• Aucun résultat trouvé

Le domaine KR est responsable de la réduction de la fonction cétone en position C3 en alcool secondaire (McPherson et al., 1998) et peut être responsable de l’épimérisation du groupement méthyle en position C2 (Keatinge-Clay, 2007). Ce domaine catalytique optionnel est monomérique et est composé d’environ 450 acides aminés (Zheng et al., 2010). Le domaine KR est divisé en deux sous-domaines, un sous-domaine catalytique d’environ 240 acides aminés, et un sous-domaine non-catalytique d’environ 200 acides aminés, tous deux structurés avec le même repliement de type Rossmann (Figure 22) (Zheng et al., 2010). Plus précisément, le sous-domaine catalytique contient une tétrade catalytique caractéristique de la famille des déshydrogénases/réductases à courte chaîne (de l’anglais Short-chain dehydrogenase/reductase (SDR)), et est capable de fixer le cofacteur NADPH (Reid et al., 2003 ; Zheng et al., 2010).

Figure 22 : Structure cristallographique du domaine KR provenant du module 2 de la PKS responsable de la synthèse de l’amphotéricine (PDB : 3MJC ; Zheng et al., 2010). Le sous-domaine catalytique est représenté en bleu. Il est responsable de la fixation du cofacteur

Le mécanisme catalytique illustré dans la Figure 23 implique le transfert d’un hydrure 4-pro-S du cofacteur NADPH au niveau du carbone C3 portant la fonction cétone (McPherson et al., 1998). La réaction enzymatique est favorisée par l’augmentation du caractère électrophile de la fonction cétone car l’état de transition dans lequel il est attaqué est stabilisé par deux stratégies : la formation d’une liaison hydrogène par la sérine 144 et la catalyse acide générale par la tyrosine 157, qui réduisent toutes deux la charge négative sur l’oxygène. Ce dernier acide aminé effectue une catalyse acide au niveau de la fonction cétone pour stabiliser l’oxyanion formé, générant alors un groupement hydroxyle. La Tyr catalytique est finalement stabilisée grâce à un relais de proton qui implique une lysine, une glutamine, l’hydroxyle du ribose et quatre molécules d’eau (Reid et al., 2003).

Figure 23 : Mécanisme catalytique du domaine KR (d’après Tsai and Ames, 2009). La réaction de réduction de la fonction cétone au niveau du carbone C3 du polycétide en cours de biosynthèse implique une tétrade catalytique et le cofacteur NADPH. La tyrosine catalytique joue le rôle de catalyseur acide et cède un proton pour stabiliser l’oxyanion généré par la réduction. Cette tyrosine sera ensuite régénérée par un relai de proton impliquant une lysine, une glutamine, l’hydroxyle du ribose, ainsi que quatre molécules d’eau.

Les domaines KR catalysent une réduction stéréospécifique du groupement cétone au niveau du carbone C3, avec pour conséquence la génération d’un groupement hydroxyle pouvant adopter deux configurations possibles (Figure 14) (Siskos et al., 2005). Le mécanisme

catalytique implique le cofacteur NADPH qui est toujours fixé dans la même orientation dans le site actif quelle que soit la direction finale de réduction. Par conséquent, la direction de réduction découle des deux modes d’entrée du substrat lié au groupement phosphopantéthéine du domaine ACP dans le site actif du domaine KR (Figure 24). Plusieurs motifs au sein des domaines KR ont été identifiés par alignement de séquences (Caffrey, 2003), et ont permis de les classer en deux grands types. En premier lieu, il existe le type A conduisant à la formation d’un hydroxyle de configuration S et en second lieu, le type B amenant à la configuration R

lorsque les substituants en C2 sont prioritaires par rapport au C4. Il est à noter que la nomenclature de la stéréochimie est inversée lorsque les substituants en C4 sont prioritaires par rapport au C2. De surcroît, un troisième type de domaine KR existe, le type C qui ne présente pas d’activité réductase. La résolution de nombreuses structures de domaines KR a révélé que les motifs clés sont localisés à proximité du site actif (Keatinge-Clay, 2007 ; Zheng and Keatinge-Clay, 2011 ; Zheng et al., 2010, 2012, 2013 ; Bonnett et al., 2013 ; Piasecki et al., 2014 ; Liu et al., 2018). En effet, le motif LDD est caractéristique des domaines KR de type B et est trouvé au sein d’une boucle à proximité du site actif. Quant aux domaines KR de type A, ils ne possèdent pas le motif LDD, mais un acide aminé tryptophane conservé. Ces acides aminés se situent du côté opposé à tyrosine catalytique.

Figure 24 : Modèle du contrôle de la stéréochimie lors de la réduction catalysée par le domaine KR (Adapté de Weissman, 2017). Le positionnement de la tétrade catalytique et du cofacteur NADPH sont conservés au sein de tous les domaines KR. C’est donc la direction de l’entrée du substrat dans le site actif du domaine KR (cercles pleins en rouge et en bleu) qui détermine la direction de la réaction de réduction. L’entrée par la gauche génère une stéréochimie de type A, tandis que l’entrée par la droite génère une stéréochimie de type B. Dans les deux cas, le NADPH délivre son hydrure par le dessous du substrat.

Le rôle du tryptophane caractéristique des domaines KR de type A a été mis en lumière grâce à la structure à haute résolution du domaine KR du second module de la PKS responsable de la synthèse de l’amphotéricine co-cristallisé avec le cofacteur et le substrat (Liu et al., 2018). L’entrée du substrat est favorisée par l’interaction entre le tryptophane conservé et le bras phosphopantéthéine. En effet, il avait été montré précédemment que la mutation de cet acide aminé entraîne une modification de la stéréospécificité (Baerga-Ortiz et al., 2006 ; Zheng et al., 2010). Cependant, cette interaction ne serait pas universelle pour tous les domaines KR de type A, puisque cet acide aminé est plus enfoui dans certains domaines KR de type A comme le domaine KR11 de la PKS responsable de la synthèse de l’amphotéricine, ce qui indique qu’il n’y aurait pas d’interaction directe entre le bras phosphopantéthéine et le tryptophane. Par conséquent, d’autres bases moléculaires seraient impliquées dans la réduction (Bonnett et al., 2013 ; Zheng et al., 2013). Concernant l’implication des motifs caractéristiques des

domaines KR de type B, et se basant sur des études récentes (Dutta et al., 2014 ; Kim et al., 2014), Keatinge-Clay et coll. (Liu et al., 2018) propose qu’un aspartate équivalent au troisième résidu du motif LDD caractéristique des domaines KR de type B aiderait à orienter le bras phosphopantéthéine en formant une liaison hydrogène avec le groupe carbonyle en C4.

Un modèle alternatif propose que la direction de la réduction soit contrôlée par un degré de structuration du site actif différent entre les domaines KR de type A et B (Bonnett et al., 2013 ; Weissman, 2017). Pour les domaines KR de type A, la présence du cofacteur NADPH permet de maintenir un site actif catalytiquement compétent, dans lequel un acide aminé clé bloque l’entrée dans le site actif par le nord-ouest. Cette configuration contraindrait le substrat à entrer dans le site actif uniquement par le sud-est. Le tryptophane caractéristique des domaines KR de type A pourrait alors aider à positionner le bras phosphopantéthéine par l’intermédiaire d’une liaison hydrogène. En ce qui concerne les domaines KR de type B, le substrat est supposé entrer par les deux entrées du site actif. Cependant, seule l’entrée du substrat du côté nord-ouest génère un site actif catalytiquement compétent. Dans ce modèle, le motif LDD n’interagirait pas directement avec le substrat, mais favoriserait la configuration catalytiquement compétente du site actif.

Certains domaines KR possèdent en plus de leur activité réductase, une activité épimérase du groupement méthyl au niveau du carbone C2 en inversant sa configuration (Keatinge-Clay, 2007 ; Garg et al., 2013, 2014). Ainsi, il faut différencier les domaines KR de type A1 et B1 sans activité épimérase et celles de type A2 et B2 avec activité épimérase (Figure 14). Le type C se divise également en deux sous-types, C1 et C2, dont le dernier est capable de catalyser une épimérisation (Keatinge-Clay, 2007). Comme montré Figure 25, le mécanisme catalytique impliquerait la tyrosine et la sérine catalysant la réduction (Xie et al., 2016), mais le modèle proposé est encore incomplet car les catalyseurs acide et basique potentiellement impliqués ne sont pas encore identifiés. En effet, les études bio-informatiques n’ont pas permis d’identifier des motifs caractéristiques des domaines KR épimérisants (Keatinge-Clay, 2007 ; Kitsche and Kalesse, 2013), et donc d’autres bases moléculaires sont potentiellement impliquées. Un mécanisme hypothétique propose que le mode de fixation du substrat pour la réaction d’épimérisation ne soit pas le même que pour la réaction de réduction (Weissman, 2017).

Figure 25 : Mécanisme catalytique du domaine KR (d’après Xie et al., 2016). La réaction d’épimérisation de la fonction cétone au niveau du carbone C2 du polycétide en cours de biosynthèse implique les deux acides aminés tyrosine et sérine de la tétrade catalytique de la réaction de réduction.

Néanmoins, même si les mécanismes catalytiques impliquant la double activité des domaines KR ne sont pas parfaitement élucidés, des expériences de biologie synthétique ayant pour but de modifier la stéréochimie en manipulant les domaines KR devraient permettre de modifier la stéréochimie d’un polycétide. Ces expériences ont confirmé que d’autres bases moléculaires sont impliquées dans l’activité des domaines KR (Kellenberger et al., 2008 ; Annaval et al., 2015 ; Eng et al., 2016) et ces résultats ainsi que les conséquences sur la biologie synthétique des PKS modulaires seront détaillés dans la partie suivante.

E. Les autres réactions de réduction

Documents relatifs