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La découverte du noyau atomique en 1911 par Rutherford a donné naissance à une nouvelle disci-pline : la physique nucléaire. Alors que la première expérience réalisée ne faisait appel qu’à une source radioactive et à un écran scintillant, l’établissement des modèles nucléaires et la quantification des sections efficaces font depuis 19321 appel à des accélérateurs de particules et des détecteurs de plus en plus élaborés. On compte aujourd’hui des dizaines de laboratoires à travers le monde disposant d’accélérateurs permettant l’étude de la matière à l’échelle atomique, avec des applications aussi variées que l’énergie électronucléaire ou l’hadronthérapie. Plus contemporaine, la physique des particules, également appelée physique des hautes énergies, s’intéresse aux mécanismes régissant le comportement et l’interaction des particules élémentaires. Celle-ci se démarque de la physique nucléaire par l’ordre de grandeur de l’énergie des particules accélérées, qui doit permettre d’explorer les constituants élémentaires de la matière.

Les développements technologiques réalisés pour ces deux disciplines peuvent être séparés en deux ca-tégories. Les accélérateurs confèrent aux particules des énergies de plus en plus importantes, alors que les détecteurs permettent des mesures de plus en plus précises, à des taux de plus en plus élevés, dans des envi-ronnements aux contraintes croissantes. Que ce soit en physique nucléaire ou en physique des particules, les expériences comportent classiquement différents types de détecteurs dont l’ensemble permet l’identification des particules (type) ainsi que leurs propriétés (charge, énergie, direction).

La trajectométrie des particules chargées est une des mesures couramment réalisées dans les expériences. L’objectif d’une telle mesure est d’obtenir la trajectoire d’une particule chargée traversant le dispositif. Dans le cas d’une trajectoire rectiligne, la trajectoire est reconstruite à partir d’au moins deux positions d’interaction dans des détecteurs différents. On peut toutefois remarquer que cette trajectoire est couramment oblique, du fait du champ magnétique régnant dans certaines expériences. La courbure de la trajectoire mesurée contribue à la mesure des propriétés de la particule détectée2. Dans le cas de trajectoires circulaires dans un champ magnétique uniforme, un minimum de trois plans de détections est alors nécessaire.

La localisation du passage d’une particule chargée dans un détecteur constitue le principe de la trajectométrie. Différents types de détecteurs exploitent une ou plusieurs manifestations des phénomènes phy-siques qui peuvent se produire lorsqu’une particule chargée les traverse. Parmi ces phénomènes, on peut citer le rayonnement Tcherenkov3qui produit de la lumière dans le spectre UV-visible, le rayonnement de freinage4 qui produit des photons énergétiques, le phénomène d’ionisation qui a pour conséquence la création de paires électrons - ions (notons que ce phénomène peut se produire en cascade : les électrons créés peuvent à leur tour ioniser la matière) et le phénomène de scintillation qui produit des photons par désexcitation électronique (des atomes ou des molécules) du milieu scintillant. Dans les exemples que nous allons donner, le phénomène primaire majoritaire est celui d’ionisation, à l’origine d’une cascade d’interactions.

Dans un milieu transparent et scintillant, les particules chargées excitent la matière qui scintille alors, les photons créés sont alors éventuellement guidés puis convertis en signal électrique (photo-multiplicateurs, photodiodes à avalanches). Dans un milieu gazeux, les électrons créés peuvent être multipliés par un champ électrique procurant une accélération entraînant le phénomène d’avalanche. Les charges sont alors collectées et constituent le signal mesuré.

1 Année durant laquelle les Anglais Cockcroft et Walton réalisèrent la première désintégration du noyau par des particules

électriquement accélérées.

2 La courbure de la trajectoire d’une particule dépend de sa charge et de sa vitesse, pour un champ magnétique donné.

3 L’effet Vavilov-Tcherenkov, également appelé Cherenkov, se produit lorsqu’une particule chargée se déplace dans un milieu

diélectrique avec une vitesse supérieure à la vitesse de la lumière dans ce milieu. Il est particulièrement connu pour être à l’origine de la luminosité bleue de l’eau entourant le cœur d’un réacteur nucléaire.

4 Le rayonnement de freinage, également appelé bremsstrahlung, radiation de freinage ou de décélération, est un rayonnement

électromagnétique à spectre large créé par le ralentissement de charges électriques. Ce phénomène est notamment exploité pour produire des rayons X en radiothérapie ou en imagerie médicale.

Finalement, dans un matériau solide, les charges créées peuvent être directement collectés, mais l’utilisation de semi-conducteurs est alors nécessaire pour des raisons pratiques (qui seront développées dans la section 2.3.3

Fonctionnement détaillé d’un pixeldu détecteur utilisé).

Les détecteurs optiques adaptés à la trajectométrie sont nécessairement réalisés à partir de fibres scin-tillantes parallèles et jointives, constituant des plans de détection. Au moins deux plans parallèles avec une orientation des fibres différente sont nécessaires pour obtenir la position de passage d’une particule. Chacune des fibres doit être connectée à un canal de conversion photo-électrique. Des détecteurs multi-canaux de type

MC-PMT1 sont fréquemment utilisés, de même que des électroniques multi-voies de conditionnement et des

systèmes d’acquisition comportant eux aussi un nombre de voies important. Malgré le fait que des systèmes innovants [Presti, 2013] proposent des solutions visant à réduire le nombre de voies à lire simultanément, et donc le coût de fabrication, ces détecteurs ne sont actuellement pas disponibles prêts à l’emploi.

De nombreux types de détecteurs gazeux existent, dont le principe de fonctionnement est identique. Lorsqu’une particule ionisante traverse le gaz contenu dans un volume fermé, les charges créées par ionisation dérivent vers des électrodes polarisées qui génèrent le champ électrique à l’origine de cette dérive. Les détecteurs gazeux les plus connus sont les chambres à fils, également appelées chambres à dérive proportionnelle, qui ont avantageusement remplacé les chambres à bulles puis à étincelles.

Citons l’expérience FIRST faisant appel à une chambre à dérive pour la détection de fragments chargés [ Abou-Haidar, 2012]. Alors qu’une forte densification spatiale des fils assure un faible temps de dérive, un fort gain, et une bonne résolution spatiale, de nouvelles technologies reposent sur des électrodes miniaturisées micromé-triques. C’est le cas des resistive plate chambers (RPC) [Cerron Zeballos, 1996], des détecteurs type

Microme-gas [Giomataris, 1996] mais également des gas electrons multiplier (GEM) [Sauli, 1997]. Même si la plupart de ces détecteurs correspondent parfaitement aux critères physiques énoncés dans le cahier des charges, leur mise en œuvre est rendue complexe par le fait que la plupart nécessitent des gaz parfois dangereux, et sont particulièrement fragiles voire encombrants. À ma connaissance, aucun système n’est disponible « clé en main ». Les détecteurs à base de semi-conducteurs sont largement utilisés comme trajectomètres de vertex dans les expériences de physique nucléaire et des particules. En effet, leur encombrement réduit permet de les placer au plus prêt des zones de collisions et permet de réaliser des empilements avec des budgets de matière réduits. Ces détecteurs se présentent majoritairement sous la forme de tranches minces de silicium, dont les zones actives sont dopées pour assurer la collecte des charges.

L’essor des technologies de conception et de fabrication des semi-conducteurs en grandes séries se répercute sur les développements de tels détecteurs. Ainsi, alors qu’il y a encore vingt ans ces détecteurs étaient unique-ment constitués de bandes dont le signal était traité par une électronique externe déportée, il existe aujourd’hui des détecteurs pixelisés avec des électroniques de traitement intégrées. Citons les détecteurs pixélisés hybrides, qui équipent par exemple les détecteurs de microvertex des expériences ATLAS et CMS [Delpierre, 2014], ainsi que les détecteurs monolithiques pixelisés : les MAPS2. Cet acronyme, de même que les différentes technologies existantes ainsi que leur fonctionnement seront décrits précisément dans la section2.3.1 Présentation générale

relative au détecteur Mimosa 26.

Remarquons dès à présent que les détecteurs de particules chargées de type MAPS sont similaires aux dé-tecteurs qui équipent aujourd’hui nos appareils photo et téléphones mobiles, couramment appelés dédé-tecteurs

CMOS3, en remplacement de leurs ancêtres, les détecteurs CCD4. À ma connaissance, le premier détecteur

photographique de type MAPS réalisé avec la technologie CMOS et permettant une surface active proche de 100 % a été proposé en 1997 par [Fossum, 1997], alors que l’utilisation de MAPS pour la trajectométrie des particules chargées a été proposé en 2001 par [Turchetta, 2001].

1 Multi Channel - PhotoMultiplier Tube : transducteur photo-électrique voies constitué d’un photomultiplicateur

multi-anodes.

2 Monolithic Active Pixel Sensor peut se traduire par détecteur monolithique à pixels actifs.

3 Complementary Metal Oxide Semiconductor peut se traduire par semi-conducteur à oxydes métalliques.

4 Charge-Coupled Device peut se traduire par composant à transfert de charges. Les charges sont transférées de ligne en ligne

2.2.2 Choix d’un système de trajectométrie

Parmi les différentes types de détecteurs passés en revue, ceux à base de semi-conducteurs semblent particulièrement adaptés. En effet, de nombreux circuits sont développés pour la détection de vertex dans di-verses expériences, dont le cahier des charges physique est similaire au notre. Les critères décisifs sont alors ceux concernant la mise en œuvre d’un système complet. Cela inclut la disponibilité et le coût à la fois des détecteurs mais également du système mécanique, d’acquisition et d’analyse.

L’expérience FIRST [Pleskac, 2012], pour Fragmentation of Ions Relevant for Space and Therapy (frag-mentation des ions appliquée à l’espace et à la thérapie), basée au centre GSI, a été conçue pour permettre la mesure des sections efficaces de fragmentations nucléaires d’ions dont l’énergie spécifique est comprise entre 100 et 1 000 MeV. En effet, ces sections efficaces sont mal connues dans cette gamme d’énergie, et sont parti-culièrement importantes dans le domaine spatial (radiorésistance et blindage des systèmes embarqués) ou de l’hadronthérapie carbone (contribution du phénomène de fragmentation à la distribution de dose dans le patient). Le détecteur de vertex, qui assure la trajectométrie des fragments légers chargés s’échappant de la cible ainsi que des ions qui la traversent, est placé au plus près de la cible. Il est constitué de quatre plans de dé-tection séparés de 3 mm, chacun constitué de deux détecteurs en silicium mince pixelisés Mimosa 26 couvrant une surface active totale de 2 × 2 cm2, ce qui correspond à un angle d’acceptance de 40°. Les caractéristiques de ce détecteur sont compatibles avec le cahier des charges précédemment établi : ils détectent avec une efficacité proche de 100 % toutes les particules chargées, leur épaisseur est égale à 50 μm, leur résolution spatiale avoisine 4 μm [Hu-Guo, 2010], ils résistent à une fluence égale à 1011 neutrons (de 100 MeV)/cm2, fonctionnent sans temps mort, et ont un bruit inférieur à 10−4 pixels par acquisition.

Le détecteur Mimosa 26 a été conçu par l’équipe PICSEL1 de l’IPHC2 avec qui nous avons établi une collaboration dans le cadre du projet QAPIVI. Celle-ci a pu nous fournir un système complet, constitué du trajectomètre, du système d’acquisition, et d’un logiciel d’analyse. Le trajectomètre est identique au détecteur de vertex utilisé par l’expérience FIRST, et est constitué des détecteurs, collés sur des circuits imprimés, eux-même contenus dans une mécanique adaptée. Le système d’acquisition est quant à lui également prêt à l’emploi.

1 Physics with Integrated Cmos Sensors and ELectron machines.

2.3 Détecteur Mimosa 26