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A. REVUE DE LA LITTERATURE

I. Le contexte socio-historique : de hier à aujourd’hui

1) dans le domaine de la recherche : des résultats et des débats

Quentel (2014, p. 23) rappelle comment les deux représentations de l’enfant, en tant qu’« être-en-devenir » puis en tant qu’« enfant-sujet », ont influé sur les recherches : en effet, envisageant l’enfant uniquement dans sa dimension inachevée, les recherches « durant quasiment tout le XXe siècle » se sont centrées sur son développement, jusqu’à l’âge adulte ; aujourd’hui, de plus en plus de chercheur.e.s considèrent l’enfant « comme un individu au même titre que n'importe quel autre individu, même si l'on affirme dans le même temps qu'il est fragile et qu'il doit, de ce point de vue, être l'objet d'une sollicitude particulière ».

Le concept de « child agency », parfois traduit en français par « agencéité » ou « agentivité » de l’enfant, évoque ainsi la capacité de l’enfant à l’autodétermination qu’il va pouvoir mettre en œuvre grâce à sa capacité d’action. En sociologie, ce concept est à l’origine d’un nouveau champ de recherche, la sociologie de l’enfance. Diverses caractéristiques le distinguent d’autres champs de la sociologie tels que la sociologie de l’école, de l’éducation ou de la famille (Sirota, 2005, 2010, 2012). Surtout, c’est l’enfant en tant que personne sociale qui en est l’objet de recherche (Delalande, 2014a).

En sociologie de l’enfance, la notion d’acteur indique le fait de ne pas voir l’enfant seulement comme un futur adulte, un être à éduquer et sur lequel l’adulte agit, mais aussi comme un être au présent qui se socialise au sein des multiples interactions auxquelles il participe. (Delalande, 2014a, p. 2-3)

Delalande a montré l’existence d’une « culture enfantine », qu’elle définit comme « l’ensemble des connaissances et des comportements, des techniques et des représentations qui caractérise un groupe d’enfants particulier, et qui participe à les construire comme êtres de culture » (2014a, p. 2). Elle souligne la pertinence de « ces deux concepts, enfant acteur et culture enfantine » pour « travailler l’éternelle question de l’altérité de l’enfant par rapport à l’adulte » (Delalande, 2014a, p. 3).

Globalement, les recherches sur l’agencéité de l’enfant visent à éclairer la participation de l’enfant à son propre développement ainsi que les facteurs qui y contribuent ou, au contraire, tendent à l’entraver14. Par ailleurs, plutôt que d’obtenir des renseignements sur l’enfant uniquement auprès des adultes de leur entourage, de plus en plus de chercheur.e.s recueillent les données directement auprès des enfants, par observation, entretien mais aussi à l’aide

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d’outils méthodologiques développés spécifiquement en direction des enfants, comme l’analyse de dessins, de photos, etc.15 Certain.e.s, cependant, continuent d’émettre de fortes réserves sur ces recueils de données auprès des enfants et des débats opposent les chercheur.e.s, parfois au sein d’une même discipline. Ainsi, dans un article publié dans la revue AnthropoChildren, Lancy (2012, p. 4) souligne qu’il est difficile pour un chercheur qui s’intéresserait à des populations autres que le « microcosme bourgeois des populations occidentales »16 de réussir à recueillir la parole des enfants17. Il évoque les réticences, se traduisant souvent par du mutisme, de la part des enfants et adolescents rencontrés par divers ethnologues au cours de leurs investigations18. Pourtant, certains travaux ont montré que c’était possible. Il en est ainsi de la recherche menée par Halasa (2017), par exemple, qui porte sur l’expérience d’enfants en situation de sans-logement, âgés de 7 à 13 ans, étudiée à l’aide d’entretiens compréhensifs et du questionnaire KidCope : à partir de ces données recueillies directement auprès des enfants, elle a pu analyser finement leur perception de la situation de sans-logement, les facteurs de stress auxquels ils sont soumis et leurs stratégies de coping.

Lancy pointe, par ailleurs, que souvent les enfants endossent les mêmes valeurs que les adultes, à rebours de la notion d’agencéité de l’enfant, approuvant la soumission à l’autorité parentale qui est attendue d’eux et qui implique de leur part d’obéir à leurs parents, de participer aux tâches et de contribuer aux ressources du groupe familial. Delalande lui répond dans un numéro ultérieur de la même revue, AnthropoChildren. Selon elle, l’enfant « réagit à ce qu’on lui propose et impose » et « les enfants gardent cette capacité même si elle n’est pas acceptée et reconnue par les adultes. Dans ce cas, ils sont acteurs dans l’ombre et non acteurs partenaires des adultes » (2014a, p. 2). De plus, Delalande (2014a, p. 4) remarque que, dans les situations

15Des différences apparaissent, cependant, entre disciplines de recherche. Beaumatin, Espiau et Troupel (2005, p. 48) rappellent ainsi que « si le choix du point de vue de l’enfant est depuis longtemps le fait de la psychologie clinique (et bien sûr de la psychanalyse), c’est une option qui tend à faire son chemin en psychologie du développement ».

16 Toutes les traductions françaises d’extraits d’articles et d’ouvrages en langue anglaise sont personnelles.

17« The call to accord agency to children is usually accompanied by the injunction to listen to their “voices” (Kellet 2009) in order to document the uniquely juvenile culture as well as the many changes children effect on the culture at large. Indeed, the thoughts and opinions of children are seen as the most critical data sources. This injunction ignores how difficult it is – outside western bourgeois society – to interview children. » (Lancy, 2012, p. 4)

18Lancy (2012, p.4) cite ainsi les travaux de Young (2010, p. 87) auprès d’adolescentes aborigènes, ceux de Little (2008, p. 29, 33) auprès d’enfants Asabano et ceux de Polak (2011, p. 112) auprès d’enfants Bamana.

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où c’est l’appartenance à un groupe qui est favorisée, plutôt que la capacité à y exprimer ses propres préférences et points de vue, l’enfant va « exercer son agencéité par des pratiques qui unifient les membres du groupe, et qui répondent ainsi aux valeurs en place » : selon elle, le concept d’agencéité de l’enfant pourrait donc être mobilisé également pour ce type de terrain. Quentel(2014) souligne, quant à lui, la nécessité de distinguer la notion d’acteur, qui renvoie à une reconnaissance d’« une « activité » de la part de l’enfant qui s’oppose à la passivité dans laquelle on le cantonnait bien souvent autrefois », de la notion d’auteur, « qui supposerait, quant à elle, (…) la capacité de se faire véritablement co-constructeur du savoir » (p. 30). En effet, pour Quentel (2014), l’enfant n’est pas capable de réflexivité vis-à-vis de l’éducation reçue et il ne peut donc, « tant qu’il est enfant, que s’imprégner sans recul de ce dont il hérite », à la différence de l’adulte et même de l’adolescent.

(…) l’adulte et déjà l’adolescent, en tant qu’il est sorti de l’enfance, ont la possibilité de modifier, d’altérer au sens plein de ce terme, de s’approprier en fin de compte, le legs qui est le leur. Penser que l’enfant réalise déjà ce qu’il ne commencera à faire que lorsqu’il sera devenu adolescent, donc capable d’autonomie dans le principe, constitue une erreur grossière, aux conséquences importantes. (Quentel, 2014, p. 31)

Selon Quentel (2014), l’enfant pourrait donc être considéré comme un acteur mais pas comme un auteur de son développement. C’est pourquoi il soutient, pour sa part, qu’en ce qui concerne l’autonomie, « il faut offrir à l’enfant les conditions les meilleures pour que, au moment où il sera en mesure de l’exercer, il puisse véritablement le faire » (Quentel, 2014, p. 28).

Considérer l’enfant comme sujet et acteur de son développement a des implications fortes sur les recherches, en termes d’objets de recherche et d’approche méthodologique, notamment, et les débats épistémologiques ne manquent pas (Delalande, 2014a ; Quentel, 2014).

Globalement, il semble qu’aujourd’hui, la communauté scientifique, du moins en sciences humaines et sociales, reconnaisse l’enfant comme sujet, acteur de son développement. Par ailleurs, le changement de regard sur l’enfant paraît s’accompagner d’un nouvel intérêt pour le développement humain tout au long de la vie, avec un essor des recherches « life span » (Evans, 2015 ; Lecerf et al., 2007 ; Robin et Fontaine, 2013) : d’une part, l’enfant n’est plus seulement envisagé sous l’angle de son éclosion en adulte, comme une graine portant l’arbre en elle, et,