aménagement des terres agricoles

Afin d’améliorer la durabilité des systèmes de culture, de lutter contre le risque climatique (démarrage de plus en plus tardif des pluies et répartition de plus en plus aléatoire des

précipitations), il a été conduit de nombreuses actions destinées à sécuriser et à améliorer les terres agricoles :

- bornage des parcelles à l’aide plots en béton ou d’arbres, plantation de haies vives ; - lutte contre l’érosion par la confection de cordons pierreux et de bandes enherbées

ou arbustives en courbe de niveau, plantations arbustives le long des berges ;

- préservation des ressources en eau pluviale par la construction de biefs en pierres et gabions que se sont bien appropriés les producteurs ;

- plantation de bois de village, d’arbres fourragers, formation et équipement de réseaux de pépiniéristes…

- La régénération des parcs à Faidherbia qui permet d’entretenir la fertilité du sol au niveau de sa frondaison est un réel succès mais il reste encore à développer dans les situations propices au développement de cet arbre (sols profonds).

Ces actions ont été particulièrement développées dans les zones cotonnières car les sociétés en charge du développement de cette culture disposent d’un dispositif d’encadrement agricole dense et de bonnes capacités de gestion de projet (PDRSO au Sénégal, PASE au Mali, Projets DPGT et ESA au Cameroun, …), mais leur poursuite et reconduction n’est plus assurée dès que les financements de ces projets sont épuisés.

Fertilisation des cultures et entretien de la fertilité organo-minérale des terres par l’agriculture de conservation.

La baisse ou la stagnation de la productivité agricole constatée depuis les années 1990 conduit à s’interroger sur les solutions apportées au maintien de la fertilité des sols :

- La production et l’utilisation de la fumure organique couvre dans le meilleur des cas de 10 à 20% des surfaces cultivées en grande culture (essentiellement le sorgho et le maïs, pour la sécurité alimentaire des ménages agricoles) ;

- Hormis dans les systèmes de culture cotonnier et à moindre échelle rizicole, l’accès aux engrais et aux autres intrants agricoles est rendu difficile par l’absence de dispositifs efficients de crédit agricole ;

- Les systèmes cotonniers compensent, en général, les exportations minérales de la culture cotonnière et d’une partie des cultures céréalières entrant en assolement avec le coton mais ils ne peuvent compenser les exportations minérales de l’ensemble des cultures pratiquées, certaines ne reçoivent ni fumure organique ni engrais chimiques ;

De nombreux pays sont revenus depuis à la pratique de la subvention aux engrais pour améliorer la productivité de leur agriculture (Bénin, Burkina-Faso, Côte d’Ivoire, Mali, Bénin…), mais l’effet de cette mesure est atténué par l’absence de mécanismes de crédit agricole couvrant l’ensemble des cultures et des zones agricoles.

Le retour à une intensification culturale bien conduite donne bien naturellement d’excellents résultats comme le prouvent les résultats obtenus en production cotonnière par la

SODECOTON au Cameroun ces dernières années32. Cependant, l’apport raisonné de

fertilisation minérale ne résout pas à lui seul le problème de la dégradation de la fertilité des

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Rendement moyen supérieur à 1400 kg/ha de coton graine par hectare au Nord-Cameroun en 2014/2015 pour une moyenne de l’ordre de 1 000 kg/ha dans les autres pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre.

sols qui relève tout autant de son appauvrissement en matière organique, responsable en grande partie de sa déstructuration et de la dégradation de son activité biologique.

Ainsi, en alternative à la fertilisation organo-minérale qui connait des limites en agriculture familiale, il a été testé puis développé au Nord-Cameroun33 le semis direct sous couvert végétal (SCV), cela dès les années 2005. Cette technique agroécologique consiste dans l’absence de travail du sol34 et dans le maintien d’un couvert végétal permanent, ce qui doit permettre de :

- Limiter l’érosion éolienne et pluviale ;

- Favoriser la pénétration et le stockage des eaux de pluie ; - De réduire la température de surface et l’évaporation du sol ; - Limiter la levée des mauvaises herbes ;

- Développer la vie biologique du sol, indispensable à sa fertilité et à la biodégradation des pesticides présents dans le sol ;

- Décompacter le sol par le travail racinaire des plantes de couverture ;

- Remonter des couches profondes du sol des éléments minéraux indispensables à la culture.

Cette technique, à priori très attrayante pour les zones d’ancienne culture où les problèmes de dégradation de la fertilité des sols sont ressentis, s’est révélée très difficile d’application. Elle présente de réelles contraintes dans sa mise en œuvre, dont les deux principales sont :

- L’impossibilité de préserver un couvert végétal en saison sèche du fait de la pratique généralisée de la vaine pâture ;

- Dans le cas du Cameroun, la non-acceptation sociale (des autorités traditionnelles, des éleveurs..) de la réalisation de haies défensives délimitant les terrains de culture car elle est assimilée à une appropriation des terres par l’agriculteur.

Les autres contraintes, plus techniques, devraient pouvoir trouver des solutions :

- Coût d’acquisition ou difficultés de production des semences de couverture (Brachiaria ruziziensis) ;

- Double travail de semis et difficulté de contrôle des mauvaises herbes en cas de semis des plantes de couverture en interligne de la culture (brachiaria ou crotalaire semées en interligne du maïs ou du sorgho) ;

- Pression parasitaire à la levée des jeunes plantules sous un couvert végétal ;

- Besoins d’une fertilisation minérale additionnelle à base d’azote pour limiter la concurrence entre la plante de couverture (Brachiaria ruziziensis) et la plante cultivée (maïs, sorgho).

Mais les gains de rendement et de revenus sont modestes les premières années et les perspectives d’une amélioration durable de la productivité des parcelles et du contrôle des mauvaises herbes à moyen terme (horizon 5 ans) n’est pas suffisant pour entraîner l’adhésion des agriculteurs, surtout s’ils ne sont pas propriétaires de leurs parcelles et s’ils n’ont aucune garantie sur le foncier.

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Mais aussi avec d’autres projets au Burkina Faso, en particulier (Projet SCAP FIDA, Bonnes pratiques avec la FAO, …)

Outre la difficulté d’organiser de nouvelles règles de gestion collective des résidus de culture au sol en saison sèche, les agroéleveurs apprécient les qualités fourragères de certaines plantes de couverture. Ainsi l’utilisation d’une partie significative de la biomasse produite par ces plantes en mélange avec les résidus de céréales améliore l’alimentation du bétail mais accélère le processus de la dégradation de la fertilité des sols, sauf à parquer les animaux dans la parcelle pour y restituer les déjections fertilisantes.

Organisation socioprofessionnelle et territoriale de l’agriculture et de l’élevage

Dans la zone de savane, il apparait de plus en plus difficile de raisonner de façon séparée le développement des activités de culture de celles d’élevage, ce qui a généralement prévalu jusqu’à présent. La délimitation et l’aménagement d’espaces pastoraux, bien engagée dans certains pays (points d’eau, centres de vaccination, cliniques vétérinaires…) est une nécessité. Mais si, en réponse à l’accroissement démographique actuel, les superficies cultivées devaient continuer à croitre, le développement de l’élevage pastoral se trouvera bloqué et sera contraint de régresser (au moins en effectif).

Le monde de l’élevage est cependant tout aussi varié que le monde de l’agriculture, il est composé de différentes catégories d’éleveurs qui peuvent avoir des intérêts différents et il est tout autant capable d’adaptation :

- Les éleveurs s’organisent en groupements professionnels ;

- Des groupes d’éleveurs se sédentarisent et s’investissent prioritairement dans la production de céréales qui permettent, par l’importance de la biomasse produite, de subvenir en partie aux besoins de leurs animaux. Ils marquent un intérêt pour les cultures fourragères, même si elles ces dernières ne sont pas encore entrées dans leurs pratiques culturales, et ils s’investissent également dans les cultures de vente ; - De nombreuses élites (fonctionnaires, commerçants, opérateurs privés) s’investissent

dans l’élevage et ils s’orientent de plus en plus vers la constitution de ranch (quitte à se regrouper entre eux) dans les zones où les terres sont encore disponibles. Ils sont également ouverts à une certaine intensification des pratiques de l’élevage.

La transition agroécologique en zone de savane impose de prendre pleinement en considération la problématique de l’élevage pastoral et de sa nécessaire évolution. Cela passe par la concertation entre acteurs à tous les niveaux. L’approche terroir ne suffit pas car s’il est relativement aisé de mobiliser ou de sensibiliser les chefs d’exploitation agricole, les agro-éleveurs et les « petits » éleveurs au sein d’un même terroir, il n’est pas toujours facile d’identifier les propriétaires des grands élevages transhumants, nationaux comme transfrontaliers, et donc de les associer aux délibérations et aux prises de décision au niveau de ce même terroir.

Annexe 7 : Evolution des systèmes de production agricole des zones