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C. Discussion

I. Effets de l’irradiation sur les NPs greffées polymères

2. Doxorubicine greffée

Pour les NPs sur lesquelles une molécule fonctionnelle est greffée, l’irradiation peut entraîner au moins deux phénomènes : la libération de la molécule par rupture de certaines liaisons covalentes, ou alors

0 20 40 60 80 100 % vi ab ili té cel lul ai re Concentration Au (µg/mL)

NPs non irradiées NPs irradiées 400 Gy Au-PMAA(10,6) 0 20 40 60 80 100 % vi ab ili té cel lul ai re Concentration Au (µg/mL)

NPs non irradiées NPs irradiées 400 Gy Au-P(HEMA-MAA)

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la dégradation de cette molécule. Pour un agent de chimiothérapie, le premier cas peut permettre une action toxique facilitée, mais également une circulation non désirée dans le corps. Dans le second cas, le risque est la perte de fonctionnalité de l’agent.

Plusieurs études ont déjà rapporté le greffage de la doxorubicine sur des AuNPs radiosensibilisantes.11– 14 Seuls Starkewolf et al. se sont intéressés à la stabilité sous irradiation de leurs systèmes constitués de AuNPs greffées d’ADN-thiols, eux-mêmes fonctionnalisés par de la doxorubicine. Leurs résultats tendent à montrer que les rayons X provoquent la scission de leurs brins d’ADN, ce qui permet de libérer la doxorubicine et d’ainsi augmenter la toxicité des objets sous irradiation.11 En remplaçant l’ADN par des ligands PEG, le taux de relargage est nettement moins important, ce qui montre que le polymère est moins impacté par l’irradiation. Ils n’ont cependant pas étudié la toxicité de la doxorubicine après irradiation, que ce soit sous sa forme libre ou greffée, afin de déterminer l’effet de l’irradiation sur la molécule elle-même.

Varshney et al. s’étaient eux intéressés à la dégradation sous irradiation de plusieurs agents anticancéreux, dont la doxorubicine, afin de déterminer s’ils pouvaient être radiostérilisés.15 Ils ont montré une excellente stabilité de la molécule après irradiation aux rayons gamma, et n’ont détecté que de très faibles quantités des deux produits de dégradation identifiés. Il faut souligner que les doses utilisées dans cette étude sont de l’ordre de la dizaine de kGy, puisque les auteurs se placent dans le contexte de la radiostérilisation, et non de la radiothérapie.

Dans notre cas, nous avons cherché à déterminer si l’irradiation avait un impact sur nos objets Au- PMAA-Dox de façon indirecte uniquement, en comparant la toxicité des NPs irradiées et non irradiées. L’effet du greffage a également été évalué en effectuant le même test pour la doxorubicine libre en présence de Au-PMAA, qui nous sert ici de référence. Les résultats sont présentés sur la Figure IV.3.

Figure IV.3 - Comparaison de la cytotoxicité des NPs non irradiées et irradiées à 400 Gy (a) Au-PMAA-Dox et (b) Au-PMAA + Dox libre

0 20 40 60 80 100 % vi ab ili té cel lul ai re Concentration Au (µg/mL)

NPs non irradiées NPs irradiées 400 Gy Au-PMAA-Dox 0 20 40 60 80 100 % vi ab ili té cel lul ai re Concentration Au (µg/mL)

NPs non irradiées NPs irradiées 400 Gy Au-PMAA + Dox libre

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Pour les deux états de la doxorubicine (greffée et libre), on observe une petite augmentation de la toxicité après irradiation. Cet effet est confirmé par les tests statistiques effectués (p-valeur < 0,001). Il pourrait provenir des produits de dégradation de la doxorubicine. L’étude de Varshney et al. a démontré que ceux-ci sont présents en faible quantité, mais sans s’intéresser à leur éventuel effet toxique.15 Le fait que l’effet soit identique pour la molécule greffée et libre montre en outre que le greffage n’induit ni protection ni amplification vis-à-vis des effets de l’irradiation.

L’irradiation semble donc impacter la doxorubicine, avec pour conséquence d’accroître légèrement ses propriétés de cytotoxicité. Les tests effectués ici ne permettent pas de comprendre le mécanisme sous- jacent, mais des analyses chromatographiques pourraient par exemple être effectuées pour identifier d’éventuels produits de dégradation. Il serait également intéressant de mener la même expérience pour la doxorubicine seule, sans AuNPs, afin de déterminer si ces dernières ont un impact sur sa dégradation et/ou sa toxicité qui pourrait s’apparenter à un effet radiosensibilisant. Enfin, des doses inférieures pourraient être testées, afin de se rapprocher des valeurs utilisées en clinique.

De manière générale, l’ensemble de cette étude témoigne de l’importance des aspects de stabilité des NPs sous irradiation. Au-delà du contexte de la radiothérapie, la problématique se pose également dans le cadre de la stérilisation des NPs, l’irradiation étant un procédé communément utilisé. Ainsi, plusieurs études ont déjà montré que les doses appliquées pouvaient générer d’importantes modifications chez différents types de NPs, à la fois de nature organique et inorganique.16,17

En ce qui concerne nos objets, l’étude a permis d’identifier, pour certains types de couronne, une toxicité légèrement accrue après irradiation. Ces effets seront à prendre en compte lors de l’analyse des tests de radiosensibilisation, que nous allons maintenant présenter.

II.

ÉTUDE DE LA RADIOSENSIBILISATION SOUS PLUSIEURS TYPES DE

RAYONNEMENTS

Comme cela a été mentionné dans le chapitre 1 (§ II.B), les AuNPs sont parmi les plus étudiées en radiosensibilisation. Dans le cadre d’études in vitro et in vivo, elles ont été combinées à plusieurs reprises avec différents types de rayonnements utilisés en radiothérapie externe : initialement des rayons X,18 puis des rayons gamma, des ions carbone, des protons, des électrons, et plus récemment des neutrons.19,20 A l’inverse, peu d’études se sont intéressées à leur application en radiothérapie interne.

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Dans le cadre d’une collaboration avec Béatrice Cambien et Thierry Pourcher, du laboratoire TIRO (Transporteurs, Imagerie et Radiothérapie en Oncologie) de l’Université Nice Sophia Antipolis, notre objectif initial était de tester la possibilité d’utiliser les AuNPs en association avec la radiothérapie métabolique (injection systémique de sources radioactives), grâce à leur expertise dans le traitement des cancers de la thyroïde par utilisation d’iode radioactif. L’excellente stabilité de nos AuNPs greffées polymères a permis d’effectuer des tests in vitro mais aussi in vivo. Les tests de radiosensibilisation ont ensuite été étendus à un type de rayonnement externe, les protons, bénéficiant ainsi de l’infrastructure privilégiée dont dispose le Centre Antoine Lacassagne, centre de lutte contre le cancer situé à Nice, qui est un des trois centres de protonthérapie en France.

A. R

ADIOTHÉRAPIE INTERNE

:

IODE 131

L’iode 131 est un des radioisotopes les plus utilisés en radiothérapie métabolique. Lorsqu’il est injecté de manière systémique, il s’accumule naturellement dans la thyroïde, ce qui explique qu’il soit exploité pour traiter les cancers de la thyroïde.21 Il est le plus souvent utilisé en complément d’une ablation chirurgicale, afin d’éliminer les tissus thyroïdiens restants. Cependant, certaines tumeurs se révèlent réfractaires au traitement par l’iode (notamment les métastases), et cette résistance est à l’origine de la plupart des décès causés par ce type de cancer.22 L’utilisation de NPs radiosensibilisantes pourrait donc constituer une stratégie intéressante pour améliorer l’efficacité du traitement.

Comme cela vient d’être évoqué, l’application des AuNPs, et plus généralement de NPs métalliques radiosensibilisantes, en radiothérapie interne a été très peu étudiée dans la littérature. En brachythérapie (sources radioactives scellées), Ngwa et al. ont utilisé des sources d’iode 125 pour irradier des cellules et ont montré des dommages accrus au niveau de l’ADN lorsque les cellules sont incubées avec des AuNPs.23 Plusieurs études de modélisation semblent elles aussi mettre en évidence un effet radiosensibilisant pour des cas similaires (AuNPs exposées à des sources d’iode 125).24–26 Une approche différente consiste à utiliser les NPs elles-mêmes comme sources radioactives. Chanda et al. ont par exemple utilisé avec succès des AuNPs constituées d’un isotope de l’or radioactif (198Au) pour traiter des tumeurs de la prostate chez des souris.27 Plus récemment, Laprise-Pelletier et al. ont développé des NPs cœur-coquille palladium-or radiomarquées avec du palladium 103.28 Les simulations Monte-Carlo effectuées à partir des données de distribution intratumorale obtenues in

vivo semblent indiquer un effet « auto-radiosensibilisant » dû à la présence d’or dans leurs NPs.29 En radiothérapie métabolique, plusieurs publications récentes rapportent également l’utilisation de NPs métalliques conjuguées à des radioisotopes : des NPs de sulfure de cuivre contenant de l’iode 131,30 des nanoflakes de disulfure de tungstène liées à du rhénium 188,31 ou encore des NPs contenant du hafnium et liées à du technétium 99m.32 Les deux dernières ont démontré in vivo un effet auto-

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radiosensibilisant. Ils montrent en effet que les NPs métalliques produisent des particules secondaires chargées lorsqu’elles sont associées à l’élément radioactif, et supposent que cette émission secondaire est à l’origine de la toxicité accrue observée sur les tumeurs.32

Si l’ensemble de ces études semble valider l’efficacité des NPs métalliques pour amplifier les effets des rayonnements émis par divers radioisotopes, aucune ne propose de stratégie pertinente pour le cancer de la thyroïde. Les NPs incorporant des radioisotopes vont en effet modifier la pharmacocinétique de ces derniers, en particulier la capacité à être captée par la thyroïde dans le cas de l’iode 131. Le ciblage sera donc moins efficace, et la probabilité d’impacter les tissus sains d’autant plus grande. De plus, la forte complexité des nano-objets décrits les rend difficilement transférables vers la clinique.

Dans cette étude, nous avons fait le choix d’une approche de radiosensibilisation de l’iode 131 par les NPs qui soit transposable en clinique, en combinaison avec le traitement de référence par injection systémique de l’iode. Les AuNPs et l’iode ont donc été administrés séparément. Ce type de stratégie est considéré comme cliniquement pertinent par les médecins nucléaires pour les cancers de la thyroïde. Découpler les NPs radiosensibilisantes et le radioisotope permet notamment de limiter les risques associés à la toxicité intrinsèque des NPs, et de générer au contraire une toxicité localisée, grâce au rayonnement émis par le radioisotope au niveau de la tumeur. Les NPs utilisées sont les Au- PMAA(10,6), qui sont peu toxiques, stables en milieux biologiques et sous irradiation, et qui ont une bonne capacité à diffuser dans la MEC. L’ensemble des expériences a été mené par Béatrice Cambien.

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