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Nous nous sommes proposés d’étudier l’histoire naturelle de l’incidence et l’évolution de l’asthme chez la femme en relation avec le vieillissement en vue d’apporter des nouveaux éléments de connaissance sur le rôle possible des hormones sexuelles, de l’obésité et de l’exposition à des irritants domestiques dans l’asthme de la femme adulte. Les analyses sur les données ECRHS, nous ont permis de montrer, chez des adultes âgés de 20 à 44 ans en début d’étude et suivi pendant 20 ans, que les femmes étaient plus à risque de développer de l’asthme (en particulier de l’asthme non-allergique) pendant et au-delà de la période de la vie reproductive. Nos résultats n’indiquent pas de nouvelle inversion du sexe ratio de l’asthme autour de l’âge de 50 ans. Avec les données de la cohorte E3N, nous avons montré que la survenue naturelle de la ménopause n’était pas associée à une modification du risque de développer de l’asthme chez les femmes de corpulence normale. Ces résultats vont donc à l’encontre de l’hypothèse selon laquelle les hormones sexuelles féminines auraient un effet dans la survenue de l’asthme de la femme (au moins pour les femmes avec des valeurs « normales » de l’IMC). Les femmes en surpoids et obèses avaient un plus grand risque de développer de l’asthme (allergique ou non-allergique) par rapport aux hommes en surpoids ou obèses dans ECRHS ; et dans la cohorte E3N, seules les femmes ménopausées en surpoids/obèses étaient à plus grand risque de survenue de l’asthme comparées aux femmes non ménopausées de même âge. Nous avons également trouvé une association forte entre le risque de survenue de l’asthme non-allergique et l’obésité chez les femmes mais pas chez l’homme. Mis ensemble, ces résultats suggèrent que l’excès de risque de l’asthme chez la femme par rapport à l’homme passerait peut-être par l’obésité. Le fait que les femmes en surpoids/obèses ménopausées soient à plus grand risque que les femmes en surpoids/obèses mais non-ménopausées suggère qu’il y aurait des interactions complexes entre les hormones sexuelles, l’obésité et l’âge dans la survenue de l’asthme. D’une part la ménopause est associée à une modification de la composition corporelle. De plus, à la ménopause, lorsque les ovaires des femmes ont cessé de produire les hormones sexuelles féminines (œstrogènes et progestérones), le tissu adipeux plus abondant chez les femmes ménopausées obèses continuerait à produire encore des œstrogènes (par aromatisation) déséquilibrant ainsi le ratio progestérone/œstrogènes ou progestérone/androgènes. L’analyse des données ECRHS a également permis de montrer que même si les femmes étaient à plus grand risque de développer de l’asthme (surtout de l’asthme non- allergique), les phénotypes d’asthme allergique et non-allergique n’évoluent pas différemment chez les hommes et les femmes, suggérant également que les hormones sexuelles féminines n’auraient pas d’effet sur l’évolution de l’asthme. Nous avons observé dans ECRHS qu’il y avait un pic dans la différence de l’asthme allergique survenant autour de 30-40 ans (seule tranche d’âge où la survenue de l’asthme allergique était plus élevée chez les femmes), et dans E3N que les femmes ménopausées

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chirurgicales avaient un plus grand risque de développer de l’asthme par rapport aux femmes non ménopausées et aux femmes ménopausées naturellement de même âge. Au regard de la courbe de l’évolution des niveaux d’androgènes (de la testostérone particulièrement) en fonction de l’âge chez les hommes et du fait que l’ovariectomie bilatérale est associée à des taux bas d’androgènes (sans différence des taux d’œstrogènes) par rapport à la ménopause naturelle, il semble raisonnable d’avancer l’hypothèse d’ un effet protecteur des androgènes sur la survenue de l’asthme, qui pourrait également expliquer l’inversion du sexe ratio de l’asthme observée autour de la puberté. Les différences de genre dans les expositions aux irritants dans le cadre de nettoyage à domicile étaient flagrantes dans nos analyses. Dans ECRHS plus de 20% des femmes (contre seulement 6% d’hommes) étaient quotidiennement exposées à l’eau de Javel ou aux produits en sprays dans le cadre du nettoyage domestique. Ces pourcentages étaient autour de 30% chez les femmes (contre 6% chez les hommes) dans EGEA. L’analyse des données EGEA nous a permis de mettre en évidence des associations fortes entre l’utilisation fréquente de l’eau de Javel et l’asthme non-allergique, les symptômes respiratoires et l’HRB chez la femme. Cependant, les données de l’étude ECRHS ne nous permettent pas de conclure à un rôle prédominant de ce facteur dans l’excès de risque d’incidence de l’asthme chez les femmes, par rapport aux hommes. De plus, ce facteur pourrait être déterminant dans la persistance de l’asthme, mais des études longitudinales sont nécessaires pour tester cette hypothèse.

Au total, nos résultats n’ont pas permis de confirmer l’hypothèse d’un effet des hormones sexuelles féminines dans l’asthme. Les résultats de nos travaux, mis en regard des données de la littérature, nous amènent à formuler d’autres hypothèses. Ainsi, l’excès de risque de l’asthme (et surtout de l’asthme non-allergique) observé chez la femme pourrait refléter soit :

- Une diminution de l’incidence chez l’homme qui semblent être protégé de l’asthme dès que les taux d’androgènes atteignent un certain niveau à la puberté, ce qui pourrait expliquer l’inversion du ratio observée à la puberté.

- Une susceptibilité accrue des femmes face aux asthmogènes, comme le suggèrent les associations trouvées entre les expositions au tabagisme, aux produits de nettoyage ou aux gaz-vapeurs-fumées et l’asthme non-allergique chez la femme mais pas chez l’homme dans ECRHS. Cette susceptibilité pourrait être en partie subjective, mais les relations observées dans EGEA entre l’utilisation de l’eau de Javel et des marqueurs objectifs tels que l’HRB ne soutiennent pas cette hypothèse. Aussi cette susceptibilité accrue pourrait plus vraisemblablement être liée à des différences anatomiques pulmonaires ou à des différences dans la réponse immunitaire.

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- Une exposition plus élevée des femmes à certains facteurs de l’environnement intérieur, notamment les expositions domestiques à des irritants.

- Un effet de l’obésité, ou plus précisément des hormones pro-inflammatoires issues du tissu adipeux, telle que la leptine, dont les niveaux sont plus élevés chez la femme par rapport à l’homme pour un même IMC.

- Des interactions complexes entre les hormones sexuelles et le métabolisme du tissu adipeux (produisant des adipocytokines pro-inflammatoires mais aussi des œstrogènes par aromatisation des androgènes), qui pourraient déséquilibrer les ratios entre les différentes hormones sexuelles.

D’un point de vue clinique, les données de l’étude ECRHS indiquent que chez la femme, l’obésité est un facteur de risque important de l’asthme non-allergique (avec un OR à 3), ce qui souligne la nécessité d’encourager une perte de poids chez les femmes obèses. Une vigilance accrue et des recommandations pour limiter la prise de poids au moment de la ménopause devraient également être considérées. Chez les femmes obèses, les cliniciens devraient être alertés de la possibilité de la survenue d’un asthme autour de l’âge à la ménopause et les femmes ovariectomisées devraient être considérées comme un groupe à risque de survenue de l’asthme. Nos résultats suggèrent également que l’utilisation de l’eau de Javel pour le ménage devrait être incluse dans la liste des facteurs pouvant déclencher de l’asthme, et que cette exposition courante devrait être systématiquement recherchée chez les femmes qui se présentent en consultation avec des symptômes asthmatiques, surtout quand le diagnostic suspecté est celui d’un asthme non-allergique. D’un point de vue de santé publique, certains facteurs associés à l’excès de risque de l’asthme de la femme comme l’obésité ou les expositions à des produits irritants peuvent être évités. Les facteurs intrinsèques de l’excès de risque comme l’âge, les facteurs génétiques, ou le genre féminin ne peuvent pas faire l’objet d’interventions de santé publique, mais la reconnaissance de ces facteurs comme identifiant des groupes à risque devrait être intégrée dans la démarche diagnostique.

Nos résultats n’ont pas permis de confirmer l’hypothèse selon laquelle l’excès de risque de l’asthme chez la femme serait dû à un effet indépendant des hormones sexuelles féminines, et suggèrent un rôle de l’obésité et des facteurs environnementaux dont l’exposition à des irritants ou autres asthmogènes. Pour l’exposition aux irritants, d’autres études sont nécessaires. Des analyses longitudinales vont notamment permettre de prendre en compte la temporalité entre l’exposition aux irritants et la survenue de l’asthme. Concernant les produits de nettoyage, un recueil plus spécifique sur la composition et les modalités d’utilisation des produits devrait permettre une meilleure évaluation des risques associés à l’utilisation de ces produits. Le rôle de l’exposition de la femme à d’autres substances de l’environnement domestique constitue également une question pour les

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recherches à venir. En ce qui concerne l’obésité et les facteurs hormonaux, les prochaines études en population devraient se focaliser sur un rôle protecteur des androgènes, en regardant notamment si les changements (physiologiques, pathologiques ou liés à des traitements) des niveaux des hormones sexuelles masculines (testostérone, DHEA) sont associés à la survenue de l’asthme. Les associations entre les ratios des différentes hormones et le ratio hormones sexuelles/leptine en association avec l’asthme semblent également être intéressantes à étudier. En ce qui concerne la ménopause, l’effet de l’âge à la ménopause (notamment la ménopause précoce –potentiellement modifiable) sur la santé respiratoire devrait également être recherché.

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