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5. EFFET DES ANTIBIOTIQUES SMX ET CIP APPORTES SEULS SUR LES

5.4. Discussion

Les résultats relatifs à l'effet des ATB sur les microorganismes du sol et leurs activités présentés dans la littérature sont contrastés (pas d'effet, effets inhibiteurs, effets stimulants). Accinelli et al. (2007) n'ont pas observé d'effet sur la structure des communautés à la suite

d'un apport de sulfaméthazine ou de sulfachloropyridine (jusqu'à 100 µg.g-1). De même,

Hammesfahr et al. (2011) n'ont pas observé d'impact de la sulfadiazine sur la biomasse microbienne totale (PLFA totaux) et la respiration basale alors que dans les travaux de Kotzerke et al. (2008), le même ATB a été à l'origine d'une diminution de la production de CO2. D'autres travaux ont montré un effet des ATB sur la biomasse microbienne totale, la structure des communautés et notamment sur le ratio bactéries/champignons et sur leurs

activités réelles ou potentielles (Demoling et al., 2009 avec le SMX (0.1 – 500 mg.kg-1) ;

Zielezny, et al., 2006 avec la sulfadiazine et la chlorotétracycline (1 – 50 mg.kg-1) ; Ding et

He, 2010 ; Gutiérrez, et al, 2010 avec 3 sulfonamides : la sulfadiméthoxine, le

sulfaméthoxazole et la sulfaméthazine (0 – 900 mg.kg-1); Thiele-Bruhn et Beck, 2005 avec la

sulfapyridine et l’oxytétracycline ( 10 – 1000 mg.kg-1). Liu et al. (2009) ont mis en évidence

des effets de deux sulfonamides (sulfaméthoxazole et sulfaméthazine) et du triméthoprime sur la respiration du sol alors que des ATB comme la tétracycline, la chlortétracycline et la tylosine n'avaient que peu d'effet. Une augmentation de la respiration a également été mise

en évidence dans certains travaux après application de sulfonamides et d’aminosides

(Ingerslev et Halling-Sørensen, 2000 ; Halling-Sørensen et al., 2003).

Dans notre étude, l’effet bactériostatique du sulfaméthoxazole ou bactéricide de la

ciprofloxacine n’ont pas eu d’impact, ni sur les biomasses fongiques, ni sur les activités de minéralisation du carbone ou d’azote. Seul un effet inhibiteur très transitoire du SMX sur la

biomasse microbienne totale a été observé à J3. La biomasse fongique n’ayant pas été

impactée, la diminution de la biomasse totale est certainement due à une diminution de la biomasse bactérienne. 0 1 2 3 4 5 0 50 100 150

%

N

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jours Ø SMX CIP a a a

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En fonction des caractéristiques de la microflore (proportion de microorganismes dégradants, tolérants, résistants), des propriétés des ATB et de leur devenir dans les sols (adsorption, biodégradation plus ou moins complète qui vont impacter la biodisponibilité), les effets des ATB dans les sols peuvent s'exercer sur des durées plus ou moins longues.

Généralement, les effets des antibiotiques sur les microorganismes ne s’observent que sur un court laps de temps. Reichel et al. (2013) qui se sont intéressés aux effets de lisiers de porc traités à la sulfadiazine et à la difloxacine sur la structure des communautés microbiennes d'un sol amendé, ont observé un appauvrissement en bactéries G+ et en

champignons par rapport au sol témoin dès le 14ème jour d’incubation. Mais ces effets n’ont

pas perduré au-delà du 42ème jour. Dans l’étude de Kotzerke et al. (2008), deux

concentrations de sulfadiazine (10 et 100 mg.kg-1) ont eu un effet inhibiteur sur la respiration

totale, effet qui a totalement disparu au bout de 32 jours. De même, la diminution de la biomasse totale en présence d’oxytétracycline et de sulfaméthoxazole, 0-100 mg.kg-1

(Molaei et al., 2017) ou la diminution de la respiration totale en présence de

sulfaméthoxazole, de sulfaméthazine et de triméthoprime, 0-300 mg.kg-1 (Liu et al., 2009)

s’est estompée rapidement après quelques jours. Les effets délétères de la ciprofloxacines (de 0.2 à 100 µg.g-1) sur la respiration totale et la nitrification potentielle, ne perdurent pas au-delà d’un mois (Girardi et al., 2011, Cui et al., 2014).

Ces résultats indiquent que, pour observer un effet des antibiotiques sur les microorganismes, les mesures doivent être effectuées particulièrement dans le premier mois suivant l’introduction des antibiotiques dans le sol. Or dans notre étude, l'effet du SMX sur la biomasse microbienne totale a été très transitoire et a disparu après 3 jours, ce qui permet

de considérer que globalement les deux antibiotiques n’affectent pas les microorganismes et

leurs activités aux doses utilisées.

Une première hypothèse est que la concentration initiale des antibiotiques dans la solution du sol était insuffisante pour impacter les microrganismes du sol et leurs activités de minéralisation de C et N. En effet la toxicité des antibiotiques est étroitement liée à un effet dose (Cui et al., 2014). Accinelli et al. (2007) n'ont pas observé d'impact de sulfaméthazine

et sulfachoropyridine jusqu'à 100 µg.g-1 sur la diversité microbienne du sol (PCR-DGGE) et

sur les activités de minéralisation du glucose et du glyphosate. Demoling et al., (2009) n’ont

observé aucun effet du SMX à des concentrations inférieures à 1 µg.g-1 sur les bactéries.

Seules de plus fortes concentrations, 20 et 500 µg.g-1, inhibaient la croissance bactérienne et

changeaient la structure de la communauté. Liu et al. (2009) ont montré que la respiration du sol diminuait d'autant plus que la concentration en SMX, sulfaméthazine et trimethoprime était importante. L'effet du SMX sur la respiration basale du sol était observable uniquement

à partir de 10 mg.kg-1. Concernant les fluoroquinolones, la respiration totale et la nitrification

potentielle diminuaient avec l’augmentation des doses de ciprofloxacine (de 0.2 à 100 µg.g-1)

(Girardi et al., 2011, Cui et al., 2014). Ces différents résultats sont donc cohérents avec ceux observés dans cette étude et suggèrent qu'il faut des concentrations en ATB bien

supérieures aux concentrations environnementales testées dans cette étude (0.02 µg.g-1 et

0.15 µg.g-1 respectivement pour SMX et CIP) pour observer des effets. En effet, les

concentrations environnementales sont généralement inférieures à la CMI (capacité minimale d’inhibition), rendant la probabilité d’engendrer des effets toxiques négligeable (Harris et al., 2013).

Des effets à faibles doses ont toutefois été observés dans quelques études sur des activités très spécifiques. Toth et al. (2011) ont observé durant 8 jours un effet inhibiteur sur

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al.(2012) ont suggéré que la norfloxacine pouvait avoir de faibles effets sur les activités

microbiennes à la concentration environnementale (<1 µg.g-1).

Une seconde hypothèse est que la concentration en antibiotiques dans la solution du

sol devient rapidement insuffisante du fait i) de l’adsorption des antibiotiques ou ii) de leur

biodégradation, totale ou partielle, par les microorganismes.

La sorption des ATB et de leurs produits de dégradation est l’un des principaux mécanismes contrôlant la toxicité par la réduction de la biodisponibilité (Girardi et al., 2011). ThieleBrühn et Beck (2005) ont observé que les effets des ATB étaient retardés et diminués

lorsqu'ils étaient adsorbés par rapport aux effets lorsqu’ils sont dans la solution du sol.

Kotzerke et al. (2011b) ont montré que l’impact de la difloxacine apportée à forte dose (100

µg.g-1) était quasi négligeable sur la biomasse totale, la structure des communautés

microbiennes, la respiration et la dénitrification du fait entre autres de sa forte et rapide adsorption sur les particules du sol. Dans notre étude, au bout de 3 jours la disponibilité a

diminué de 80% pour le SMX, et de plus de 95% pour la CIP (20% et 4% du 14C dans la

fraction HPCD pour SMX et CIP respectivement à J3). Si les deux antibiotiques s’adsorbent vite et fortement au sol, le SMX s’adsorbe moins que la CIP et reste disponible tout au long de l’incubation, tandis que la fraction de CIP disponible est très faible dès le début de

l'incubation et devient ensuite négligeable (6% et 2% du 14C dans la fraction HPCD pour

SMX et CIP respectivement à J156). L’impact potentiel des antibiotiques sur les bactéries serait donc faible pour le SMX, et quasi nul pour la CIP dès le début de l’incubation, et l’impact du SMX diminuerait avec le temps à mesure de sa dégradation et de son adsorption. Cependant, certains auteurs ont observé des effets différents. Hammesfahr et al. (2011) ont montré que l’effet antibactérien des sulfonamides augmentait après plusieurs semaines d’incubation malgré la réduction de la biodisponibilité des antibiotiques en dessous de la limite de détection. Ils ont attribué ce résultat à une remobilisation des antibiotiques, induite par la dégradation microbienne de la MO. Dans l’étude de Thiele-Bruhn et Beck

(2005), alors que la sulfapyridine (1 µg.g-1) n’était plus détectable au bout de 14 jours, ses

effets sur la diminution de la biomasse microbienne étaient toujours visibles. Facilement adsorbée à la matrice du sol, la ciprofloxacine peut conserver son efficacité, même à une

concentration similaire à celle de notre étude 0.2 µg.g-1 (Girardi et al., 2011). Les

antibiotiques adsorbés peuvent exercer leurs effets notamment lorsqu'ils sont adsorbés conjointement avec les microorganismes sur les mêmes surfaces (Reichel et al., 2013). Ainsi, on notera toutefois que même adsorbés, les antibiotiques peuvent conserver une efficacité.

La dégradation des ATB par co-métabolisme ou dégradation spécifique peut conduire à une dégradation totale ou partielle des ATB, en particulier dans la solution du sol. Par conséquent, la concentration des ATB diminue, induisant à priori une diminution de leurs

effets toxiques. Cependant, dans notre étude la minéralisation du SMX est faible, de l’ordre

de 10% (Chapitre 4) et celle de la CIP est négligeable en fin d’incubation. De plus les

métabolites produits peuvent dans certains cas, être plus ou moins toxiques que la molécule mère (Kotzerke et al., 2008). Des métabolites plus toxiques que la molécule parentale ont été décrits par exemple pour des sulfonamides tels que la sulfadiazine (Reichel et al., 2013) et la sulfapyridine (García-Galán et al. 2012). Les résultats de Zhang et al. (2017) révèlent que les produits de transformation du sulfaméthoxazole peuvent aussi être plus toxiques que la molécule mère. On peut alors supposer que les métabolites du SMX mis en évidence par

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nos mesures, pourraient aussi affecter les populations microbiennes. Par ailleurs Liao et al. (2016) ont montré que les produits de dégradation de la CIP changeaient la structure des communautés microbiennes, indiquant un effet toxique des métabolites de la CIP sur certaines espèces bactériennes. Ainsi dans notre étude il n’est pas exclu que les produits de dégradation du SMX et de la CIP affectent la biodiversité même si la biomasse totale n'est pas affectée.

Les microorganismes pourraient également avoir développé des mécanismes de tolérance (Gao et Pedersen, 2010) ou de résistance pour survivre et se développer en

présence d'ATB. Hammesfahr et al. (2011) ont observé que les effets de la sulfadiazine

apporté via un fumier sur les bactéries nitrifiantes étaient plus modérés lorsque le fumier était préalablement stocké avant son apport au sol, le stockage ayant favorisé le développement de bactéries résistantes à l'ATB. Des gènes de résistances à la sulfadiazine ont pu être détectés dans les sols durant plus de deux mois après épandage du fumier. Girardi et al. (2011), ont également mis en évidence la présence du gène de résistance qnrs dans des

échantillons de sol traité avec de la CIP (0.2, 2 et 20 µg.g-1) entre le 14ème et le 113ème jour

d’incubation. Cui et al. (2014) supposent que les bactéries résistantes sont capables d’utiliser la CIP ou la biomasse morte comme substrat organique pour leur croissance.

Enfin, l'absence d'effet observé sur des mesures très globales peut être due à la redondance fonctionnelle des microorganismes. Par exemple, les sulfonamides et les fluoroquinolones présents à des doses environnementales n’inhibent pas les archaea ou les champignons (Kotzerke et al., 2008 ; Girardi et al., 2011), qui sont capables de compenser les fonctions bactériennes perturbées par les antibiotiques, rendant non observables les effets sur la minéralisation du C et de l'azote.

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