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Discussion de l’étude

Les études pédiatriques sur la pancréatite aiguë sont d’une part peu fréquentes, surtout en comparaison de la littérature abondante sur les patients adultes, d’autre part exclusivement rétrospectives et ne traitent que marginalement de la prise en charge nutritionnelle qui est devenue primordiale dans le traitement de la pancréatite chez les adultes. Pour aborder cet aspect de la prise en charge encore peu approfondi, nous avons décidé de revoir les dossiers des patients atteints de pancréatite aiguë et d’analyser ceux qui ont été mis au bénéfice d’une alimentation par sonde nasojéjunale pour en vérifier l’applicabilité. Les quatre patients repérés correspondent à un sixième du nombre total de patients avec pancréatite aiguë traités pendant la période 1998-1999. Les autres patients ont nécessité de courtes périodes de jeûne suivi d’une alimentation sans graisse, rarement associée à une nutrition parentérale, avec résolution rapide de la pancréatite. Notre collectif de patients frappe par des pathologies sous-jacentes lourdes avec une prise en charge complexe comprenant souvent de nombreuses opérations et une multitude de médicaments. Il en découle qu’il est difficile de déterminer la cause exacte de la pancréatite chez ces patients, car des facteurs variés peuvent être incriminés. Le patient « lymphome » est le seul chez qui la cause, la masse intrapancréatique, semble évidente. La nutrition parentérale a été évoquée comme origine possible chez le patient « fracture », mais sa poursuite, quoique seulement partiellement, n’a pas empêché une résolution de la pancréatite. La causalité n’est là encore pas avérée.

La pancréatite n’est en outre ni le motif d’hospitalisation ni le diagnostic principal chez ces patients. Chez la moitié, un traumatisme est à l’origine de l’hospitalisation. Un lien direct avec la pancréatite ne peut certes pas être établi avec certitude, mais les traumatismes comptent néanmoins parmi les causes principales de pancréatite aiguë chez l’enfant (cf. chap. 1.2). 13, 16

Selon la littérature adulte, une prise en charge nutritionnelle particulière est seulement indiquée chez les patients avec une pancréatite sévère (cf.chap. 2.2). 2, 31, 67, 68 Notre groupe de patients comprend seulement un cas de pancréatite sévère. Chez les autres patients, la nécessité d’un support nutritionnel est liée aux pathologies de bases sérieuses qui rendaient une alimentation usuelle impossible. Deux auteurs pédiatriques ont montré l’influence des maladies sous-jacentes graves sur la sévérité et la mortalité de la pancréatite. 6, 13 Certaines études adultes soulignent aussi l’importance de la nutrition chez les patients mal nourris, même si leur pancréatite est légère (cf. chap. 2.2). Le choix d’un support nutritionnel ne devrait donc pas seulement être évalué sur la base du seul critère de sévérité, mais devrait aussi tenir compte de l’état nutritionnel de base du patient et sera influencé par les maladies concomitantes.

Pour l’évaluation du degré de sévérité nous avons utilisé le score de Glasgow modifié combiné à la CRP. La prédiction de sévérité a identifié correctement le seul patient qui a développé des complications avec une nécrose péripancréatique et une surinfection

d’ascite, possédant ainsi les critères cliniques de pancréatite sévère comme décrit dans les critères d’Atlanta (cf. chap. 1.1) 1. Nous n’avons pas utilisé le score de sévérité pédiatrique de De Banto en raison de la non-validation par des études prospectives et de l’erreur d’unité dans les critères qui fait planer un petit doute quant à sa crédibilité. L’évolution du patient avec la pancréatite sévère fait réfléchir sur l’utilité de la nutrition entérale dans son rôle immunomodulateur censé prévenir les complications infectieuses. Nous avons décelé différents éléments qui ont pu jouer un rôle favorisant. L’immunosuppression en raison de la greffe hépatique est un facteur de risque pour une infection, malgré l’administration parallèle d’antibiotiques prophylactiques. Les opérations répétées et le drainage abdominal externe constituent des portes d’entrée en dépit des règles de stérilité strictes. La mise en place tardive de la sonde nasojéjunale, après 6 jours d’évolution de la pancréatite, est probablement un facteur important. En effet, les données dans la littérature montrent que l’altération de la barrière intestinale survient rapidement après le début de la pancréatite et que le support nutritionnel entéral devrait être instauré précocement pour permettre son rôle préventif des infections. 74 La nutrition entérale a permis une réduction de la durée de nutrition parentérale chez deux patients avec potentiellement une diminution des risques de complications qui y sont liées. En effet, nous n’avons constaté aucune complication secondaire à la nutrition parentérale. La combinaison de la nutrition entérale et parentérale est par ailleurs préférable à une alimentation parentérale seule, de par les effets positifs sur l’immunité, la barrière intestinale et le syndrome inflammatoire. 72

L’alimentation par sonde nasojéjunale a probablement aussi permis de compléter ou d’augmenter les quantités de nutriments apportés aux patients, même si l’alimentation n’a pas été analysée quantitativement pour des raisons de manque de données. Ainsi elle peut contribuer à éviter la dénutrition avec son effet défavorable sur la morbidité et la mortalité (cf. chap. 2.2c).

La nutrition nasojéjunale a été bien tolérée et n’a pas eu d’influence négative sur l’évolution de la pancréatite, corroborant ainsi les données de la littérature adulte sur l’absence d’aggravation de la pancréatite et de ses complications. 2, 30, 68, 72, 81

La mise en place de la sonde est une procédure plus lourde que chez l’adulte puisqu’elle se fait sous anesthésie générale avec ses risques éventuels plus importants qu’une anesthésie locale ou une sédation légère comme chez l’adulte. Lors de la présentation de l’étude au congrès de Lucerne, une personne nous a fait remarquer que dans leur centre, situé aussi en Suisse, la sonde était souvent mise en place sans anesthésie générale avec une bonne tolérance. La méthode pourrait donc être adaptée selon l’âge, la compliance et les comorbidités de chaque patient.

Les complications liées à la sonde nasojéjunale étaient mineures dans la plupart des cas et comprenaient principalement des obstructions de sondes, réversibles facilement avec des rinçages et sans effets sur l’évolution de la pancréatite. La torsion de la sonde survenue chez le patient « fracture » peut être considérée comme une complication majeure malgré l’absence de symptômes puisqu’elle a nécessité une anesthésie générale pour être remise en place. Le déplacement proximal de la sonde chez le patient

« greffe » n’a pas eu de conséquence, ayant permis le relais à une alimentation nasogastrique bien tolérée.

L’introduction de l’alimentation per os a entraîné une réaggravation des symptômes et des valeurs pancréatiques chez un patient. La récidive des symptômes après réalimentation trop précoce est décrite dans la littérature. 33, 37, 54 Il a par ailleurs été démontré que la nutrition entérale pouvait raccourcir ce délai à la réalimentation orale et en améliorer la tolérance. 84, 85

Notre étude permet donc de postuler que la nutrition entérale par sonde nasojéjunale est possible chez l’enfant et qu’elle constitue une méthode sûre et efficace. L’étude étant rétrospective et traitant de patients avec des pathologies et une prise en charge complexes, les interprétations des résultats et les conclusions qu’elle peut apporter sont limitées, surtout concernant le rôle de chaque type de nutrition.

La littérature pédiatrique ne fait que rarement mention de l’aspect nutritionnel du traitement de la pancréatite. En effet, Greenfeld, en 1997, n’évoque dans sa revue que la nutrition parentérale qu’il préconise pour les cas prolongés. 14 Mader, dans une revue plus ancienne, propose le jeûne jusqu’à la disparition des symptômes et la normalisation des valeurs pancréatiques et la nutrition parentérale pour les cas sévères. 15 Les études rétrospectives ont toutes relevé des périodes de jeûne initiales (2-4 jours en moyenne) et ne citent que le support nutritionnel par nutrition parentérale pour les cas sévères ou prolongés. 13, 17-21, 23, 26, 91 Un article de revue de la littérature sur 18 études pédiatriques indique que la nutrition parentérale est utilisée en moyenne chez 28% des patients ; la nutrition entérale n’est cependant mentionnée dans aucune des études analysées. 29 Un régime pauvre en graisse pour une durée déterminée après résolution de la pancréatite est également cité. 13 Un article présentant un cas de pseudokyste avec ascite post- pancréatite mentionne dans la prise en charge un jeûne de 3 semaines avec une nutrition parentérale. 92

L’incidence de la pancréatite aiguë est en augmentation chez l’enfant, moins par une augmentation réelle de sa fréquence que par une meilleure qualité diagnostique, autant clinique que paraclinique. 18, 19, 21, 26, 93Comme le relèvent fréquemment les auteurs, cette pathologie est encore souvent sous-estimée. 13, 51 Le nombre de cas sévères (environ 20%) est tout aussi élevé que chez l’adulte, avec les mêmes implications cliniques de morbidité et mortalité accrues. 3, 29, 52 Selon les études, la mortalité de la pancréatite pédiatrique peut être très élevée, étant chiffrée entre 2 et 20%.

Ainsi, la pancréatite aiguë de l’enfant mériterait une étude prospective pour améliorer les connaissances spécifiques à la pancréatite pédiatrique, constituer un score de sévérité compatible avec les particularités de l’enfant et améliorer sa prise en charge par une capacité décisionnelle qui puisse se baser sur des données pédiatriques et non seulement adultes, autant pour les aspects généraux que nutritionnels du traitement.

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