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Une domination de l’abstraction et de la force

Chapitre premier : L’angoissant triomphe de la « puissance de l’abstraction » dans une signification barrèsienne

Section 2 Une domination de l’abstraction et de la force

Le produit exprime l’angoisse étant lui-même le fruit d’un processus angoissé. C’est celle du rapport de l’Allemagne moderne dominée par une abstraction envahissante, face à une France dépersonnalisée, qui entrerait en dépendance.

§ 1 : Le triomphe envahissant de la force de l’abstraction

Barrès est un héritier culturel. A coté de Jules Soury, Hippolyte Taine est l’un de ses principaux maîtres. Il lui doit son déterminisme, sa conception du sens historique, ses théories de la race, du primat de la collectivité, son respect de la continuité et sa haine des abstractions. Mais sous l’influence de Jules Soury, il s’attaquera au rationalisme de Taine. Le 19 décembre 1896 dans Le

Figaro, il écrivait un article « M. Taine et le philistin ». Dans une lettre à Maurras, où il raconte

avoir écrit dans Au Service de l’Allemagne : « un long chapitre contre Taine (…), à propos des monstrueuses sottises, soyons calmes, je veux dire des germanismes déplacés, qu’il a placés sur ___________________

1. Lucien HERR, La Revue blanche, anthologie publiée par Olivier Barrot et Pascal Ory, Paris, UGE, collection 10/18, 1989, p. 276-277.

la Montagne de Sainte-Odile. », il n’hésite pas à qualifier Taine et Renan de « deux personnages flottants, sans colonne vertébrale » (1). Mais il n’y a pas d’opposition forte entre Jules Soury et Taine. Un ingrédient darwinien leur est commun, ainsi que les formes d’un certain déterminisme racial, et c’est bien cette opposition à la philosophie des Lumières que Barrès emprunte à Taine. Selon Taine, l’individu est le produit de la civilisation, et une civilisation n’est elle-même que la résultante de ces trois forces primordiales : « La race, le milieu, le moment » (2).

Comme Taine, Barrès applique cette théorie à l’histoire : pour lui, la race constitue la première et la plus riche source d’événements historiques, et l’homme se meut dans un déterminisme

universel. Le monde se développe comme une équation. Toute existence n’est qu’un faible rouage d’une prodigieuse mécanique : elle est déterminée dans ses pensées et dans ses actes. La finalité et les limites de l’action individuelle sont par conséquent fixées par la plus ou moins grande préservation des traditions qui converge en chaque individu. Celui-ci ne représente qu’un instant du processus qui l’a fait et qu’il contribue à perpétuer. Il est de par les lois de la nature et de la science, ce que sa terre et ses morts ont fait de lui. Lorsqu’il sera imprégné de la sensibilité française, lorsqu’il aura pris conscience du fait qu’il n’est qu’une feuille de cet arbre qu’est la France, alors seulement, reconnaissant ses limites et sa prédestination, l’individu pourra

poursuivre une action constructive et agir en fonction de l’idéal français. Face à ce déterminisme, la seule attitude raisonnable est l’acceptation. Il faut vivre d’accord avec le monde : peu à peu, à mieux connaître ses fatalités, on arrivera à les aimer. Bérénice et Saint-phlin sont ceux qui acceptent. Ils acceptent les conventions sociales, les nécessités historiques, la souffrance et la _____________________

1. Maurice BARRES, Charles MAURRAS, La République ou le Roi, Correspondance inédite 1888-1923, Lettre de Barrès à Charles Maurras du 15 décembre 1903, Paris, Plon, 1970, p. 419.

mort. Mais cette analyse barrésienne contient beaucoup d’arbitraire et de confusion. Ce qu’il n’accepte pas c’est l’idée d’une règle universelle et abstraite, et surtout pas son « invasion » de la culture et de l’éducation en France.

.

I ) Le triomphe de « l’homme abstrait esclave du devoir »

L’acceptation, selon Auguste Comte, va devenir comme chez Maurras une référence de la pensée barrèsienne. Mais pour pouvoir réellement accepter, pour s’insérer dans son déterminisme, l’individu doit subir une longue préparation dont le premier principe est que l’on : « ne donne à un homme que ce qu’il possède déjà » (1) et un jeune français ne peut donc pas être éduqué, selon les principes de l’idéalisme métaphysique d’origine allemande.

On ne peut en faire un kantien imbu d’abstraction sous peine de le voir devenir, il l’écrit dans Les

Amitiés françaises : « un être artificiel, un homme-mensonge » (2). L’homme-mensonge, c’est le

déraciné du premier volume du Roman de l’énergie nationale, celui qui a grandi en dehors de sa vérité propre, qui a échangé : « son chant naturel contre une cantilène apprise » (3). Tel sera le drame du roman barrèsien des Déracinés et de ses sept lorrains : leur éducation fut menée de façon à fixer leur raison sur des abstractions, leur énergie sur des buts chimériques. Ils devinrent ainsi des êtres « désencadrés », coupés de leur milieu naturel et sans utilité sociale.

Barrès va s’attacher à désigner les « pères coupables » de cette tendance à l’abstraction,

fondement de son « germanisme ». Il s’agit de Rousseau, mais surtout de Kant dont les critiques sont omniprésentes dans ses ouvrages. Il dénonce Rousseau comme théoricien de la religion ___________________

1. Maurice BARRES, Romans et voyages, Les Amitiés françaises, Paris, Robert Laffont, 1994, t. 2, p. 124. 2. Op. cit.,p.126.

naturelle qui a insisté sur l’aspect primordial des devoirs de la morale, réduisant ainsi les devoirs de la religion, au culte intérieur et à la pratique de la justice :

« Songez que les vrais devoirs de la religion sont indépendants des institutions des hommes ; qu’un cœur juste est le vrai temple de la divinité ; qu’en tout pays et en toute secte, aimer Dieu par-dessus tout et son prochain comme soi-même est le sommaire de la loi ; qu’il n’y a de vraiment essentiels que ceux-là ; que le culte intérieur est le premier de ces devoirs, et que sans la foi nulle véritable vertu n’existe. » (1).

Mais plus particulièrement ce qui va attirer les critiques les plus féroces de Barrès, c’est qu’il aurait voulu rationaliser la vie, notamment dans le Contrat social. Cet ouvrage est qualifié dans ses Cahiers de « profondément imbécile », il écrit : « C’est une construction dialectique sur un homme abstrait qui n’a ni père, ni femme, ni enfant, ni aïeux, ni mœurs, ni rien que la raison et la volonté. » (2).

Il va développer lors d’une séance à l’Assemblée nationale le 11 juin 1912, pour le bicentenaire de la naissance de Rousseau, une argumentation dense sur ce philosophe. Il ne nie pas son admiration pour le Rousseau des Rêveries du promeneur solitaire, des Confessions et de La

Nouvelle Héloïse et sa riche effusion d’imagination et de sentiment. Mais il n’accepte pas l’auteur

du Discours sur l’origine de l’inégalité, Du Contrat social et de l’Emile. Dans ce discours à l’Assemblée nationale, il va énoncer plusieurs fois une idée essentielle le rejet de l’abstraction. Pour l’éducation des enfants, il va lui opposer la tradition :

« Avez-vous vraiment l’idée qu’il est utile et fécond d’exalter solennellement, au nom de l’Etat, le pédagogue qui a le plus systématiquement écarté de l’enfant les influences de la famille et de la race ? Pour ma part, je considère que le devoir de l’éducateur c’est d’imprimer au plus vite sur une personnalité qui se forme la marque de la civilisation et de déposer dans un esprit encore neuf toutes les pensées, tous les sentiments vérifiés comme les meilleurs par sa famille et sa nation. » (3).

Face à l’abstraction idéologique, il va opposer la force de l’histoire : « A ses constructions purement idéologiques nous opposons les résultats de l’esprit d’observation et j’oserai dire ___________________

1. Jean-Jacques ROUSSEAU, Emile, Paris,Garnier-Flammarion, 1966, p.408. 2. Maurice BARRES, Mes cahiers, t. 9, 1911-1912, Plon, Paris, 1935, p. 290. 3. Op. cit., p. 315.

d’expérimentation par l’histoire.» (1).

Face à l’abstraction culturelle de Jean-Jacques Rousseau, il oppose la civilisation :

« Rousseau est par excellence le génie qui essaie de nous lancer dans cette révolte néfaste, et d’ailleurs impuissant et qui nous conseille d’agir comme si nous avions à refaire tout à neuf, comme si nous n’avions jamais été civilisés. » (2).

Il reconnaît néanmoins que sa méthode individualiste a pu ressembler à celle de Rousseau : « Qu’il y ait quelque parenté spirituelle entre moi et Jean-Jacques. C’est certain. » (3). Mais il s’oppose totalement aux conclusions de Rousseau : « Toute mon œuvre ou, si vous voulez, toute mon activité est à l’opposé de celle de Rousseau. J’ai rêvé de raciner l’individu dans sa terre, de créer un mouvement décentralisateur et régionaliste. » (4).

Après la dénonciation de Rousseau, qu’il critique comme Maurras en le plaçant comme un précurseur dans la lignée des penseurs germaniques, il arrive à la critique du penseur central, du bâtisseur de l’« homme abstrait » : le philosophe allemand Emmanuel Kant. Sa dénonciation sera encore plus importante, plus fréquente et plus dense que celle de Rousseau. Mais Barrès n’est pas un philosophe, c’est un écrivain et un journaliste. Il écrit en 1894, des propos très durs sur Kant, et paradoxalement sa référence va être Henri Heine :

« Henri Heine nous montre la vie mécaniquement réglée du philosophe Kant, toujours vêtu de son habit gris, se levant, buvant du café, écrivant, faisant son cours, dînant, se promenant, le tout à heure fixe pendant trente années. Puis soudain Heine s’interrompt et s’écrie : « En vérité, si les bourgeois de Koenisberg avait pressenti toute la puissance destructive de la pensée d’Emmanuel Kant, ils auraient éprouvé, devant cet homme un frémissement bien plus horrible qu’à la vue du bourreau qui ne tue que des hommes. » (5).

Des spécialistes de Barrès, comme Albert Thibaudet ont affirmé qu’il ne connaissait guère Kant, ______________________

1. Maurice BARRES, Mes Cahiers, t. 9, 1911-1912, Paris, Plon, 1935, p. 316. 2. Op. cit., p. 317.

3. Op. cit., p. 319. 4. Ibid.

et qu’il avait même de la difficulté à comprendre cette philosophie dense et complexe (1). Mais Barrès qui est un relativiste acharné, a néanmoins bien compris que Kant développe l’idée d’une règle universelle. C’est pour cela que sa critique essentielle de la philosophie de Kant va porter sur l’impératif catégorique. La deuxième section de La fondation de la métaphysique des mœurs de Kant met l’accent sur la rationalité. Dire que la loi morale est rationnelle, ou connue par la pure raison pratique, revient à soutenir qu’elle est appréhendée a priori. Elle n’est pas déduite de l’expérience. Kant va alors présenter la loi morale comme un impératif catégorique, en se

demandant s’il était formel et sans contenu :

« Quand je conçois un impératif hypothétique en général, je ne sais pas à l’avance ce qu’il contiendra, jusqu’à ce que les conditions me soit donnée. Mais si je conçois un impératif catégorique, je sais immédiatement ce qu’il contient. Car, dans la mesure où l’impératif ne contient en dehors de la loi que la nécessité qui s’impose à la maxime d’être conforme à cette loi, mais que la loi ne contient aucune condition qui vienne la limiter, il ne reste rien d’autre que l’universalité d’une loi en général, à laquelle la maxime de l’action doit être conforme, et c’est uniquement cette conformité que l’impératif fait apparaître véritablement comme nécessaire. Il n’y a donc qu’un unique impératif catégorique, et c’est celui-ci : Agis seulement d’après la maxime grâce à laquelle

tu peux vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle. » (2) .

Ainsi Kant dit qu’aucune condition ne vient limiter la loi, car elle n’est subordonnée à aucune finalité, et il suffit que la maxime soit conforme à la loi morale, laquelle doit être universelle et concerner au plus haut la volonté. Qu’entend-il par universalité ? Non seulement qu’elle vaut pour tout être raisonnable, mais qu’elle est aussi requise pour résoudre les cas similaires. Il dit nettement que deux situations peuvent être exactement similaires même si le lieu, le temps et les acteurs diffèrent. Il ne s’attache pas à l’action mais à la maxime de l’agent, au principe de son acte. Ce point de l’universalité va être le plus vivement combattu par Barrès. Pourquoi devrais-je agir selon Kant, seulement en me fondant sur cette maxime qui veut que la règle de mon action ___________________

1. Albert THIBAUDET, La vie de Maurice Barrès, Paris, Nouvelle revue française, 1921, p. 174-177. 2. Emmanuel KANT, Métaphysique des mœurs, I, Fondation de la métaphysique des mœurs. Introduction à la métaphysique des mœurs, traduction par Alain Renaut, Paris, GF-Flammarion, 1994, p. 97.

devienne universelle ? Parce que si une action est juste pour moi, elle est juste alors pour tout homme ; et si elle n’est pas juste pour moi, elle est erronée. La formule de Kant est frappée de telle sorte qu’elle m’aide à reconnaître les mauvaises actions. Si une action est injuste, ne pas l’accomplir est une obligation ; et si l’inaccomplissement d’un acte est un tort, à savoir ce dont on ne peut pas vouloir que cela devienne une loi universelle, alors agir est un devoir. Où commence le devoir pour Kant ? On agit par devoir seulement si l’on agit par obligation rationnelle, ou que l’on refuse un acte parce qu’il est prohibé. Une action ou une maxime qui passe avec succès l’épreuve de Kant ne peut pas être mauvaise ; mais ce qui décide de son caractère bon ou mauvais, c’est son accord ou non avec la loi morale.

Si l’on agit par devoir « la loi morale est englobée dans la maxime de l’action », ce qui nous donne la formule suivante : « J’accomplirai ce que la loi commande, c’est-à-dire, dans cette situation X, l’acte Y ». Kant formule une nouvelle fois l’impératif catégorique : parce que l’universalité de la loi d’après laquelle surgissent des effets correspond à ce que l’on appelle proprement nature au sens le plus général ( au sens formel ), c’est-à-dire l’existence des choses dans la mesure où elle est déterminée selon des lois universelles, l’impératif universel du devoir pourrait aussi s’énoncer ainsi : « Agis comme si la maxime de ton action devait être érigée par ta volonté en loi universelle de la nature. » (1). Si une maxime est bonne pour moi, elle est

nécessairement bonne pour un autre ; Kant dit maintenant qu’elle doit être bonne pour quiconque agit en se fondant sur elle, ce qui n’est pas immédiatement évident. Il veut que nous utilisions cette nouvelle formule comme épreuve pratique de nos maximes ; il souligne que c’est bien à elle que nous avons recours dans la vie quotidienne. Barrès va multiplier les citations et les références ___________________

parfois approximatives de ses amis écrivains sur l’impératif catégorique de Kant, ainsi :

« Bourget dans ses romans a illustré des principes philosophiques. Ainsi ce principe de Kant : agis de telle sorte que tu traites toujours l’humanité, soit dans ta personne, soit dans la personne d’autrui, comme une fin et que tu ne t’en serves jamais comme d’un moyen. » (1) .

Il cite là, une des reformulations par Kant de l’impératif catégorique : sur l’idée de traiter une personne comme une fin : « Agis de telle façon que tu traites l’humanité, aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre, toujours en même temps comme une fin, jamais simplement comme un moyen. » (2). Barrès va dénoncer en 1897, précisément l’impératif

catégorique, même si sa traduction est libre, dans ce roman très important de son œuvre littéraire,

Les Déracinés. Cette dénonciation en est même le cœur :

« Quand M. Bouteiller était encore élève, un de ses condisciples déroba une montre, fut convaincu, puis, sur ses pleurs et ses supplications, pardonné par le volé ; mais lui, solennellement, porta plainte au proviseur, exigea l’expulsion du coupable. Avec quiétude, il faisait reposer toute sa conduite comme son enseignement sur le principe kantien qu’il formulait ainsi : « je dois toujours agir de telle sorte que je puisse vouloir que mon action serve de règle universelle ». Dans les cas particuliers que nous citons, il avait jugé qu’il n’appartient pas à un brouillon qui se pique de générosité de maintenir quelque chose de pourri dans une collectivité. Il y a dans cette règle morale un élément de stoïcisme, et aussi un élément de grand orgueil, car elle équivaut à dire que l’on peut connaître la règle applicable à tous les hommes, et puis encore un germe d’intolérance fanatique, car concevoir une règle commune à tous les hommes, c’est être fort tenté de les y asservir pour leur bien, enfin il y a une méconnaissance totale des droits de l’individu, de tout ce que la vie comporte de varié, de peu analogue, de spontané dans milles directions diverses. » (3).

Dans Leurs Figures, il critique Bouteiller en 1879 au lycée de Nancy, et la célèbre formule (4).

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1. Maurice BARRES, Mes cahiers, t. 1, 1896-1898, Paris, Plon, 1929, p.157.

2. Emmanuel KANT, Métaphysique des mœurs, I, Fondation de la métaphysique des mœurs. Introduction à la métaphysique des mœurs, traduction par Alain Renaut, Paris, GF-Flammarion, 1994, p.108.

3. MauriceBARRES, Romans et voyages, Les Déracinés, Paris, Robert Laffont, 1994, t. 1, p. 504.

4. Maurice BARRES, Romans et voyages, Leurs Figures, Paris, Robert Laffont, 1994, t. 1, p. 1171 « Te rappelles-tu, en 1879, au lycée de Nancy, notre classe de philosophie si fiévreuse ? Bouteiller nous promenait de systèmes en systèmes, qui, tous, avaient leurs séductions, et il ne nous marquait point dans quelles conditions, pour quels hommes, ils furent légitimes et vrais. Nous chancelions. Alors il nous proposa comme un terrain solide certaine doctrine mi-parisienne, mi-allemande, élaborée dans les bureaux de l’Instruction publique pour le service d’une politique. « Je dois agir de telle sorte que je puisse vouloir que mon action serve de règle universelle », tel était le principe kantien sur lequel Bouteiller fondait son enseignement. Il y a là une méconnaissance orgueilleuse et vite tracassière de tout ce que la vie comporte de varié, de peu analogue, de spontané dans mille directions diverses. En effet, pour conclure, Bouteiller nous enseignait qu’un certain parti possède une règle universelle, propre à faire le bonheur de tous les hommes. ».

Cette dénonciation est le socle de la pensée de Barrès, car l’impératif catégorique est constitutif même du « germanisme ». Elle est la référence d’une partie centrale de son œuvre, et il affirme de différentes manières sa totale opposition à ce précepte kantien :

« Et chacun d’eux (des êtres) reçoit la loi qu’il lui est prescrit. La matière en matière et l’esprit en esprit. (Lamartine, Novissima verba, 406) Et d’ailleurs d’un autre : « Chaque être à son essence propre, il est né pour l’accomplir, la parfaire, la dégager, ainsi qu’un très suave parfum. » » (1).

Pour Kant, il existe une loi morale objective, que nous connaissons non par l’expérience, mais par la raison. Elle nous oblige à telle action, nous retient de telle autre, simplement en exigeant et en interdisant. La loi morale est bien évidemment un impératif catégorique. Barrès pense alors qu’il y a manipulation et donc danger :

« C’est alors que nous aurions embrassé une grande pensée, la plus ample et la plus décisive, dont, à plusieurs reprises, je vous ai signalé les temps : comment Kant aboutit au scepticisme absolu et puis comment il rétablit le principe de certitude en disant : « une réalité existe, c’est la Loi morale. » Beaux horizons, messieurs qu’il ne nous est pas donné de parcourir ensemble, mais, prévenus par mes soins, vous voudrez souvent y revenir. » (2).

L’enseignement de Bouteiller dans Les Déracinés est présenté par Barrès comme ayant été organisé pour imposer la morale kantienne. Bouteiller aurait voulu faire redescendre ses élèves vers le scepticisme absolu à seule fin d’imposer à leur désarroi le désarroi de la raison pratique : l’impératif catégorique. Mais il est étonnant de remarquer que Barrès n’exploite pas les critiques

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