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CHAPITRE 1. LA PRODUCTION COLLABORATIVE DES IDÉES ET LES

1.5 La dynamique de l‟esquisse collaborative

Arnheim (1993) différencie deux sortes de représentations visuelles : les images mentales produites par la mémoire, et les celles générées par l‟abstraction. Dans la conception collective, les échanges faits par des représentations graphiques, des esquisses, (les représentations abstraites) et par les images (photos, rendues réalistes ou perspectives d‟objets existants) conforment un langage visuel qui permet une dynamique de communication pour la collaboration. Nous considérons l‟esquisse comme un langage graphique d‟échange d‟idées dans la conception, qui permet la résolution adéquate de problèmes de design.

Cette proposition de l‟esquisse comme un langage de production d‟idées est analysée par Goldschmidt (1991) à partir de protocoles verbaux du travail de designers sur les esquisses. Elle déduit que l‟utilisation d‟esquisses est une opération d‟imagerie interactive ou de la formation d‟images interactive (interactive imagery) (p.131). L‟esquisse n‟est pas « une image préétablie sinon qu‟elle naît dans un contexte d‟exp lication » (idem). Selon Goldschmidt les esquisses sont une représentation externe qui permet un patron

d‟argumentation d‟idées, dans lequel les concepteurs expliquent les aspects abstraits de l‟interrelation des composants d‟un objet. Dans ce contexte, les esquisses, sans une explication verbale ou un contexte référentiel, sont incompréhensibles à autrui. Dans le travail de groupe, les esquisses s‟approchent plus aux dialogues interactifs entre les participants pour signaler certains détails sur les plans. En accord avec les recherches de Lee et Wei (2007), qui ont comparé les patrons basiques de travail collaboratif parmi les designers dans les interactions face à face et numériques, ont défini que les patrons du dialogue sont : l‟idéation (sketching), se voir en dessinant ainsi que la modification à partir d‟une suggestion verbale ou graphique, l‟annotation et l‟indication.

D‟autre part, l‟esquisse reflète un processus de raffinement des idées, dans le sens que les premières idées seront abstraites et représentées par « les esquisses vagues, génériques ou tentatives » et qu‟elles se concrétiseront sous « une forme topologique ou géométrique, au fur et à mesure que les idées sont plus complètes ou arrivent à leur forme finale » (Arnheim, 1993, p.71). À cet égard, Pucell et Gero (1998) remarquent l‟utilisation multidisciplinaire de l‟esquisse dans toutes les phases de la conception d‟un produit. Ainsi, ils constatent la variation de la sorte d‟esquisse par rapport à l‟état d‟avancement du projet. Alors, dans les premières phases de codéfinition d‟un produit, les esquisses seront vagues et non définies. Lorsque le projet est plus défini, les dessins industriels, les rendus de synthèse, les plans constructifs sont utilisés. Ces auteurs proposent que les esquisses aient trois fonctions dans la résolution de problèmes, elles font les liens entre : « 1) la mémoire à court terme, 2) la réinterprétation de l‟imaginaire et 3) la synthèse mentale » (Ibid.). Ainsi, les esquisses permettent le raffinement des idées graphiq ues, et sont accompagnées d‟annotations ou de corrections sur les croquis ou les plans.

Dans la production d‟idées dans les équipes de design, Van der Lugt (2005) propose que l‟esquisse ait trois fonctions précises : « 1) appuyer un nouveau cycle d'interprétation dans le processus de la pensée individuelle ; 2) soutenir la réinterprétation d‟idées dans l'activité du groupe; et 3) améliorer l'accès à des idées plus tôt » (p.2). Ainsi, les esquisses permettent-elles de tracer la mémoire externe du travail du groupe.

Maher et al. (2006) trouvent que l‟esquisse n‟est pas particulièrement nécessaire dans une expérience comparative entre concepteurs qui esquissaient et un groupe sans outils de

dessin et isolé, et ce, dans la première étape de conceptualisation (p.604). Ces auteurs ne retrouvent pas de différences statistiquement significatives dans les résultats de l‟idée de conception, ni dans les activités cognitives, ni dans la rétroaction entre les idées, sauf le besoin de l‟esquisse pour la remémoration à court terme, selon les capacités individuelles de chaque participant d‟emmagasiner de l‟information.

La puissance de l‟esquisse comme une stratégie de production d‟idées n‟est pas encore prouvée, justement parce que l‟esquisse dépend toujours d‟un contexte de travail. Cependant, l‟esquisse est une forme de communication graphique très importante dans la dynamique de production d‟idées dans un groupe (Ibid.), tout particulièrement quand s‟exprime de l‟information abstraite, les hiérarchies ou les interrelations, au moyen de diagrammes, la production de la pensée visuelle (Williams, 1986), les cartes conceptuelles (Novak, 1998) ou les cartes heuristiques ou les arbres d‟idées (Buzan et Buzan, 2003). Ainsi, les esquisses sont une représentation appropriée pour la description de la structure mécanique ou « les représentations cinématiques, l‟analyse systématique de forces, la résistance structurale ou les formes d‟ensablement » de produits (Shah et al., 2001, p.169).

La proposition de l‟esquisse comme une stratégie de production d‟idées est récente. Nous pouvons nommer l’esquisse collaborative (c-sketch) (Ibid.) ou le brainsketching de Van der Lugt (2002). L‟esquisse collaborative est une technique de génération d‟idées développée par Shah (1993) qui s‟est inspiré de la technique 6-3-5 de Rohrbach (1969) dans laquelle six participants donnent trois idées tous les cinq minutes. Dans la technique 5-1-4 G de Shah, cinq designers travaillent au développement d‟une représentation graphique pour une solution d‟un problème de design. Les concepteurs travaillent indépendamment sur une idée et ils échangent leurs feuilles de travail en quatre itérations. En dessinant, les designers peuvent ajouter, modifier ou effacer des aspects de l‟esquisse, sans parler, en échangeant les feuilles de travail.

Le brainsketching est décrit comme une technique de représentation d‟idées graphiques basée sur le remue- méninge écrit (brainwriting). Les participants dessinent leurs idées sur de grandes feuilles attachées à un mur, pour après les exposer à leurs coéquipiers.

Van der Lugt (2005) a comparé les stratégies du remue- méninge verbal en écrivant les idées utilisées dans le groupe de contrôle, et le remue- méninge visuel par post-it ou

brainsketching. Les résultats montrent que le groupe contrôle utilisant le brainwriting a

été plus productif dans la quantité d‟idées et dans les niveaux de réutilisation pour l‟inspiration d‟idées des autres : le nombre de connexions entre les idées du groupe. Ces résultats peuvent être dus à trois facteurs : 1) selon l‟étude sur l‟interaction de la communication humaine de Chapanis (1976), l‟élaboration d‟une esquisse prend plus de temps que l‟écriture ou la verbalisation orale; 2) selon les études revues antérieurement de Goldschmidt et Van de Lugt, les esquisses ne peuvent être interprétées sans les référents verbaux ou contextuels du groupe; et 3) dans le remue- méninge, lorsque les interventions verbales ou graphiques se présentent très tôt, si les participants n‟ont pas suffisamment à l‟avance de temps de production d‟idées individuelles, se génère un blocage cognitif ou un délai indésirable qui empêche les autres collègues du groupe de partager leurs idées (Nijstad et al., 2003).

Cette revue de littérature nous montre la variabilité dans l‟usage des stratégies pour la production d‟idées et le grand répertoire de possibilités pour la génération des idées dans le processus de travail. Notre intérêt dans ces stratégies créatives est leur identification pour les observer et les examiner, surtout si elles sont particulièrement supportées dans les espaces de travail collaboratif synchrone. Ces aspects seront analysés dans le chapitre 4.

La production collective d‟idées est un processus d‟échange des idées produites individuellement. Les composants de l‟analyse cognitive de la production d‟idées en équipe sont : a) le contexte de la production d‟idées, principalement la collaboration entre les membres d‟un groupe de travail selon le rôle des participants et le mode d‟utilisation des ressources physiques disponibles pour e ux, b) le contenu des tâches créatives impliquées, si ce sont des tâches qui demandent la nouveauté, l‟originalité ou la convenance ou qu‟elles sont présentées comme problèmes ouverts ou fermés à l‟équipe de travail et c) l‟organisation du travail, qui comprend les stratégies de production collective d‟idées qui permettent d‟organiser les opérations mentales de l‟équipe de travail séquentiellement ou simultanément.

Dans la conception collective, les stratégies principales de productio n d‟idées sont le remue- méninge et l‟esquisse collaborative. Elles requièrent une dynamique interactive d‟échange d‟information simultanée pour la compréhension du contenu des esquisses entre les membres de l‟équipe et la communication de l‟information abstraite.

Nous avons identifié ces stratégies pour examiner comment elles sont soutenues dans les espaces de travail synchrone.

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