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Quel dispositif méthodologique pour observer la compétence à communiquer

5. INTERPRÉTATION DES RÉSULTATS

5.5 LIMITES DE LA RECHERCHE

5.5.2 Quel dispositif méthodologique pour observer la compétence à communiquer

Pour observer les manifestations des compétences pragmatiques en contexte, nous nous sommes principalement appuyés sur une observation non participante et asynchrone, à l’aide d’enregistrements vidéo. Bien entendu, le fait d’être observé et filmé lors des dialogues philosophiques a pu présenter un certain inconfort pour les élèves, ce qui a pu se traduire par une altération de leurs interactions naturelles (inconfort que nous avons tenté de minimiser en rassurant les élèves sur la confidentialité des observations). Toutefois, ce choix de dispositif méthodologique a été justifié en fonction d’exigences liées au caractère actionnel et temporel des interactions orales (Knoblauch, 2012; Maor, 2000; Mondada, 2012). De plus, les enregistrements nous ont permis d’étudier les interactions des élèves dans toute leur complexité en donnant la possibilité de visionner à plusieurs reprises de courtes séquences pour en décoder le plus de paramètres possibles. Le logiciel QSR Nvivo

10 a été un outil précieux à cet égard, puisqu’il nous a permis de coder directement sur les

séquences vidéo, nous évitant par le fait même de transcrire intégralement de nombreuses heures d’échanges oraux impliquant des groupes-classes d’environ trente étudiants. Le logiciel nous a d’ailleurs permis de procéder à quelques séances d’intercodage avec les membres du comité de recherche, puisqu’il nous était possible de visionner de nouveau les séquences vidéo associées à chacun des indicateurs et des sous-indicateurs des compétences pragmatiques utilisés comme catégories d’analyse et, ainsi, assurer une certaine cohérence intersubjective dans le processus d’analyse.

Malgré ces avantages, il est possible de dégager certaines limites de ce dispositif méthodologique. D’abord, les séances d’intercodage n’ont ciblé que certains indicateurs dont les critères définitionnels ne permettaient pas de les distinguer suffisamment d’autres indicateurs, ce qui entrainait certains glissements lors de l’analyse. Bien que l’intercodage ait pallié ces glissements, il n’a pas été appliqué systématiquement sur l’ensemble des séquences encodées (dans une perspective de contre-codage), ce qui constitue certainement une limite, puisque la stabilité globale de l’analyse n’a pas été examinée.

Ensuite, l’absence de transcriptions écrites intégrales n’a pas permis d’effectuer une analyse fine du discours qui aurait permis de dégager de possibles invariants dans la formulation et la structuration des actes discursifs (formulations des actes d’étayage, des actes de désaccord, des mises en relation explicites, etc.), invariants qui se seraient inscrits en cohérence avec la nature observable de la compétence à communiquer oralement. En effet, dégager les formulations spécifiques à travers lesquelles se manifestent les actes discursifs nous aurait permis de répondre à notre premier objectif de recherche avec beaucoup plus de précision. Du même coup, une telle analyse du discours nous aurait peut- être permis de fournir des balises plus près des besoins des praticiens, parce qu’elles auraient constitué autant de manières de faire, ou plutôt des manières de dire, que les enseignants auraient pu enseigner et évaluer (p. ex. comment formuler un acte de questionnement, comment formuler un acte de désaccord, comment structurer un acte d’étayage, etc.). Bien sûr, à l’instar des indicateurs retenus pour cette recherche, ces manières de dire, malgré leur grande précision, auraient été influencées par le contexte de

leur manifestation, ce qui aurait également nécessité un effort de transposition didactique pour permettre leur utilisation en classe.

Cela dit, une analyse aussi fine n’aurait pu être effectuée sur une quantité équivalente de séquences vidéo, nécessitant plutôt de cibler certaines séquences à transcrire dans l’ensemble des dialogues observés en vue d’en faire un examen pointu. Toutefois, si la transcription écrite aurait permis d’apporter de nombreuses précisions par rapport au déploiement langagier des actes discursifs, il semble qu’elle n’aurait pas permis de mettre à jour les tendances liées aux types d’enchainement sur le discours d’autrui et les modes de gestion des tours de parole que notre processus d’analyse a permis de dégager. Ces indicateurs auraient été plus difficilement observables en verbatim, puisque leur observation dépendait de manifestations non verbales ainsi que de la temporalité des échanges oraux (Mondada, 2012). Ce que nous croyons donc important de souligner ici, c’est que le portrait que nous avons dressé des manifestations des compétences pragmatiques dans des dialogues philosophiques pourrait très bien être précisé dans des recherches futures par une analyse discursive des caractéristiques langagières (les mots fréquemment utilisés, l’organisation syntaxique fréquente des actes discursifs, etc.) de chacun des indicateurs et de sous-indicateurs de cette recherche.

Comme autre limite, il convient de soulever le possible déséquilibre entre les données d’observation et les données d’entretien. Bien que, dès le début processus de recherche, les entretiens aient été situés dans une perspective de triangulation des sources, il semble que la densité de l’analyse des séquences vidéo, et donc des observations du chercheur, a submergé l’analyse des données d’entretien, beaucoup moins abondantes. La

quantité de données d’entretien s’explique notamment par le faible taux de participation volontaire pour l’entretien de la part des élèves. En effet, si aucun d’eux n’a refusé de participer aux dialogues filmés, seulement cinq d’entre eux ont accepté de réaliser un entretien individuel. En raison de problèmes techniques, seulement quatre entretiens avec des élèves ont pu être conservés pour fins d’analyse. Ainsi, si les entretiens ont apporté un éclairage pertinent sur certains aspects des compétences pragmatiques occultés dans les données d’observation en plus de confirmer plusieurs observations du chercheur, il se peut que le faible nombre d’entretiens réalisés n’ait pas permis de mettre au jour certaines conceptions ou certaines bases de signification par rapport à la PDP chez les élèves. Il est également possible de penser que les réflexions des élèves interviewés ne soient pas partagées par une majorité de participants, ce que nous n’avons pas pu vérifier. Bref, bien que nous croyions avoir répondu à la dimension descriptive et à la dimension compréhensive de nos objectifs de recherche, il semble que nous ne l’ayons pas fait de manière égale.

Cette réflexion lève le voile sur l’importance de poursuivre la documentation des conceptions et des représentations des élèves par rapport aux interactions orales en PDP. En effet, la quasi-absence de données d’observation par rapport à certaines composantes des compétences pragmatiques à l’oral (p. ex. l’organisation du discours, la délimitation du discours) met partiellement en lumière les limites que le regard descriptif seul ne permet de dépasser. Ces limites ne sont donc pas sans rappeler l’importance d’aller du côté du regard que les acteurs des dialogues philosophiques portent eux-mêmes sur cette pratique. Ce

passage nous apparait essentiel pour mieux comprendre les données descriptives, ce qui constitue probablement une lacune de cette recherche.