• Aucun résultat trouvé

Données, méthodes d’enquête et objectifs

Afin de décrire l’espace associatif en Suisse romande et analyser la dynamique d’engagement par rapport au don d’organes comme problème public, nous avons établi un dispositif d’enquête fondé sur plusieurs sources d’information.

Le corpus principal de données empiriques est constitué d’entretiens semi-directifs menés avec 31 personnes membres des 14 associations et fondations décrites ci-dessus. Toutes les personnes interviewées ont donné leur consentement explicite. La répartition de ces acteurs associatifs par groupement est la suivante : ANeDiT (1), AJMIR (2), AVIRT (1), AFIR (2), AVDIR (3), AGIR (2), SSPIR (1), AST (9, dont 5 appartenant à la section sport), À Cœur Ouvert (2), PromOrgane (2), fondation ProTransplant (1), fondation AGIR (1), fondation Passez-le-Relais (3) et fondation Tackers (1). Pour

539 Rabeharisoa et Callon 2002.

chacun de ces groupements, au moins une personne assumant des responsabilités dirigeantes a été interviewée. Au total, la majorité des personnes enquêtées ont des responsabilités de direction ou de gestion en tant que président (12), vice-président (4), secrétaire (2), membre du comité (1) ou responsable d’un comité d’action (1). Les 11 autres ont le statut de simple membre.

À notre connaissance, l’enquête couvre de façon exhaustive les associations et fondations actives en Suisse romande dans le domaine du don d’organes. Notre corpus inclut ainsi la grande majorité des acteurs associatifs engagés publiquement et médiatiquement au cours des dernières années, et permet une analyse de l’ensemble de l’espace associatif romand du don d’organes des années 2000. Si nombre des interviewés peuvent être considérés comme des figures importantes de la mobilisation profane pour le don d’organes, c’est aussi parce que certains ont fondé une ou plusieurs associations antérieures à celle dont ils font partie au moment de l’enquête.

Précisons que les adhésions multiples ne sont pas rares dans notre corpus, à l’instar d’une interviewée membre d’une association locale et active dans le comité de l’association faîtière540. Enfin, plusieurs interviewés ont été membres à divers titres d’autres groupements liés au don d’organes dans un passé plus ou moins récent, permettant ainsi de multiplier et croiser les données. Sur le plan sociodémogra-phique, les 21 hommes et 10 femmes rencontrés ont une moyenne d’âge de près de 59 ans – le plus jeune a 28 ans et le plus âgé 78 ans.

Près d’un tiers des interviewés sont retraités, plusieurs sont au bénéfice complet ou partiel de l’assurance invalidité, et la grande majorité appartient à la classe moyenne.

Réalisés par François Kaech, les entretiens abordaient, outre les questions sociodémographiques usuelles, les thèmes suivants : l’implication et la carrière associatives, les caractéristiques et buts de l’association, la perception du problème du don d’organes en Suisse, les activités concrètement réalisées, ainsi que les relations entre associations et aux autres acteurs de la transplantation. À l’exception de quelques entretiens de près de trois heures, leur durée

540 Cette porosité au sein de l’espace associatif n’exclut pas l’existence de rapports conflictuels et de tensions (voir chapitre 9).

moyenne était de une heure trente à deux heures, signe à la fois de la disponibilité des personnes sollicitées, de la richesse des échanges et d’un climat de confiance entre l’intervieweur et l’interviewé.

Tous les entretiens ont été enregistrés, puis transcrits verbatim et anonymisés, et enfin codés à l’aide du logiciel Atlas.ti. L’exploitation des données a suivi la méthode des « catégories conceptualisantes » d’inspiration constructiviste qui combine des procédures déductives et inductives, permettant ainsi la prise en compte de catégories issues des questions de recherche initiales et de catégories émergeant des données541. L’analyse des entretiens visait à restituer de manière compréhensive et contextualisée l’expérience et la signification de l’engagement des interviewés dans l’action collective en lien avec le don d’organes, mais aussi à documenter les associations sur un plan descriptif.

Compte tenu du microcosme que constitue l’espace associatif romand du don d’organes et de la petite taille de plusieurs associa-tions, la confidentialité des personnes rencontrées a été assurée en limitant au strict nécessaire les informations relatives à leur profil.

Outre l’attribution d’un pseudonyme, nous avons pris le parti de citer les interviewés en mentionnant d’une part leur statut dans l’association (« comité » ou « membre542 »), d’autre part la catégorie du groupement d’appartenance (« association en lien avec le rein », abrégé « AR » dans la suite du texte, « association généraliste » [AG]

ou « fondation » [FD]). Lorsque cela est pertinent pour l’analyse, des caractérisations plus précises sur le groupement seront fournies.

Dans le cas où nous citons des propos tenus publiquement (dans la presse notamment) ou des extraits de textes publiés (plaquette de présentation ou journal associatif par exemple), nous indiquons les noms du locuteur et du collectif. Pour éviter la répétition des termes « association » et « fondation », nous utiliserons dans la suite

541 Paillé et Mucchielli 2003.

542 Sous le terme « comité », nous englobons les personnes faisant partie de l’organe exé-cutif (ou « responsables associatifs »), à savoir celles qui ont le statut de président, vice-président, membre du comité, secrétaire ou occupant une autre fonction similaire de direction ou de gestion. Le terme « membre » regroupe les simples membres. Précisons que dans les petites associations notamment, les rôles effectivement assumés par les individus peuvent ne pas correspondre formellement à leur statut sur le papier.

du texte, sauf mention particulière, le terme « association » au sens générique, regroupant les deux formes juridiques d’action collective.

Les entretiens avec les acteurs associatifs ont été complétés par d’autres sources d’information, telles que la documentation interne aux associations (statuts, rapports d’activité, archives, bulletins d’information543… – inégalement riches et disponibles selon les associations) et leurs sites internet. À cela s’ajoutent des articles issus de recherches ciblées dans la presse quotidienne régionale et locale (Le Matin, 24 Heures, Tribune de Genève, Journal de Genève, Le Nouvelliste, L’Express…). Enfin, deux entretiens ont été réalisés avec des responsables de Swisstransplant pour mieux connaître la position actuelle et passée de la Fondation nationale suisse vis-à-vis des associations de patients.

Dans les chapitres qui suivent, nous nous intéressons à deux questionnements centraux pour comprendre le rôle des associations vis-à-vis du don d’organes comme problème public. Il s’agit premiè-rement de s’interroger sur la manière dont les acteurs associatifs se représentent la problématique du don d’organes et en particulier la pénurie d’organes. Rappelons que la définition de la situation constitue une dimension primordiale de la mobilisation profane. Les cadres d’interprétation mettent en jeu un contenu cognitif (puisqu’il s’agit de qualifier et de cerner ce dont il est question), et normatif ou moral, qui consiste à dénoncer une situation anormale, ou à réaffirmer des valeurs fondamentales et des comportements jugés désirables544. En nous référant à l’idée que la perception d’un pro-blème implique notamment des phénomènes d’attributions de cau-salité et d’imputations de responsabilité, ainsi que des propositions de solutions545, il s’agira de décrire les cadres d’interprétation du don d’organes en Suisse qui sont à l’œuvre dans l’espace associatif romand.

543 Nous avons principalement consulté les numéros accessibles en ligne du Bulletin des As de Cœur et du Bulletin de l’AST (30 numéros de 2002 à 2015), du Journal de la SSPIR (7 numéros de 2012 à 2015), et de Swisstransplant News (devenu Swisstransplant Magazine) de 2008 à 2015.

544 Gusfield 2009.

545 Cefaï 1996.

À cet égard, le problème de la pénurie d’organes, qualifiée de

« catastrophique », « lamentable » ou « pire qu’avant », fait l’objet d’un consensus fort dans notre corpus d’entretiens. Les interviewés évoquent une situation de crise ou d’urgence, expriment des réac-tions de découragement ou d’indignation, ou sont particulièrement critiques et alarmistes face aux conséquences fatales de la pénurie pour nombre de patients. Ils dénoncent la stagnation peu flatteuse du nombre de donneurs qui place la Suisse en bas de classement des pays européens546. Au-delà de l’aspect quantitatif, la pénurie d’organes est le symptôme d’un questionnement sur les causes du problème et les solutions préconisées. Pour les acteurs associatifs, le don d’organes en Suisse apparaît ainsi comme un triple problème : un problème politique et législatif, un problème hospitalier et un problème d’information de la population547. Les chapitres 7 et 8 exa-mineront les tenants et aboutissants de ces trois cadres principaux de perception de la situation du don d’organes et montreront dans quelle mesure l’espace associatif partage une vision commune ou s’il est porteur de conceptions plurielles, voire conflictuelles.

Le second questionnement central consiste à analyser les domaines d’action privilégiés par les associations et leurs objectifs, en nous intéressant aux activités concrètement réalisées et au sens que les acteurs associatifs leur donnent. Le chapitre 9 décrira ainsi les différentes logiques d’action suivies par les associations. Il per-mettra aussi d’examiner dans quelle mesure les cadres de perception du problème des acteurs associatifs recoupent ou non les objectifs effectivement recherchés et affichés par les associations. À cet égard, la distance que l’on peut observer conduira à s’interroger sur la capacité de mobilisation de ces associations et leur influence sur le

546 Les interviewés font référence aux statistiques des années 2010-2014, montrant un taux de donneurs décédés par million d’habitants oscillant entre 12 et 14. En ligne : www.swisstransplant.org/fr/info-materiel/statistiques/chiffres-annuels

547 Ces trois cadres d’interprétation ne s’excluent pas ; bon nombre d’interviewés situent leur discours sur les trois à la fois, mais il est fréquent que l’un des trois domine en termes de « cause » ou de « solution ». Si certains interviewés développaient une vision bien définie et affirmée du problème en question, d’autres s’avéraient plus en peine d’exprimer leur perception des causes de la pénurie d’organes et des solutions envi-sageables. Néanmoins, tous à des degrés divers soulevaient la complexité du problème du don d’organes et relevaient l’absence de solution simple à la situation actuelle.

don d’organes comme problème public. Si l’évolution du contexte institutionnel des dernières années joue un rôle indéniable, de même que la question des ressources, la compréhension de la dynamique de l’espace associatif du don d’organes requiert également, comme nous le montrerons, de prendre en compte les logiques individuelles d’engagement pour la cause.

Documents relatifs