• Aucun résultat trouvé

C. Approfondir les thèmes du questionnaire

1. La santé

1.3 Une dynamique de santé

Nous décrivons ici le fait que comme pour l’itinéraire, la santé n’est pas une photographie à un instant t mais un processus avec des situations de dégradation, de reconstruction, de stabilisation. Le questionnaire ne permet pas véritablement dans sa conception de comprendre les dynamiques de la santé. Les processus mis en œuvre entre le passé, le présent, le futur, dans une approche diachronique de la santé, nous renseignent sur les articulations que fait l’interviewé entre les différents événements de sa vie personnelle.

Maladies d’enfant – maladies d’adulte

Quelques cas relatent des maladies contractées pendant l’enfance, qui se sont prolongées à l’âge adulte et qui peuvent être encore présentes.

Madame P connaît des troubles du sommeil, enfant : elle est somnambule pendant plusieurs années. À l’âge adulte, elle a un sommeil normal, jusqu’à ce qu’elle soit placée en situation de très forte pression aux résultats. À partir de ce moment-là, démarrent des insomnies qui ne vont faire qu’empirer et qui n’étaient pas résolues au moment de l’entretien.

Une dégradation progressive

Avec la prise d’âge, certaines difficultés de santé, qui étaient bénignes, deviennent de vrais problèmes de santé, qui empoisonnent la vie des enquêtés. Cette évolution négative de la santé nécessite des adaptations et de trouver des modes de gestion pour apprendre « à vivre avec ».

Au début, Madame P ne prend pas au sérieux ces insomnies. Au cours de l’entretien, elle en parle un peu comme d’une grippe « c’est quelque chose que j’ai dû attraper pendant cette période de stress où tout ce que je n’arrivais pas à résoudre pendant la journée, j’essayais de le résoudre la nuit. » ; puis comme quelque chose avec lequel il faut vivre. Mais les crises d’insomnies se multiplient. De quelques nuits par mois, la fréquence augmente en une dizaine d’années à des nuits inférieures à 5h plusieurs fois par semaine. Ce n’est qu’après un accident de voiture, qui lui fait prendre conscience que son manque de sommeil a un impact sur sa sécurité, qu’elle décide de consulter son médecin généraliste. Elle a alors le sentiment de ne plus pouvoir gérer ce problème seule : « Et c’est quelque chose que je traîne avec moi comme un boulet, aujourd’hui. ».

De même Monsieur T connaît ses premières crises d’insomnie à l’époque où l’incendie de la maison de ses parents vient faire voler en éclat les équilibres familiaux (séparation, décès d’un proche, cités dans les évènements marquant l’enfance). Au départ, il vit ces troubles du sommeil comme un avantage : il peut travailler ses cours et supporter le difficile rythme que lui impose l’articulation études en classes préparatoires et petit boulot de caissier en grande distribution. Jamais vraiment disparues, les insomnies deviennent source d’angoisse et de mal-être quand il prend son poste de

conducteur de train de banlieue. Le stress lié au travail le conduit à refaire toute la nuit les évènements de la journée, les rares périodes de sommeil étant perturbées par des cauchemars mettant en scène des collisions de train et autres accidents. Sa manière de gérer ses troubles de sommeil consiste à « jouer » avec les horaires irréguliers que lui impose son travail : enchaîner un ou deux nuits blanches et récupérer plus tard en journée par exemple. Et sur le long terme ?

« PACTE : Et donc vous pensez que c’est tenable, sur la longue durée, cette situation ?

Monsieur T : Après, je ne sais pas. C’est comme tout. Le corps change… Mais c’est vrai que sur la durée, de toute façon, j’espère que, à 50 et quelques balais, je n’aurai pas non plus encore à conduire des trains à 4h du matin ou à 3h et demie du matin. Après, bon c’est vrai que sur Saint-Lazare, ce n’est pas vraiment le cas. Après, normalement les roulements sont faits pour qu’il y ait de moins en moins de lever tôt le matin comme ça, à partir d’un certain âge. »

Madame Q est aujourd’hui atteinte de troubles digestifs graves (vomissements et perte d’appétit), mais elle ne parvient pas bien à comprendre l’origine de ses soucis de santé, sinon qu’elle les attribue à « une accumulation progressive de problèmes ».

Des effets cumulés dans le travail et hors-travail

La santé est aussi à concevoir dans les équilibres entre la sphère travail et la sphère hors travail. Il existe des cas où le processus dynamique de gestion de la santé se trouve entremêlé entre ces deux sphères qui alimentent réciproquement une dégradation/construction du sentiment de préservation personnelle. Alors qu’elle présente des signes de dépression (pleurs, insomnies, perte d’appétit), Madame U doit faire face à la dépression de son mari qui tente de se suicider. Remonte alors la tentative de suicide de son père pendant son enfance : les histoires s’entremêlent et Madame U « ne peut plus faire face ».

À l’inverse, Madame K « tient le coup » parce que son mari est lui-même tombé en dépression. Tous les deux dans des secteurs de la vente très compétitifs, les tentatives de suicide se succèdent dans leur lieu de travail à cause d’un management très dur. Madame K se décrit comme usée, épuisée et fatiguée par son travail. Celui-ci l’envahit même la nuit, où elle fait des insomnies de plus en plus graves. Mais les difficultés de santé de son mari et l’annonce récente d’une maladie neurologique de son premier fils n’apparaissent paradoxalement pas comme des événements supplémentaires pouvant conduire à une dégradation de sa santé. Au contraire, ils lui donnent l’envie de se battre et de ne pas sombrer à cause du travail.

La santé est essentiellement appréhendée dans le questionnaire SIP au travers de photographies au moment de l’interview et à différentes périodes de l’itinéraire professionnel. En ce qui concerne les moins de 35 ans, dont les choix de description de périodes étaient souvent limités en raison de la durée de leur emploi, la reconstitution d’un itinéraire de santé risque d’être difficile. Lors des entretiens, c’est parfois grâce à des relances où nous demandions systématiquement à quand remontaient les premiers signes des troubles de santé énoncés, que nous avons pu accéder à cette conscience des interviewés d’une certaine continuité.