1. Introduction 61
3.3 Discussion 73
Le devenir global de cet échantillon de sujets ayant souffert d’une AM sévère à l’adolescence est relativement bon puisque 6 à 12 ans après la sortie d’hospitalisation, 90.7 %
ont un devenir bon ou intermédiaire. Cependant les comorbidités somatiques sont fréquentes,
plus de 70% ont souffert au moins d’un problème somatique ou d’une carence au cours de leur vie. Les pathologies les plus fréquemment observées sont : carence en vitamine D, carence en fer, migraine, ostéoporose, fracture, cystite, reflux gastro-oesophagien, trouble du rythme cardiaque, escarre et ulcère, eczéma, sans préjugé du lien avec l’anorexie mentale. Les comorbidités psychiatriques sont aussi très fréquentes, 67% des sujets ont souffert d’au moins un épisode dépressif durant leur vie.
Pour nos patientes, la carence en fer est très fréquemment évoquée (45%). C’est une carence également très fréquente en population générale surtout chez les femmes ayant un niveau d’études supérieur ou égal au baccalauréat (ce qui est la cas de 96% de nos patientes) (Yanovich et al., 2011). Cependant cette carence semble particulièrement fréquente dans notre échantillon puisque il n’est observé que chez 19,3% des femmes ayant ce niveau d’études et de même classe d’âge (Grondin et al., 2008).
74 Dans notre population, la prévalence de la migraine est de plus de 30%. En population générale, la définition et donc les prévalences reportées varient énormément. Ainsi, chez les femmes américaines entre 18 et 29 ans sa prévalence est de 20,4% (Lipton et al., 2007). La prévalence de cystite est chez nos patientes de 30% ce qui est similaire à la population générale, où un tiers des femmes font un ou plusieurs épisodes de cystite, la tranche d’âge de 20-30 ans étant la plus touchée (Berry et al., 2011)
Le reflux gastro-oesophagien (22%) ne semble pas plus fréquent dans notre échantillon qu’en population générale où il est une pathologie très fréquente puisque 10% de la population souffre de symptômes fréquents et 38% de symptômes occasionnels (Pandeya et al., 2011). Plus d’un quart des patientes sont en aménorrhée lors du suivi et leur durée d’anorexie est plus importante que celles ayant retrouvé leurs règles.
Les troubles du rythme cardiaque (20%) sont probablement liés aux bradycardies de dénutrition observées en cas de dénutrition importante (Cros et al., 2010).
La prévalence des escarres et des ulcères rapportée dans la littérature en France chez les patients hospitalisés est de 8,6% pour un âge moyen de 74 ans. Pour les ulcères de jambe, la prévalence en population générale est de 1%, 3% chez les plus de 65 ans. Ces affections sont rares chez les sujets jeunes. Pour nos patientes, les escarres et les ulcères atteignent plus de 20% et témoignent probablement du retentissement de leur état nutritionnel. Ceci est lié bien souvent à l’alitement plus long et /ou à un état nutritionnel défaillant ce qui est confirmé dans notre échantillon puisque le risque d’ulcères ou d’escarre est d’autant plus important que la durée d’hospitalisation initiale a été longue et que l’ IMC minimal sur la vie est plus bas indépendamment du nombre total d’hospitalisations (Shahin et al., 2010).
L’eczéma ou dermatite atopique touche 20% de notre population contre environ moins de 10% de la population générale (Nova et al., 2002).
Un moins bon devenir global des sujets ayant souffert d’anorexie mentale à l’adolescence est associé à des fractures plus fréquentes indépendamment de la durée de l’anorexie mentale. L’état mental est moins bon en cas de crise de boulimie au cours de l’évolution indépendamment de la durée de la maladie. Cet élément confirme les observations antérieures qui associent la survenue de cet événement avec un devenir plus péjoratif chez les anorexiques (Steinhausen, 2009) et un risque suicidaire plus important (Foulon et al., 2007). Il est intéressant de voir aussi qu’un état mental moins bon est associé à une fréquence plus importante de fractures et de migraines.
75 Le fonctionnement psychosexuel est moins bon en cas d’aménorrhée actuelle et d’eczéma au cours de la vie.
Enfin, le fonctionnement socio-économique est moins bon en présence d’aménorrhée actuelle témoignant d’une anorexie mentale plus longue et ayant amené à une désinsertion sociale plus importante.
La prévalence de l’ostéoporose (déclarée) est de 25 % dans notre population âgée de 25,53 (2,96) ans en moyenne. Ceci est similaire à la fréquence observée dans un échantillon clinique comparable ayant été évalué par ostéodensitométrie (Legroux-Gérot et al., 2007). Par contre ceci est très supérieur à la prévalence attendue à cet âge (moins de 1 %). Cette donnée confirme les résultats des études faites dans l’anorexie mentale (Audi et al., 2002), l’ostéoporose est une des complications majeures de l’AM.
Nous avons retrouvé l’association attendue de certains paramètres avec la présence d’une ostéoporose : l’IMC faible, et la durée de l’AM, reflètent les effets délétères osseux des carences nutritionnelles et hormonales. Mais selon notre analyse multivariée, le paramètre le plus fortement lié pourrait refléter l’ensemble des carences subies par les patientes. La carence en vitamine D reflète le mauvais état de santé global comme cela a été suggéré dans d’autres études pour les malades chroniques (Peterlik and Cross, 2005). Cette carence a des effets négatifs démontrés sur le tissu osseux et la fonction musculaire, et peut donc participer à la fragilité musculo-squelettique globale de nos patientes.
Le traitement de l’ostéoporose mériterait d’être évalué dans le contexte de la prise en charge des complications de l’AM. Ces résultats devront être confirmés par des études incluant une évaluation systématique de l’état osseux par ostéodensitométrie et de la vitamine D chez ce type de patientes. Actuellement les recommandations sont en faveur d’une supplémentation en cas de déficit sans que l’on en connaisse l’impact (APA, 2006, NICE, 2004).
La prévalence des fractures est très élevée, puisque la moitié de notre population déclare avoir eu une fracture. Le taux de fractures est de près de 30%, en population générale chez les sujets jeunes (Sawyer et al., 2000) (Legroux-Gérot et al., 2007). Nous ne pouvons pas distinguer sur ces données leur origine traumatique ou ostéoporotique. Cette prévalence est peut être minimisée par l’absence de radiographies systématiques du rachis, les tassements vertébraux pouvant être peu ou asymptomatiques. Il est possible que la fréquence des fractures s’explique par des chutes plus fréquentes (paramètre non étudié dans notre étude) au cours de comportements à risque. Nos résultats suggèrent que la fragilité osseuse sous jacente n’est pas
76 le seul déterminant des fractures, puisque l’ostéoporose déclarée n’est pas plus fréquente chez les patientes fracturées, cependant on ne peut exclure que l’ostéoporose n’est pas été évaluée par une ostéodensitométrie chez tous les patients.
La limite principale de cette étude est que les données sont déclaratives et ne reposent pas sur une évaluation médicale des troubles. De plus nous ne disposons pas de groupe témoin apparié ce qui limite nos conclusions.
La comparaison de nos résultats concernant le devenir somatique des patientes avec ceux de la littérature ne peut se faire qu’avec prudence. Néanmoins il apparaît que les problèmes somatiques sont fréquents et liés à la sévérité et à la durée de l’anorexie.