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CHAPITRE 1 : ETUDE DE L’EFFET DU VOISINAGE ORTHOGRAPHIQUE PAR

2.1.2. Expérience 1 : Tâche de décision lexicale

2.1.2.4. Discussion

L’objectif de l’Expérience 1 était d’étudier dans quelle mesure l’effet de la fréquence du voisinage orthographique par suppression d’une lettre pouvait être influencé par les habiletés lexicales des lecteurs. Dans un premier temps, nous avons mis en évidence un effet inhibiteur de la fréquence du voisinage orthographique par suppression d’une lettre. De plus, l’effet du groupe d’habiletés lexicales a été trouvé. Enfin, les résultats révèlent un effet d’interaction entre la fréquence du voisinage orthographique par suppression d’une lettre et le groupe d’habiletés lexicales.

Dans cette expérience, nous avons répliqué, pour la première fois en français, l’effet inhibiteur de la fréquence du voisinage orthographique par suppression d’une lettre, initialement mis en évidence dans les langues anglaise (Davis et al., 2009), espagnole (Davis et al., 2009) et hollandaise (avec amorçage, De Moor & Brysbaert, 2000). Les résultats nous indiquent que les mots ayant au moins un voisin orthographique plus fréquent par suppression d’une lettre sont reconnus plus lentement et avec plus d’erreurs que ceux sans voisin orthographique plus fréquent. Ces résultats peuvent être interprétés à l’aide du modèle de codage spatial (Davis, 2010). Dans le cadre de ce modèle, les lettres sont codées avec un gradient de position, de sorte qu’elles sont traitées indépendamment de la position qu’elles occupent dans le mot. En effet, le codage spatial permet un codage moins strict. En plus de ce gradient de position, le degré de certitude de la position de la lettre est évalué avec une fonction gaussienne. Ainsi, le mot pliage pourrait activer le voisin orthographique par suppression d’une lettre plage. La lettre p pourrait alors être codée par la valeur 1 pour les deux mots, la lettre l par la valeur 2, et la lettre i par la valeur 3 pour pliage, et la lettre a par la valeur 3 pour plage, etc. Le degré de certitude de la position de la lettre pourra alors renforcer l’activation (ou non) de la lettre par rapport à la place qu’elle occupe dans le mot. Après l’activation des lettres, le mot et les candidats potentiels peuvent alors s’activer et entrer en compétition. Le mot ne serait reconnu qu’à partir du moment où le mécanisme d’inhibition sera terminé, grâce à une méthode de correspondance par superposition. Cette méthode permettrait de distinguer la longueur des mots qui n’est pas la même, et d’inhiber le voisin. Toutefois, si le degré de certitude de la position de la lettre dans le mot n’a pas permis d’activer le mot présenté suffisamment pour atteindre le seuil de reconnaissance, alors cela pourrait entraîner une réponse erronée dans la TDL. Les voisins orthographiques par suppression d’une lettre semblent bien être des candidats compétiteurs dans la reconnaissance visuelle des mots en français.

PARTIE 2 – CHAPITRE 1

Un second résultat est l’effet des habiletés lexicales dans la reconnaissance visuelle des mots. Dans la lignée des travaux de Perfetti (2007) et d’Andrews (2015), nous avons estimé les habiletés lexicales de lecteurs de langue maternelle française à l’aide de deux tests d’orthographe, deux tests de lecture et de deux tests de vocabulaire. Nos données sont en accord avec ceux de la littérature (Andrews, 2015 ; Andrews & Hersch, 2010 ; Andrews & Lo, 2012 ; Chateau & Jared, 2000 ; Perfetti, 2007 ; Sears et al., 2006). Les individus ayant des habiletés lexicales basses mettent plus de temps à répondre et commettent plus d’erreurs que les individus ayant des habiletés lexicales hautes. Selon l’hypothèse de la qualité lexicale (Perfetti, 2007), les représentations lexicales des individus ayant de fortes habiletés lexicales sont stables en mémoire, précises, de sorte que leur récupération est plus rapide et plus fiable. A l’inverse, les personnes ayant des habiletés lexicales basses ont des représentations lexicales moins stables, moins précises, ce qui ralentit leur lecture, et augmente les erreurs de lecture. Ces résultats impliquent que les processus mis en œuvre durant la reconnaissance visuelle des mots sont moins efficients chez le jeune adulte lecteur de langue maternelle française ayant des habiletés lexicales basses plutôt que de hautes habiletés lexicales. De plus, ces données confirment l’intérêt de prendre en compte les habiletés lexicales dans les travaux en psycholinguistique (Andrews, 2015). Tout le monde n’a pas les mêmes habiletés lexicales, ce qui semble impliquer des différences d’efficacité de mise en place des processus de lecture, ce qui pourrait varier selon les langues.

Enfin, le dernier résultat important de cette étude correspond à l’effet d’interaction entre la fréquence du voisinage orthographique par suppression d’une lettre et le groupe d’habiletés lexicales. En accord avec les recherches d’Andrews menées en anglais avec un paradigme d’amorçage (Andrews & Hersch, 2010 ; Andrews & Lo, 2012), nos données obtenues dans une TDL sans amorçage suggèrent que la compétition lexicale diffère selon les habiletés lexicales des lecteurs. Pour les lecteurs avec de fortes habiletés lexicales, l’effet inhibiteur de fréquence du voisinage orthographique par suppression d’une lettre est plus important que pour les lecteurs avec des habiletés lexicales basses. Les résultats confirment un effet inhibiteur de la fréquence du voisinage orthographique par suppression d'une lettre plus important pour le groupe d'habiletés lexicales hautes plutôt que basses sur les TR. Les mots ayant au moins un voisin orthographique par suppression d'une lettre sont reconnus plus lentement que les mots sans voisin orthographique par suppression d'une lettre, et ce, d'autant plus que les lecteurs ont de hautes habiletés lexicales. Nous n’avons pas obtenu d’effet fiable sur les pourcentages d’erreur (avec un effet significatif seulement dans l’analyse des participants de l’analyse de variance). Il semblerait donc que la compétition lexicale soit

PARTIE 2 – CHAPITRE 1

moins importante pour les lecteurs avec des habiletés lexicales basses en français. Les études avec amorçage orthographique menées en anglais ont montré un effet inhibiteur d'amorçage orthographique pour les individus ayant des habiletés lexicales hautes alors que c'est un effet facilitateur qui a été trouvé pour les individus ayant des habiletés lexicales basses (Andrews & Hersch, 2010; Andrews & Lo, 2012). Ces résultats suggèrent que la compétition lexicale ne se développe que pour les lecteurs avec de hautes habiletés lexicales en anglais (Andrews & Lo, 2012). Les différences de résultats trouvées entre notre étude et ces deux dernières études (Andrews & Hersch, 2010 ; Andrews & Lo, 2012) pourraient être expliquées en termes de différences entre les langues. En effet, Sears et al. (2006) ont soulevé le fait que l'inhibition latérale (entre les mots) serait un processus moins dominant en anglais que dans d’autres langues comme le français. Cela viendrait du fait que les mots anglais possèdent plus de voisins orthographiques et par conséquent plus de voisins orthographiques plus fréquents. Ainsi, les connexions d'inhibition latérale seraient moins fortes pour permettre l'accès au lexique dans la langue anglaise. Dans notre étude sur des mots français, les individus avec des habiletés lexicales hautes activeraient plus fortement le voisin orthographique plus fréquent par suppression d'une lettre que les individus ayant des habiletés lexicales basses. Ainsi, pour les individus avec des habiletés lexicales hautes, le voisin plus fréquent dernier deviendrait alors un candidat compétiteur, ralentissant d’autant plus le temps d’identification.

En conclusion, l'effet de fréquence de voisinage orthographique par suppression d'une lettre sur les TR varie en fonction des habiletés lexicales des lecteurs de langue maternelle française. Pour aller plus loin, nous nous sommes demandé si nous pouvions reproduire l'effet du voisinage orthographique par suppression d'une lettre, c'est pourquoi nous l'avons testé dans une tâche de démasquage progressif (e.g., Grainger & Segui, 1990). La dégradation visuelle des stimuli permettrait de préciser l’effet du voisinage par suppression d’une lettre et de préciser les différences d’habiletés lexicales dans les processus d’identification du mot.