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Chapitre 2   Hétérogénéité de l’activité des médecins généralistes hommes et

2.6   Discussion 64

Ce chapitre examine la nature et l’effet des déterminants de l’activité libérale (nombre d’actes effectués dans l’année) des médecins généralistes hommes et femmes. Nous utilisons une base de données exhaustive des médecins généralistes libéraux français travaillant à temps plein ou partiel en 2008.

Conformément aux précédentes études, les statistiques descriptives indiquent un écart d’activité libérale entre hommes et femmes de 26% en faveur des hommes (Weeks, Paraponaris et Ventelou 2013; Jakoubovitch et al. 2012; Dormont et Samson 2008) qui peut notamment s’expliquer par des différences de types de pratique, de composition de patientèle et de localisation. Les statistiques descriptives suggèrent que les femmes préfèrent avoir une pratique moins contraignante : elles sont moins nombreuses à effectuer des visites à domicile et /ou à participer à la permanence des soins. En examinant un certain nombre de variables (caractéristiques des médecins, de pratique, patientèle et variables contextuelles), l’écart d’activité libérale entre hommes et femmes persiste. Les résultats de la régression MCO indiquent un écart moyen de l’activité libérale de 13% en faveur des hommes. Cependant utiliser les régressions quantiles nous permet de montrer que cet écart n’est pas significatif en bas de la distribution

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65 conditionnelle suggérant ainsi que les médecins généralistes hommes et femmes avec un faible niveau d’activité se ressemblent plus que ceux qui ont des niveaux d’activité plus élevés. Ce résultat reflète également le statut du médecin libéral qui comme un producteur (à la tête d’une micro-entreprise) doit supporter des coûts de production qui l’oblige à fournir un niveau minimum de production (seuil de fermeture). Cette quantité minimum peut dépendre des niveaux de coûts (location, impôts…) et des caractéristiques des médecins.

Au-delà des écarts d’activité, les régressions quantiles nous permettent d’identifier comment les déterminants de l’activité libérale affectent le volume de l’activité libérale à différents points de la distribution conditionnelle. Par rapport aux MCO, les régressions quantiles donnent des informations supplémentaires pour les variables liées à la pratique du médecin, les variables de patientèle et les variables contextuelles.

Pour la première fois à notre connaissance dans une étude française, nous sommes dans la capacité de pouvoir prendre en compte l’arbitrage implicite entre le loisir et le temps de travail en considérant le statut matrimonial, le revenu du conjoint et l’âge du plus jeune enfant. De manière non surprenante, nous montrons que ces variables combinées sont des déterminants importants de l’activité libérale. Par exemple, avoir son plus jeune enfant âgé de moins de 12 ans, a un effet positif (non significatif si l’on exclut les MEP) sur le niveau de l’activité libérale pour les hommes et cet effet est négatif pour les femmes. Ces résultats sont cohérents avec ceux obtenus par Wang et Sweetman (2013) qui montrent que la présence d’un enfant est associée à deux effets de signes opposés sur l’offre de travail (positif voir non significatif dans certains cas pour les hommes et négatif pour les femmes). Ces résultats suggèrent qu’avoir des enfants peut entrainer deux types de coûts. Un premier, un coût direct qui peut être considéré comme indépendant du genre du médecin et qui est le résultat d’une augmentation de la dépense en biens et services (services de gardes d’enfants, etc.). Un second, un coût indirect qui est associé au coût d’opportunité lié au temps que le médecin consacre à s’occuper des enfants et non à travailler. En considérant le genre du médecin, ce coût d’opportunité peut être différent pour les hommes ou les femmes. En effet, Gravelle, Hole et Santos (2011) montrent que le revenu marginal associé à une heure de travail supplémentaire est plus élevé pour les femmes. Nous montrons également dans le chapitre 1 que le revenu marginal associé à un acte supplémentaire est aussi plus élevé pour les femmes que pour les hommes. Ces résultats semblent ainsi suggérer un coût d’opportunité associé au temps consacré aux enfants plus élevé pour les femmes que pour les hommes. Pourtant en

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66 choisissant une activité libérale plus faible que les hommes, a fortiori encore plus lorsqu’elles ont des enfants, les femmes médecins généralistes révèlent une plus forte préférence pour le « loisir », intégrant le travail domestique.

De manière cohérente avec la littérature, nous montrons que les femmes médecins généralistes voient moins de personnes âgées et plus d’enfants que les hommes. Nous montrons qu’avoir un pourcentage supplémentaire de personnes âgées dans sa patientèle diminue l’activité libérale et les honoraires hors dépassements des hommes. Ces-derniers semblent n’avoir aucun intérêt à voir davantage de personnes âgées car cela devrait réduire leur niveau d’activité et donc leur revenu. Pour les femmes médecins généralistes, avoir une plus forte proportion de personnes âgées dans sa patientèle réduit le nombre d’actes (sauf au quantile 0,10) mais augmente les honoraires hors dépassements. Ces résultats suggèrent que les femmes médecins généralistes semblent compenser la baisse de l’activité libérale associée aux personnes âgées en ayant une composition de l’activité plus rémunératrice pour ces patients. Dans un contexte de vieillissement de la population et d’une inéquation de l’offre de soins de premiers recours dans certaines zones géographiques, cette diminution de l’activité libérale peut créer un problème de rationnement de l’offre de soins pour les personnes âgées. Ces résultats doivent être pris en compte par le régulateur public pour adapter l’offre de soins. Récemment en France, plusieurs paiements additionnels ont été introduits (paiement à la performance, 2012, forfait pour les patients en affection longue durée (2005), paiement additionnel de suivi du médecin traitant (2013). Par exemple, depuis 2004 les médecins bénéficient d’un forfait de prise charge annuelle de 40 euros pour leur patients en ALD et depuis juillet 2013, un forfait de 5 euros est donné aux médecins généralistes pour les patients âgés de plus de 85 ans31.Ce paiements peuvent être un moyen

d’encourager les médecins à effectuer le suivi des patients en ALD et de plus de 85 ans pour éviter une éventuelle « exclusion » de ces patients et permettent de pallier au moins partiellement aux limites du paiement à l’acte.

Dans ce travail, nous devons toutefois rester prudents lorsque nous interprétons l’effet de certaines variables car elles peuvent souffrir d’un biais d’endogénéité. En effet, le revenu du conjoint et les variables familiales peuvent être endogènes du fait de décisions jointes : le revenu du conjoint et les coûts associés aux enfants peuvent être influencés par les revenus du médecin soit en partie par le niveau de l’activité libérale puisque 95% du revenu des médecins provient de

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67 l’activité libérale. Le revenu salarié, le secteur d’activité, le fait d’avoir un mode d’exercice particulier et les variables de localisation peuvent être influencés par le niveau de l’activité libérale que le médecin est prêt à produire. Par ailleurs, nous devons également rester prudents quant à l’interprétation de l’effet d’avoir un conjoint et le revenu du conjoint car nous ne disposons pas de ces informations pour les médecins vivant en union libre. Or en 2011, l’Insee indiquait que 22,5% des couples étaient en union libre (Insee 2014), ce qui nous conduit à sous-estimer probablement l’effet d’avoir un conjoint ainsi que l’effet du revenu du conjoint sur l’activité libérale réalisée par le médecin. Il faut également souligner que l’approche par régressions quantiles est une approche conditionnelle qui permet d’évaluer l’impact des variables explicatives sur le quantile conditionnel de l’activité libérale mais cette méthodologie ne nous permet pas d’estimer l’effet marginal des variables explicatives sur la distribution inconditionnelle de l’activité. Des travaux futurs pourraient utiliser la méthodologie des régressions inconditionnelles (Firpo, Fortin et Lemieux 2009).

Malgré ces limites, notre analyse donne une meilleure compréhension des différences entre hommes et femmes médecins généralistes dans les déterminants de l’activité libérale. En étudiant les honoraires hors dépassements, quelques différences dans les caractéristiques de pratiques apparaissent suggérant que la composition de l’activité joue aussi un rôle important dans les différences entre hommes et femmes médecins généralistes. Il semble donc essentiel d’étudier plus précisément ces différences de composition d’activité pour éclairer le débat sur l’organisation et la disponibilité de l’offre de soins de premiers recours. C’est l’objet du chapitre suivant dans lequel, nous nous proposons d’étudier les différences de composition d’activité entre hommes et femmes.

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