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3. La polyneuromyopathie des soins intensifs : de l’identification des facteurs de risque

3.5. Discussion

3.5.1. Les facteurs de risque

Parmi les facteurs de risque les plus répertoriés, on retrouve le SIRS, le sepsis et la défaillance multi-organique. Selon Bone et al., ces trois éléments feraient partie d’un seul et même processus (74). Ce dernier commencerait par une insulte quelconque à un organe. En réponse à une menace grave, le corps réagirait par une SIRS répondant à plus d’un des critères suivants : 1) une température corporelle supérieure à 38°C ou inférieure à 36°, 2) une fréquence cardiaque supérieur à 90 battements/minute, 3) une tachypnée (fréquence respiratoire supérieure à 20 respirations/minute) ou une hyperventilation (PaCO2 inférieure à 32 mmHg) et 4) une altération dans le nombre de globules blancs soit un nombre supérieur à 12,000/ mm cube ou inférieur à 4,000/cu mm cube ou la présence de plus de 10% de neutrophiles immatures. Si en plus on retrouve une infection, le SIRS devient un sepsis. Selon Anastasopoulos et al., l’hypocalcémie, un autre facteur de risque de la polyneuromyopathie serait peut-être liée à la présence du sepsis et ferait donc partie de ce processus (51). Nanas et al. ont montré que l’administration d’aminoglycoside (un antibiotique) serait un facteur de risque (60), mais une autre étude a écarté cette explication en montrant que les aminoglycosides seraient utilisés en présence de sepsis et donc que ce dernier serait le véritable facteur de risque (55). Une des complications du sepsis et du SIRS est l’apparition d’insuffisance de plusieurs organes de façon séquentielle pouvant être évaluée par le score SOFA (Sequencial Organ Failure score) (75). On peut aussi ajouter à ce score celui du APACHE (Acute Physiology And Chronic Health Evaluation score) évaluant la sévérité de la condition et qui est corrélé avec le risque de mortalité à l’hôpital (76). De Letter et

al. ont déterminé, à l’aide du score APACHE II total après quatre jours de ventilation

mécanique et en considérant la présence ou non de la SIRS, des probabilités de développer la polyneuromyopathie des soins intensifs. La présence simultanée d’un score APACHE II supérieur à 85 après quatre jours de ventilation et de la SIRS est associé à une probabilité de 72% de développer la pathologie (55). Une hypothèse possible serait que le processus inflammatoire en soi soit un facteur de risque du développement de la pathologie. Cependant, la compréhension de ce processus n’est pas encore complète. Un fait certain, par contre, est que les composantes de ce processus semblent être des facteurs de risque importants de la polyneuropathie ou de

la myopathie et ont été identifiées par les études ayant les meilleures qualités méthodologiques (NOS > 8/9) (51, 55, 57, 64).

Les corticostéroïdes sont incriminés dans plusieurs études. On remarque que les rapports de cote pour l’association de ces substances avec la pathologie sont assez dispersés (OR 1.7 à 14.9) montrant une inconstance dans les résultats de cette association. Certains éléments peuvent expliquer ce phénomène. Premièrement, les auteurs évaluent soit la dose totale administrée, soit la dose moyenne, soit le nombre de patients ayant reçu la médication créant ainsi une différence dans la variable étudiée. Au sujet de la dose administrée, les auteurs s’entendent et reconnaissent l’impact des corticostéroïdes quand ils sont donnés à haute dose comme pour le traitement des patients avec une maladie pulmonaire obstructive chronique (54). Dans l’étude de De Jonghe et al., on a remarqué que les patients ayant une faiblesse étaient plus nombreux à recevoir des corticostéroïdes, mais on ne voyait aucune différence entre les groupes atteints de la polyneuromyopathie et non atteints pour ce qui est de la dose ou de la durée d’administration (54). Bercker et al. mentionnent aussi le fait que l’administration de corticostéroïde à faible dose ne serait peut-être pas responsable des faiblesses observées aux soins intensifs. De plus, ils mentionnent aussi que la médication pourrait être bénéfique dans certains cas comme dans le traitement du choc septique. Ceci amène certaines réflexions quant à l’impact des corticostéroïdes. Il se pourrait que la pathologie sous jacente soit à elle seule responsable de la faiblesse évaluée. Cependant, ceci n’exclut pas l’implication possible des corticostéroïdes dans le processus pathophysiologique de la polyneuromyopathie. Il faut donc interpréter ces résultats de façon prudente.

L’hyperglycémie semble être un facteur à considérer selon plusieurs études (53, 60, 63). Bercker et al. ont tenté d’établir un seuil de glycémie au-delà duquel il y a un risque augmenté de développer une neuromyopathie. Ils sont arrivés au seuil de 9.44 mmol/L avec une sensibilité de 44% et une spécificité de 94% pour prédire l’apparition de la pathologie (53). Nanas a obtenu un rapport de cote de 2,862 avec une glycémie moyenne de plus de 8,32 mmol/L (60). De plus, deux études de Van den Berghe et al.

glycémie des patients aux soins intensifs (69, 73). On peut donc croire que la glycémie est un facteur de risque important qui peut être contrôlé.

Être de sexe féminin semble être un facteur de risque pour le développement de la polyneuromyopathie. Sharshar et al., ayant fait leur étude sur l’impact de certaines hormones sur la neuromyopathie, n’ont pas réussi à expliquer ce facteur de risque en considérant l’hypothèse d’un désordre au niveau des hormones circulantes.

L’âge semble aussi jouer un rôle. Cependant aucune étude ne s’est attardée à en expliquer l’impact et l’influence de ce facteur. De plus, les groupes d’âge les plus à risque ne sont pas clairement établis dans la littérature. Il ne s’agit donc peut-être pas d’un facteur important dans les prises de décisions cliniques.

La durée de ventilation mécanique est très souvent citée dans les articles. Il faut être prudent quant à l’interprétation de cette donnée. En effet, Bercker et al. mentionnent que la faiblesse pourrait mener à une ventilation mécanique prolongée et qu’un début rapide du sevrage pourrait en allonger la durée chez une population avec un syndrome de détresse respiratoire (53). Il s’agirait donc d’une conséquence plutôt que d’un facteur de risque.

Une revue systématique de Stevens et al. en 2007 portant également sur les facteurs de risques est arrivée à des conclusions similaires à celles présentées dans ce travail qui tient compte d’articles supplémentaires publiés plus récemment (32).

Tableau 5 : Résumé des facteurs de risque majeurs

Facteurs de risque majeurs Niveaux

d'évidence CEBM1

SIRS, sepsis et insuffisance multi-organique 1

Sévérité de la condition (Score APACHE) 1

Hyperglycémie 1

Corticostéroïde à haute dose 2

1 Centre for evidence based medicine [En ligne]. University of Oxford 2011. Disponible:

http://www.cebm.net/

3.5.2. Les moyens de prévention

3.5.2.1. L’insulinothérapie intensive

Les études de Van Den Berghe et al. (69, 73) et les sous-analyses qui ont été effectuées par ces mêmes chercheurs (65-67, 70-72) montrent toutes que l’utilisation de l’insuline de façon intensive pour maintenir la glycémie entre 4 et 6 mmol/L a un impact sur la prévention de la polyneuromyopathie. De plus, cette modalité aurait davantage d’impact sur la neuropathie que sur la myopathie, mais cette conclusion ne semble pas constante d’une étude à l’autre. Une hypothèse explicative est que l’hyperglycémie serait plus néfaste pour le nerf que pour le muscle ce qui expliquerait cette différence d’efficacité (65). Au-delà de la prévention de cette pathologie, le contrôle glycémique intensif a un effet considérable sur la mortalité des patients aux soins intensifs ce qui rend cette intervention particulièrement importante (69). Cependant, il ne faut pas oublier qu’un même groupe de chercheurs a mené toutes ces études pour arriver à ces conclusions. D’autres études par d’autres groupes de recherche seraient intéressantes pour vérifier la reproductibilité de ces résultats. Il serait aussi pertinent de voir si l’insulinothérapie intensive permet de prévenir la faiblesse associée à la polyneuromyopathie à l’aide d’examens physiques comme le bilan musculaire manuel. Finalement, ce traitement présente des risques considérables en lien avec l’hypoglycémie et il faut donc être vigilant dans l’application de cette modalité.

3.5.2.2. La stimulation électrique neuromusculaire

L’utilisation de la stimulation électrique est une option intéressante pour les physiothérapeutes travaillant aux soins intensifs. La longue durée d’application nécessaire est par contre une limite potentielle à son utilisation en clinique. De plus, dans l’étude de Routsi et al. (35), les effets indésirables n’ont pas été répertoriés. Aussi,

placebo et un aveuglement des évaluateurs pourraient permettre de vérifier l’efficacité de cette modalité. La sécurité et les dangers de la stimulation devraient aussi être vérifiés afin de suggérer de manière convaincante l’utilisation de ce traitement.

Tableau 6 : Résumé des moyens de prévention

Traitements préventifs Niveaux d'évidence CEBM1 Niveaux de recommandation GRADE2,3 Insulinothérapie intensive 2 1B

Stimulation électrique neuromusculaire 3 2C

1 Centre for evidence based medicine [En ligne]. University of Oxford2011. Disponible:

http://www.cebm.net/

2 Guyatt GH, Oxman AD, Vist GE, Kunz R, Falck-Ytter Y, Alonso-Coello P, et al. GRADE: an

emerging consensus on rating quality of evidence and strength of recommendations. Bmj. 2008;336(7650):924-6. Epub 2008/04/26.

3Voir le tableau GRADE en annexe

3.5.3. Les limites de l’étude

Pour établir les facteurs de risque, les études sélectionnées présentaient des populations très diversifiées. De plus, plusieurs méthodes et critères diagnostiques de la polyneuromyopathie sont utilisés dans les études. Ceci fait en sorte qu’il est difficile de généraliser les résultats de ces études et de tirer des conclusions claires.

Pour les moyens de prévention, peu d’études se sont penchées sur la prévention primaire de la pathologie. Pour la stimulation neuromusculaire électrique, le niveau d’évidence est faible, ce qui limite le niveau de recommandation de cette intervention. En ce qui a trait à l’insulinothérapie qui démontre de meilleures évidences que la stimulation neuromusculaire électrique, un seul et même groupe de chercheurs a effectué toutes les études et les sous-analyses retenues.

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