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Une dynamique spontanée de la régénération ligneuse globalement satisfaisante

Discussion générale & perspectives

6.1. D ISCUSSION GENERALE

6.1.2. Une dynamique spontanée de la régénération ligneuse globalement satisfaisante

Le secteur forestier a été ébranlé par les tempêtes de 1999 qui ont endommagé plusieurs milliers d’hectares de forêts en France et en Europe. Face à l’ampleur des dégâts, le choix de la régénération naturelle pour la reconstitution des peuplements a été confronté à un manque de connaissances sur les méthodes sylvicoles permettant d’obtenir un peuplement de qualité, remplissant les objectifs écologiques, économiques et sociétaux souhaités. Grâce aux larges gradients édaphiques et de tailles de trouées étudiés, nous avons pu évaluer la dynamique globale au sein des trouées formées par les tempêtes de 1999 et obtenir des résultats originaux sur la dynamique spontanée de la régénération post-tempête.

L’évaluation de la régénération naturelle post-tempête qui a été réalisée dans la région Grand Est (Article [1]) met en évidence une réussite globale de la régénération ligneuse en termes de densité de tiges, avec une moyenne de 15425 tiges ha-1 et une majorité de sites avec une densité

supérieure à 2000 tiges ha-1 (131/145 sites, soit 90 %) vingt ans après l’ouverture du couvert. Il

est important de rappeler que les sites choisis au sein du réseau OPD présentaient une faible régénération initiale où des difficultés de régénération naturelle étaient attendues. Ce réseau représente donc des situations plus négatives que la moyenne, impliquant une potentielle surestimation des difficultés rencontrées dans le cadre de la régénération naturelle. Nous pouvons émettre l’hypothèse qu’en moyenne les zones impactées par une tempête se régénèrent mieux que dans notre cas d’étude. L’absence de travaux au sein des deux réseaux (OPD et OPM) suggère également que des interventions, même minimes, peuvent améliorer nos résultats. Mis à part les quelques situations problématiques identifiées, la dynamique spontanée observée au sein des deux réseaux est suffisante dans la plupart des cas.

Nos valeurs de densités moyennes par sites sont plus élevées que celles observées par Gauberville et al. (2002) en Auvergne à la suite de la tempête de 1982, où seulement 28 % de sites avaient une densité supérieure à 2000 tiges ha-1, 19 ans après la tempête. De même, Kramer

et al. (2014) et Wohlgemuth et al. (2017) obtiennent des densités moyennes plus faibles dans les Alpes suisses 20 ans après la tempête Vivian de 1990, autour de 4000 tiges ha-1. Ces différences

peuvent être dues à (1) des contextes écologiques différents, les études précédemment citées ayant été menées en montagne (altitude > 500 m) où il est plus difficile d’obtenir une régénération naturelle satisfaisante en termes de densité de tiges et (2) à une fructification importante l’année des tempêtes de 1999 (Bogdziewicz et al., 2017; Lebourgeois et al., 2018; Nussbaumer et al., 2016), favorisant l’apparition de la régénération naturelle.

Comme le souligne Gauberville (2009), il est difficile d’identifier les variables environnementales qui influent le plus sur la régénération, en partie car elles peuvent changer en fonction des stades de la dynamique. Les variations entre sites des conditions de lumière et d’acidité du sol expliquent pour une large part la distribution des essences dans les régénérations au sein des trouées (Kramer et al., 2014; Van Couwenberghe et al., 2010), alors que la compétition herbacée, qui se développe avec l’ouverture du couvert forestier (Gaudio et al., 2008; Van Couwenberghe et al., 2011), peut quant à elle entraîner des situations de blocages importants pour l’installation et le développement des semis (Gauberville, 2009; Wohlgemuth et al., 2002). Grâce à notre large réseau de placettes permanentes et notre étude dynamique sur vingt ans, nous avons pu quantifier et hiérarchiser certains de ces facteurs environnementaux, ainsi que leurs interactions, qui ont une influence sur la régénération naturelle dans les trouées post- tempête. En particulier, la taille de la trouée, la distance à la lisière ainsi que la composition du peuplement pré-tempête se sont révélées être trois facteurs prédominants dans leurs effets sur la densité de la régénération naturelle par rapport aux autres facteurs étudiés (acidité du sol, disponibilité en azote, compétition interspécifique). Derrière ces trois facteurs se cachent notamment la régénération préexistante et la pluie de graines, qui influent en particulier sur l’abondance des essences. Ces résultats témoignent de l’importance des conditions initiales d’acquisition de la régénération, que ce soit à travers la composition du peuplement pré-tempête ou de la fructification des essences l’année précédant l’intempérie, sur la dynamique spontanée de la régénération. La compétition entre semis et les conditions édaphiques ont une influence de deuxième ordre, comme modérateur de la dynamique, à la fois vis-à-vis de l’installation et la croissance des individus.

L’étude de la dynamique spontanée de la régénération ligneuse à l’aide de plusieurs descripteurs (présence, abondance, hauteur et diamètre) permet d’avoir une vision globale pour caractériser le succès de la régénération. Ces variables réagissent différemment aux différents facteurs environnementaux que nous avons pu étudier. La présence et l’abondance sont particulièrement influencées par la présence de semis préexistants et la pluie de graines, alors que la hauteur et le diamètre des tiges sont plus influencés par la disponibilité en lumière et la compétition. En fonction de l’espèce, la stratégie de régénération ne sera pas la même, certaines favoriseront une régénération dense mais avec des diamètres plus faibles (e.g. hêtre et charme) alors que d’autres favoriseront la croissance en hauteur et en diamètre de quelques individus (e.g. bouleau et saules). Ainsi, les espèces qui capitalisent dans la croissance de quelques individus doivent être présentes et se régénérer rapidement, avant celles qui exercent un pouvoir compétiteur par leur régénération abondante. Ces résultats complètent et sont en partie contradictoires avec ceux de précédentes études menées sur le long terme mais qui, basées sur un seul site, mettent en évidence une régénération dominée par des essences pionnières les quinze à vingt premières années de la succession (Fischer et al., 2002; Jaloviar et al., 2017). Tout comme Gauberville (2009), nous observons au contraire une régénération naturelle principalement dominée en termes d’abondance par des essences de fin de succession. Cette différence souligne à nouveau l’importance des conditions initiales, de la proximité des semenciers et de l’intérêt de

la comparaison de situations variées dans un large réseau de placettes, permettant ainsi de faire une analyse globale de la dynamique spontanée.