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Diversité écologique et comportementale

1.4 Diversication et évolution chromosomique chez les Cercopithèques

1.4.1 Diversité écologique et comportementale

Les cercopithèques forment la plus grande tribu des Catarrhini actuels et se divisent en 5 genres : Cercopithecus (25 espèces), Chlorocebus (6 espèces), Erythrocebus (1 espèce), Allenopithecus (1 espèce) et Miopithecus (2 espèces) (Groves,2001; Wilson and Reeder, 2005). Ils se distribuent largement en Afrique et adoptent des niches écologiques diérentes, aux inuences multiples sur l'évolution de leurs stratégies de survie. Les cercopithèques sont ainsi particulièrement diversiés dans leurs couleurs, morphologies, régimes alimentaires ou encore organisations sociales.

56 Chapitre 1. Introduction Distribution géographique

Toutes les espèces de cercopithèques sont endémiques à l'Afrique subsaharienne (Wolfheim, 1983; Enstam and Isbell, 2007)(Figure 4.1). Le genre Chlorocebus possède la plus grande aire de répartition, puisqu'on retrouve les espèces qui le composent dans toute l'Afrique subsaha-rienne, à l'exception du désert de Namibie en Afrique du Sud et des denses forêts tropicales d'Afrique de l'Ouest (Niger, Cameroun, Congo et République Démocratique du Congo). Les espèces du genre Cercopithecus se distribuent principalement en Afrique centrale et Afrique de l'Ouest ; la distribution de quelques espèces, comme Cercopithecus lhoesti, C. mitis et C. neglectus, s'étend à l'est jusqu'au Rwanda, en Uganda et au Kenya. D'autres espèces de Cerco-pithecus ont en revanche une distribution très restreinte, comme C. solatus (Figure 4.2) qui est endémique du Gabon (Harrison, 1988). Allenopithecus nigroviridis est retrouvé en Afrique cen-trale, depuis l'Angola au sud-ouest jusqu'à la République Démocratique du Congo au nord-est. La distribution d'Erythrocebus patas prend quant à elle la forme d'une bande étroite au sud du désert du Sahara, allant du Sénégal et de la Guinée à l'ouest jusqu'à l'Ethiopie, le Kenya et la Tanzanie à l'est. Enn, les deux espèces de Miopithecus sont retrouvées en Afrique de l'Ouest, avec Miopithecus talapoin distribué plus au nord, au Cameroun et au Gabon, et M. ogouensis distribué plus au sud, en Angola et en République Démocratique du Congo.

Habitats et régimes alimentaires

Les espèces du genre Cercopithecus occupent des habitats forestiers variés mais généralement denses, comme les forêts tropicales humides, les forêts de bambous ou encore les forêts ma-récageuses (Zeeve, 1991; Fleury and Gautier-Hion, 1997; Struhsaker, 2000). Les Chlorocebus préfèrent des habitats plus ouverts comme les savanes arborées, tout comme E. patas que l'on retrouve également dans des prairies (Nakagawa, 1999; Enstam and Isbell,2002). Allenopithe-cus nigroviridis vit quant à lui dans des forêts marécageuses, tout comme les MiopitheAllenopithe-cus que l'on peut cependant retrouver aussi dans des forêts plus tropicales (Gautier-Hion, 1971, 1973; Gautier,1985). Ces diérents milieux de vie inuent sur l'alimentation des cercopithèques ; les espèces vivant en milieux forestiers et celles vivant en milieux ouverts adoptent des régimes alimentaires distincts.

Le régime des cercopithèques forestiers se compose essentiellement de fruits mais inclut égale-ment de jeunes feuilles, des eurs, des graines, des insectes ou encore de petits vertébrés ; en proportions variant entre espèces, mais également entre populations d'une même espèce. La proportion de fruits inclus dans le régime alimentaire de C. mitis peut ainsi varier de 15 à 91 % (Butynski, 1990; Lawes et al., 1990), et la proportion de feuilles inclues dans le régime de C. cephus (Figure 4.3) aller jusqu'à 74 % pour les individus de la forêt de Budongo (Uganda) (Sheppard, 2000). Les graines, bien que diciles à digérer, peuvent composer la majeure par-tie du régime de certaines populations vivant dans des niches pauvres en ressources, comme

Figure 4.1 Carte géographique du continent africain (Imagery ©2016 Data SIO, NOAA, U.S. Navy, NGA, GEBCO, Landsat, IBCAO, Map data ©2016 Google, ORION-ME). Le Congo se situe à l'ouest de la République Démocratique du Congo, et le Gabon au sud de la Guinée Equatoriale.

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Figure 4.2  Cercopithecus solatus, Gabon (photographie : Peggy Motsch)

les C. nictitans (Figure 4.4) et C. pogonias de la forêt de Makandé (Gabon) (Brugiere et al., 2002). Les insectes peuvent également représenter une grande partie du régime alimentaire des cercopithèques forestiers, atteignant 45 % de celui-ci pour les C. mitis de la forêt de Kibale (Uganda) (Butynski, 1990). Les cercopithèques les chassent activement et utilisent pour cela plusieurs techniques ; ils peuvent par exemple préférer attraper leur proie à la main, ou bien tenir le substrat (feuille, branche) où elle se trouve et l'attraper directement avec leur bouche, comme les C. mitis de la forêt de Kakamega (Kenya) (Cords, 1986). Les cercopithèques fores-tiers peuvent également consommer occasionnellement des lézards, serpents, oiseaux, écureuils, souris et chauve-souris ; voire même d'autres primates de petite taille, comme les galagos ( Fu-ruichi, 2006; Cords and Fuller, 2010; Lawes et al.,2013;Tapanes et al., 2016).

Les cercopithèques de milieux ouverts ne consomment quant à eux que très peu de fruits ; ceux-ci ne représentent pas plus de 10 % de leur régime (Whitten,1983;Nakagawa,1989;Isbell,1998). La sève solidiée, ou gomme, des acacias est en revanche un aliment important pour eux ; elle constitue par exemple 37 % du régime des E. patas du Kenya (Isbell, 1998). Les acacias leur fournissent également des feuilles, des épines, des graines, des fruits, des eurs et de l'écorce ; ces arbres représentent à eux seuls 75 % du régime des Chlorocebus du parc national d'Amboseli (Kenya) (Wrangham and Waterman, 1981) et 83 % du régime des E. patas du Kenya (Isbell, 1998; Pruetz and Isbell, 2000). Les cercopithèques de milieux ouverts se nourrissent également d'insectes, mais qu'ils ne chassent généralement pas de manière active ; les E. patas du Kenya consomment principalement des fourmis qu'ils obtiennent en mordant dans les grosses épines d'acacias où elles nichent, et en les extrayant avec leur langue (Isbell, 1998;Enstam and Isbell, 2007). Pour ne pas que les fourmis s'alarment et les attaquent, ils ne se nourrissent que sur une ou deux épines d'un même acacia, avant de migrer vers un nouvel arbre. Les E. patas consomment également et occasionnellement des criquets, auxquels ils donnent chasse dans les

Figure 4.3  Cercopithecus cephus, Gabon (photographie : Peggy Motsch)

60 Chapitre 1. Introduction herbes (Enstam and Isbell, 2007).

Systèmes sociaux et associations polyspéciques

La plupart des cercopithèques vivent en groupes se composant d'un mâle résident et de plu-sieurs femelles (Rowell, 1988; Cords, 2004), à l'exception des Chlorocebus, de M. talapoin et d'A. nigroviridis qui vivent en groupes multimâles et multifemelles (Struhsaker,1967; Gautier-Hion, 1971, 1973; Gautier, 1985; Zeeve, 1991). Les groupes multisexes de M. talapoin ne se forment cependant qu'en période de reproduction ; le reste du temps, les mâles et les femelles vivent séparés (Rowell, 1971; Rowell and Dixson, 1975). Dans des contextes de populations en déclin, il est également possible de retrouver des groupes se réduisant à un mâle et une femelle, comme observé pour C. neglectus (Gautier-Hion and Gautier, 1978). Chez toutes les espèces étudiées jusqu'ici, les mâles quittent leur groupe une fois atteint la maturité sexuelle, tandis que les femelles restent leur vie durant au sein du même groupe ; excepté dans des cas de déclin de populations où les femelles d'un groupe peuvent décider de se joindre à un groupe voisin (Hauser et al.,1986;Isbell et al.,1991). Les mâles partant peuvent intégrer un nouveau groupe en se battant éventuellement avec un mâle résidant pour prendre sa place (Enstam et al.,2002). Ce dernier n'est cependant pas toujours forcé de quitter le groupe lorsque déchu (Tsingalia and Rowell,1984) ; plusieurs mâles peuvent, en particulier, cohabiter au sein d'un groupe normale-ment non-multimâle pendant les périodes de reproduction (Chism and Rowell, 1986; Harding and Olson, 1986; Cords, 1988, 2004). Un seul mâle ne serait en eet pas toujours en mesure de défendre un accès exclusif à plusieurs femelles lors de ces périodes (Cords, 2004). Suite à de telles instabilités, il peut arriver, bien que rarement, que le groupe se divise et se répartisse entre diérents mâles (Struhsaker and Leland, 1988).

Etant donnée la structure sociale prédominante chez les cercopithèques, la majorité des in-teractions sociales au sein d'un groupe se fait entre femelles, et entre les femelles et le mâle résident ; ce principalement pendant la saison de reproduction, puisque le mâle adopte la plu-part du temps une position périphérique par rapport au groupe (Hall,1966;Chism et al.,1984; Rowell, 1988). Les interactions entre femelles d'un même groupe sont généralement amicales et consistent surtout en toilettage mutuel, ou grooming. Les femelles prennent également soin de leurs petits mais aussi des petits des autres femelles (Chism, 1978; Struhsaker and Leland, 1979; Zucker and Kaplan,1981;Chism and Rogers, 2004). Chez la plupart des espèces de cer-copithèques, il n'y a pas de hiérarchie clairement établie entre individus (Cords et al., 1987; Cords,2000; Isbell and Pruetz,1998). Pour ce qui est des relations entre groupes, celles-ci sont en revanche plutôt agressives (Cheney, 1987), que les individus défendent (C. diana, C. asca-nius, C. mitis) ou non (E. patas, C. neglectus) un territoire particulier (Struhsaker and Leland, 1979; Cords et al., 1987; Hill, 1994). Lors des rencontres, les groupes échanges en premier lieu via des vocalisations dédiées aux situations de conit, tant de la part des femelles que des mâles qui, stimulés par les cris des femelles, produisent des sons particulièrement graves (Hill, 1994). Les individus peuvent ensuite se chasser, parfois sur de longues distances, et s'agresser

physiquement si le conit perdure (Chism,1999;Windfelder and Lwanga, 2004).

Les cercopithèques vivant en forêt et adoptant un mode de vie arboricole, c'est-à-dire tous les Miopithecus, Allenopithecus et Cercopithecus - à l'exception de C. neglectus, C. lhoesti, C. preussi et C. solatus qui sont semi-terrestres - ont par ailleurs tendance à s'associer entre espèces au sein d'un même groupe, ou avec d'autres espèces de primates, de manière transitoire ou pérenne ; on parle alors d'associations polyspéciques (Figure4.5). Par exemple, C. pogonias et C. nictitans passent l'intégralité de leur temps associés l'un avec l'autre ou avec d'autres espèces de cercopithèques (Gautier-Hion and Gautier,1974;Gautier-Hion et al.,1983). Dans de rares cas, ces associations résultent en croisements interspéciques pouvant donner naissance à des hybrides fertiles (au moins partiellement)(Figure 4.6), comme reporté entre C. mitis et C. ascanius (Aldrich-Blake,1968;Struhsaker and Leland,1988). Les bénéces des associations polyspéciques entre cercopithèques reposeraient principalement sur l'accès à la nourriture et la détection des prédateurs. En eet, les groupes polyspéciques ont tendance à explorer de plus vastes territoires, et accèdent ainsi à plus de ressources (Gautier-Hion, 1988) ; les espèces se guident les unes les autres en fonction de leur degré de connaissance de l'environnement (Struhsaker, 1981; Cords et al., 1987; Cords, 1990). De plus, de telles associations réduisent le risque pour une espèce d'accéder tardivement à un site déjà exploité par une autre espèce (Gautier-Hion et al.,1983). Les prédateurs contre lesquels les associations polyspéciques entre cercopithèques permettent de lutter plus ecacement sont majoritairement l'aigle couronné, le chimpanzé, le léopard et l'homme (Gautier-Hion et al., 1983; Haltenorth and Diller, 1988; Struhsaker and Leakey, 1990). En eet, diérentes espèces de cercopithèques peuvent être plus ou moins habiles à détecter un certain danger ; au sein d'un groupe trispécique de C. pogonias, C. cephus et C. nictitans suivi au Gabon, ce sont ainsi principalement les C. cephus qui alarment en premiers les autres des dangers venant du sol, et les C. pogonias qui poussent les premiers cris d'alarme concernant les dangers venant du ciel (Gautier-Hion, 1988). Diérentes espèces peuvent également se protéger plus activement : un mâle C. nictitans a été vu rentrer en conit avec un aigle pour défendre un C. cephus de son groupe polyspécique (Gautier-Hion,1988). Les C. cephus sont en eet particulièrement sensibles à ce prédateur en raison de leur petite taille ; leur association avec des espèces comme C. nictitans et C. pogonias leur permet d'explorer avec plus de sécurité des milieux forestiers moins denses mais plus riches en ressources, où ils n'osent pas s'aventurer lorsqu'ils sont en groupes monospéciques (Gautier-Hion et al., 1981, 1983).

Les cercopithèques vivant en forêt mais adoptant un mode de vie semi-terrestre, ne s'asso-ciant pas en groupes polyspéciques, ont développé des stratégies de survie diérentes des cercopithèques arboricoles (Gautier, 1975; Quris, 1976; Gautier-Hion and Gautier, 1978). Ils vivent généralement en groupes plus restreints, et parcourent moins de distance que les cercopi-thèques arboricoles pour se nourrir ; ils exploitent ainsi beaucoup plus activement les ressources qui s'orent à eux. Par ailleurs, ils sont plutôt cryptiques et luttent contre les prédateurs en se cachant d'eux ; les C. neglectus n'ont même aucun cri d'alarme et préfèrent s'éloigner silencieu-sement en cas de danger ou bien se ger, pendant plusieurs heures si nécessaires. La stratégie

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Figure 4.5  Cercopithecus nictitans et C. cephus en association polyspécique, Gabon (photo-graphie : Peggy Motsch)

Figure 4.7  Visage coloré du C. cephus (photographie : Peggy Motsch)

anti-prédation adoptée par les Cercopithecus semi-terrestres est en adéquation avec leurs robes plutôt neutres, qui tranchent avec les robes très colorées et contrastées des cercopithèques arboricoles (Rowell, 1988)(Figure 4.7). Les prols de couleurs des visages de ces derniers se seraient en eet diversiés via la sélection de caractères leur permettant de mieux se distinguer entre espèces, et ainsi d'éviter la production coûteuse d'hybrides non ou partiellement fertiles (Kingdon, 1980, 2007; Allen et al., 2014).