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IV. Discussion

4.5. Discussion des résultats obtenus

4.5.1 Validité de l’échantillon

En comparant avec les chiffres de l’INED (Institut national d’études démographiques), la moyenne d’âge des femmes dans notre échantillon est sensiblement similaire : 27,3 ans avec un écart type de 7,8 ans contre 27,5 ans en France en 2011 (24).

Les dernières données de 2017 concernant la répartition par âge lors d’une IVG en Midi-Pyrénées montrent que les 20-24 ans restent la catégorie d’âge la plus représentées avec 26,2% des femmes (25). Dans notre échantillon, cette catégorie d’âge est également la plus représentée (environ 24%). Le recours à l’IVG pour les 18-19 ans est en diminution depuis plusieurs années (de 22 pour 1000 en 2010 à environ 17 femmes pour 1000 en 2017) alors que les taux ont plutôt tendance à croitre chez les 25-39 ans (26). Cette répartition est aussi observée dans notre échantillon avec une proportion plus importante de femmes entre 25-39 ans. On remarque par contre qu’il y a peu de femmes entre 30-34 ans dans notre échantillon (seulement 8,3%). Cela est probablement lié à la diffusion du questionnaire. Dans l’article de Moreau et al. basé sur l’étude COCON en 2005 (27), les femmes de 30-35 ans consultait plus fréquemment en premier lieu un médecin gynécologue comme premier interlocuteur (pour 38%). Une des faiblesses de cette étude est, en effet, qu’aucun de nos questionnaires n’a été retourné par des médecins gynécologues. Cette faiblesse peut donc expliquer en partie le manque de femmes représentées entre 30 et 34 ans.

Dans notre échantillon, une majorité de femmes (71 %) occupaient un emploi et 14% sont des étudiantes. Les données retrouvées dans les dernières études sociodémographiques de l’INED en Midi-Pyrénées montrent que 48% des femmes réalisant des IVG possèdent un emploi et 16% sont des étudiantes (28). Comparativement aux données, plus de femmes occupant un emploi ont donc répondu à notre étude. Moreau et al. (27) montre que les femmes de plus de 30 ans qui sont au chômage ou non active s’adressent pour leurs premières consultations pour 14,3% dans un centre médico-social (contre 7,2% pour les femmes actives). Cette différence est légèrement moins marquée pour les femmes de moins de 30 ans : 17,2% des femmes au chômage s’adressent à un centre médico-social contre 9,7% des femmes actives. Dans notre étude, seulement 11% de nos premières consultations se sont déroulées au CDEPF/Planning familial. Cette faiblesse peut donc expliquer en partie la proportion plus importante de femmes occupant un emploi.

Le dernier rapport de la DREES (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) de 2018 rapporte qu’en 2011, 33% des femmes ayant recours à une IVG l’avaient déjà fait au moins une fois auparavant (26). Dans notre échantillon, un quart des femmes ont réalisées plus d’une IVG.

En conclusion, nous avons obtenu un échantillon représentatif en termes de moyenne d’âge et de répartition par catégories d’âge des femmes réalisant une IVG en Occitanie Ouest. Il existe dans notre échantillon une sur-représentation des femmes occupant un emploi et une sous-représentation des femmes ayant réalisés plusieurs IVG.

4.5.2 Attitudes non bienveillantes lors de la première consultation d’IVG

Lors d’une démarche d’IVG, la première consultation représente le tout premier contact au cours duquel la femme exprime son choix d’interrompre sa grossesse. Ce premier contact est important puisqu’il va conditionner l’orientation dans la suite de sa prise en charge. Dans notre étude, environ un tiers à un quart des femmes rapportent des attitudes non bienveillantes lors de cette première consultation.

28% des femmes ont ressenti un mauvais accueil et 26% ont ressenti de la froideur de la part du professionnel. L’attitude et l’accueil du premier interlocuteur rencontré est important. En effet, les femmes y seraient sensibilisées (18). Leur ressenti ainsi que la prise en charge ultérieure peuvent être modifiés par l’accueil et l’attitude de l’interlocuteur (18). De plus, la durée entre la décision d’avortement et la réalisation de l’acte pourrais être modifiée par l’attitude de ce premier interlocuteur (29). On pourrait penser qu’améliorer l’orientation des femmes dans leur démarche pourrait permettre un meilleur accueil de celles-ci. Mais, pour un certain nombre de femmes, savoir à qui s’adresser en premier lieu est compliquée (20). L’information en amont est probablement insuffisante. Des progrès, au niveau national, ont été réalisés depuis 2013 sur la base des recommandations du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes (30) mais ceux-ci peuvent encore être renforcés en améliorant leurs diffusions. Le site IVG.gouv, destiné aux femmes et aux professionnels, a été créé en 2013 et amélioré en 2016 afin qu’il figure en 1er résultat sur les moteurs de recherches pour la requête « IVG » (30). Au niveau régional, le réseau REIVOC a mis en place une carte interactive répertoriant les professionnels réalisant les IVG pour

aider les femmes dans leurs démarches (31). REIVOC a également édité avec l'ARS une

fiche mémo à destination de tous les professionnels médicaux recevant des femmes en consultation (Annexe 4). Cette fiche explique comment recevoir une demande d'IVG, les examens à prescrire et vers qui orienter. La diffusion se fait par le réseau et les URPS. Au niveau national, dans son rapport I. Nisand (32) proposait déjà en 1999 la mise en place de recommandations de pratique clinique sur l’accueil téléphonique, l’accueil médical, ainsi que la création d’une formation à l’accueil des femmes. Vingt ans après, il n’existe pas de recommandation et peu de formations ont été créés.

26% des femmes ont manqué d’écoute et 36% des femmes ont manqué de réassurance. Le témoignage de nos patientes dans les commentaires libres nous le confirme : « Pas de volonté d'être rassurant », « C'est un moment douloureux où une écoute active est primordiale ». Les recommandations pour la pratique clinique du CNGOF (33) nous rappelle que les consultations avant de réaliser l’IVG doivent être des temps d’informations,

permettait jusqu’alors aux femmes de bénéficier de ce temps d’écoute et d’amener à la réflexion sur cette IVG. Il est maintenant systématiquement proposé pour les femmes majeures et reste obligatoire pour les mineures. Depuis la suppression de l’obligation de cet entretien psychosocial pour la femme majeure, ce temps d’écoute a donc une place particulièrement importante lors de la première consultation d’IVG. De plus, les femmes seraient bien moins accessibles sur leur ressenti pendant l’IVG (travail psychologique laissé en suspens pendant l’acte) ou après l’IVG (période spontanée de fermeture psychique) (15). La première consultation serait donc le moment idéal pour réaliser ce travail d’écoute sur le ressenti de chaque femme.

26% des femmes ont ressenti des jugements ou des attitudes moralisatrices/culpabilisatrices (20% environ). En effet, les femmes nous rapportent dans leurs commentaires libres qu’elles « devai[ent] bien réfléchir parce que c'était un choix qu’[elles] pourrai[ent] regretter toute [leur] vie ». Les femmes peuvent aussi être infantilisées : « J'ai fait une bêtise », « ne recommencez pas ». Ces attitudes peuvent découler d’un sentiment de supériorité venant du soignant. En effet, selon A. de Broca (10), la relation soignant-patient peut être perçue comme asymétrique puisque le soignant est porteur d’un savoir que le patient ne possède pas. D’ailleurs, le paternalisme, qui prévalait dans la relation soignant-soigné jusqu’aux années 1980 (34), ne permettait pas aux patients d’exprimer leur volonté et leur capacité à prendre des décisions pour leur propre santé. Mais de nos jours, cette relation a évolué. Le patient a de plus en plus la possibilité de s’informer et donc d’avoir la capacité de dire ce qu’il désire : le patient participe à « une décision médicale partagée » (34). Cependant, il persiste tout de même un savoir « médical » que le patient ne peut acquérir que par le professionnel de santé. Celui-ci est transmis par le professionnel grâce à un échange et un partage entre lui et son patient. La bienveillance doit donc se construire sur cette relation asymétrique « puisque c’est bien parce que le soigné et le soignant ont une posture différente qu’ils peuvent avancer ensemble » (10). Chacun participe à la construction de cette relation. La bienveillance prend donc une place importante dans notre métier qui, au-delà des gestes techniques, se construit essentiellement sur un échange réciproque entre deux personnes (10).

Enfin, les femmes rapportent, pour 43% d’entre elles, qu’elles ont manqué d’accompagnement et de soutien. Les patientes dans les commentaires témoignent : « Débrouillez-vous », « Entendu par la secrétaire mais ni aidée ni orientée » « On n'a pas reparlé de cette IVG ». En lien avec ce besoin d’accompagnement, elles expriment la nécessité d’une recherche du vécu psychologique : « Comment vivez-vous cette situation ? ». Ainsi que la possibilité de souligner ce que l’IVG pourrait signifier pour elles.

Cela fait donc écho à deux dimensions de cette consultation. Mis à part la dimension technique d’accès à la méthode, la dimension d’accompagnement serait donc prévalente. Dans l’étude COCON effectuée avant les années 2000 (35), plus du tiers des femmes ne se sont pas senties soutenues par l’équipe soignante et plus de la moitié peu soutenues par l’équipe médicale lors d’une IVG en établissement de santé. Les auteurs de l’étude COCON l’expliquaient par une probable dévalorisation de la prise en charge de l’acte et par une marginalisation de l’activité d’IVG dans les établissements (35). Depuis la loi de santé de 2001 (2) qui autorise l’IVG médicamenteuse en médecine en ville, le circuit ambulatoire est de plus en plus sollicité (36). Une majorité des premières consultations dans notre étude se sont déroulées dans un cabinet médical (51,4%) et cette tendance est retrouvée dans d’autres études (27) (20). On aurait donc pu penser que ce chiffre s’améliorerait depuis la modification de la loi. Malgré cela, le manque d’accompagnement et de soutien reste important. Toutefois, le lien avec le médecin généraliste et donc la possibilité d’avoir un interlocuteur privilégié permettrait d’améliorer le ressenti des femmes. Dans notre étude, 56% des femmes n’ayant pas de médecin traitant, et donc d’interlocuteur privilégié, ont ressenti un manque d’accompagnement et de soutien lors de la première consultation (contre 39% qui possédaient un médecin généraliste).

4.5.3. Un profil de femmes, plus générateur de non-bienveillance ?

Lors de la réalisation de notre questionnaire, nous nous étions posé la question de savoir s’il existait des facteurs pouvant générer de la non-bienveillance pendant cette consultation. Concernant l’âge, notre étude n’a pas permis de mettre en exergue une classe d’âge source de non-bienveillance lors de la première consultation. Cela s’explique probablement par un manque d’effectif de notre échantillon. En revanche, nous avons montré que les femmes sans emploi ont plus fortement ressenti un manque d’accompagnement et de soutien pour 67% d’entre elles. De même, 54% des employées ont ressenti ce manque. On pourrait donc se demander s’il existe plus d’attitudes non bienveillantes chez les femmes n’ayant pas d’emploi ou un emploi avec peu de qualification. L’autre hypothèse serait que les femmes appartenant à ces catégories socio-professionnelles auraient finalement plus besoin d’accompagnement et de soutien que les autres. En effet, le poids du jugement moral de la société sur l'IVG est peut-être ressenti de façon plus prégnante par ces catégories socio-professionnelles contrairement aux autres qui sont plus convaincues de leurs droits et de la légitimité de leurs décisions.

utilisaient une méthode naturelle. Il n’existe pas d’association significative entre l’absence de contraception et un manque d’accompagnement et de soutien. Notre manque d’effectif est probablement la raison pour laquelle nous n’avons pas mis en évidence de résultat. Mais on peut noter une tendance. Deux tiers des femmes possédant une contraception ont été accompagnées et soutenus (50% lors de l’absence de contraception). Cela pourrait s’expliquer par l’apparition dans notre société d’une norme procréative et d’une norme contraceptive (37). La procréation ne doit être que volontaire. Ainsi, les femmes en l’absence de désir d’enfant se doivent d’utiliser un moyen contraceptif reconnu comme efficace. Mais l’utilisation d’une contraception n’est pas aussi simple que pourrait le penser la société ou le corps médical. Son utilisation par les femmes n’est pas parfaite. Le taux stagnant d’IVG depuis plusieurs années (36) nous montre que la diffusion large de la contraception ne fait pas diminuer le nombre d'avortement. Il existe toujours dans notre société une dichotomie contraception-avortement. L’IVG n’est pas perçue comme une autre manière de contrôler les naissances mais toujours comme un moyen pour corriger une contraception en échec. Cette vision peut en outre être source de non-bienveillance.

4.5.4. La femme, plus sensibilisée à cette démarche ?

Presque 78% des professionnels dans notre étude qui ont réalisé la première consultation sont des femmes. Ce chiffre est en lien avec une féminisation croissantes des professions médicales. En effet, dans les classes d’âge les plus jeunes (moins de 40 ans), les femmes représentent 61% des médecins (toutes spécialités confondues). Chez les médecins généralistes, elles représentent 67% des moins de 34 ans (38). Concernant les sages-femmes, les hommes représentent 2,6% des effectifs (39).

Dans notre étude, 69% des femmes ne se sont pas senties accompagnées et soutenues lorsque le professionnel était un homme. Le pourcentage était de 36% quand les patientes étaient reçues par une femme. Nous pouvons donc nous demander si les hommes sont moins sensibilisés à la démarche d’IVG ou s’ils sont perçus comme moins bienveillants par les femmes parce qu’ils sont des hommes.

Dans la thèse du Dr Vincent (40), les femmes sont d’avantages motivées à la pratique d’IVG en ville et sont significativement plus nombreuses à trouver que le service médical rendu (délai de prise en charge, confort…) est important pour les patientes (70% versus 42%). Enfin, les hommes sont significativement plus nombreux à n’éprouver aucune motivation à la réalisation d’IVG dans leur cabinet.

Concernant la formation à la réalisation d’IVG en ville, plus de femmes s’intéresse à celle-ci. En effet, le Dr Soufflet (41) montre que 77% des participants à une formation pour l’IVG en Midi-Pyrénées sont des femmes.

Nous pensons donc qu’il est important de sensibiliser les hommes à cette démarche et il serait intéressant d’étudier leurs freins concernant cette démarche.

4.5.5. La formation à l’IVG, rempart de la non-bienveillance ?

75% des femmes reçues par un praticien pratiquant régulièrement les IVG se sont senties accompagnées et soutenus par celui-ci contre 66% avec un professionnel ne les pratiquant pas. Dans notre étude, la différence est peu marquée. Mais, il existe un fort biais du fait que la moitié des femmes ne savait pas si le professionnel pratiquait régulièrement les IVG ou n’ont pas répondu à cette question. On peut donc penser que cette différence pourrait être plus importante. Cette question de la formation a pu être contournée. Par la suite, nous avons demandé si le praticien était similaire ou différent entre la première consultation et les autres (en considérant que s’il était différent il ne pratiquait pas les IVG). 52% des femmes n’ont pas été accompagnées et soutenues lorsque le praticien était différent contre 28% lorsque le praticien était similaire. Les femmes sont statistiquement mois soutenues et accompagnées lorsque le praticien est différent entre la première consultation et les autres (p<0,05). Une formation à l’IVG entraine donc probablement moins d’attitudes non bienveillantes envers les femmes.

Cette formation reste très succincte lors de notre cursus de médecin. Au cours du 2eme cycle des études médicales, elle aborde lors d’un item les modalités réglementaires légales, les différentes techniques d’IVG et les possibles complications. Devant une formation encore très théorique et peu pratique, on pourrait imaginer une première sensibilisation à la relation médecin-patient et tout particulièrement sur la bienveillance en consultation.

Lors de la formation pour le Diplôme d’étude spécialisée (DES) de médecine générale, un semestre est consacré à la santé de la femme et de l’enfant. Le département universitaire de médecine générale de Toulouse aborde sous forme d’atelier la demande d’IVG en soins premiers. Nous avons montré qu’une formation à l’IVG entraine probablement moins d’attitudes non bienveillantes. Nous pensons donc qu’il est très important de sensibiliser les internes de médecine générale à la réalisation d’une première consultation d’IVG bienveillante. Nous pourrions imaginer l’aide de certains outils comme la visualisation de vidéo, des jeux de rôles ou des témoignages de patientes. Concernant les

concernant la formation à l’IVG. Concernant le DES de gynécologie, il dispense les gynécologues d'une formation complémentaire pour demander un conventionnement. Pourtant très peu de gynécologues médicaux en ville pratiquent l'ivg médicamenteuse (2 conventionnées selon REIVOC) leur formation leur parait-elle suffisante ? De plus, dans notre étude, nous avons montré qu’ils sont statistiquement moins accompagnants et soutenants lors de la première consultation.

Enfin, cette formation à l’IVG peut aussi se réaliser lors de la formation médicale continue. En Midi-Pyrénées, REIVOC, en lien avec l’ARS Occitanie (Agence régionale de santé) propose plusieurs formations par an avec le soutien logistique de MGForm. Ces formations permettent un conventionnement mais aussi l’amélioration des pratiques professionnelles. En effet, dans l’étude du Dr Soufflet (41), la formation des professionnels en Midi-Pyrénées entre 2012 et 2014 a permis la signature de convention dans 27% des cas (soit une augmentation de 47% en 9 ans) et 88% des professionnels ont modifié leurs pratiques professionnelles (réalisation d’IVG, amélioration de la prise en charge initiale ou orientation vers une activité gynécologique). Mais du fait de l’autorisation depuis 2016 de la pratique des IVG médicamenteuses par les sage-femme, ces chiffres sont probablement en augmentation. En Midi-Pyrénées, d’après le recensement non exhaustif de REIVOC 46 médecins généralistes, 2 gynécologues et 32 sages-femmes sont conventionnés (31). La formation des professionnels dans le secteur libéral permet ainsi d’améliorer et de faciliter la prise en charge des femmes lors d’une demande d’IVG. En 2013, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (42) alertait les pouvoirs publics devant la fermeture de plus de 130 établissements de santé pratiquant l’IVG entre 2001 et 2011. Il réitère l’alerte en 2017 avec la mise en place d’un moratoire concernant la fermeture des centres d’IVG (30). Devant cette réalité, l’importance des professionnels réalisant les IVG dans le secteur libéral se confirme.

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