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D. DEFAILLANCES ET DEBORDEMENTS DE L’IDENTIFICATION HEROIQUE

IV. DISCUSSION

Cette étude est inédite dans le sens où nous étudions des œuvres

cinématographiques récentes alors que les études analytiques concernant les

héros traitent habituellement de héros de littérature relativement ancienne. En

effet, en étudiant les figures héroïques qui ont du succès au cinéma, cela nous

permet d’avoir un regard sur les tendances actuelles dans la société, savoir de

quels ‘types’ de héros la population a besoin en suivant l’évolution de la figure du

héros. L’étude chiffrée de la ‘consommation’ des fictions par la population nous a

aussi aidé à comprendre des phénomènes de société présents, encrant ainsi ce

travail dans des questions actuelles touchant à la construction même de l’identité

des individus, mais aussi la question de l’autorité.

Cette analyse des tendances actuelles a été permise car elle repose sur des

bases solides que sont l’étude de l’origine du héros, de la religion et de la

psychologie des masses selon S. Freud. Les fondements du narcissisme, de l’idéal

du moi et du surmoi et les mécanismes d’identification ont été repris afin de bien

comprendre leur implication dans l’interaction avec les figures héroïques. Nous

avons aussi pu mettre en évidence l’importance de l’identification héroïque en

étudiant les troubles que cela pouvait occasionner si celle-ci est impossible (chez

l’enfant puis chez l’adolescent), prématurée ou fusionnelle. Il aurait par contre

été intéressant de se baser sur des sources plus diverses quant à la figure du

héros, avec des approches, des points de vue autres que celui de S. Freud.

De plus, nous avons établi la légitimité de la prise de fictions comme matériel

d’étude sur laquelle repose ce travail. Cette étude n’est bien sûr pas exhaustive et

n’a pas pu prendre en compte la totalité des fictions et héros de fiction actuels. Il

aurait peut-être été intéressant pour chaque thème de prendre des exemples plus

nombreux afin d’avoir plus de matière clinique et ainsi de démontrer d’une

manière plus certaine les éléments dégagés. Cependant, ceci nous a tout de

même permis d’avoir accès à une base de données quasi-illimitées, donnant accès

à du matériel clinique riche et varié. Nous avons aussi fait en sorte de prendre

des films connus, qui ont eu de succès auprès des spectateurs. Un des biais qui

pourrait par contre fausser notre travail est la logique économique des sociétés

de production cinématographiques qui cherchent à rajouter tel ou tel élément

dans un film dans un but lucratif, afin de faire revenir le spectateur. Ces éléments

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ne sont donc pas ‘dictés par un inconscient artistique’. Néanmoins, cette logique

économique, ‘oblige’ en retour les sociétés de productions à prendre les

‘directions’ indiquées par les spectateurs, à faire des héros, des fictions

conformes au besoin et à la demande du public.

Dans notre étude, nous avons pris en majorité des films d’origine américaine.

Ceci est dû au fait que les sociétés de productions américaines occupent la

quasi-totalité des places dans le classement des 100 premiers films au box-office

mondial et occupent alors une place très importante dans le paysage du cinéma.

De plus, environ la moitié des fictions en France sont d’origine américaine16 (7).

Ceci pourrait alors en partie biaiser les tendances actuelles, reflétant alors un

‘état d’esprit’ plus américain. Mais, encore une fois, il ne faut pas oublier que si

les films américains ont du succès en France, c’est qu’ils apportent quelque chose

au public et qu’ils correspondent aux attentes des spectateurs français.

Dans un ordre d’idée similaire, nous avons également pris de nombreuses

fictions Disney, cette société étant le premier groupe de divertissement au

monde, parfois appelé ‘l’empire Disney’. Ils sont donc à l’origine de nombreux

dessins animés, mais aussi de nombreux films. Nous pourrions nous inquiéter du

fait que les similitudes présentes entre les fictions soient alors dues simplement à

une même origine. Mais cela est contrebalancé par plusieurs éléments : d’une

part, à leurs débuts, les studios Disney ont surtout fait des adaptations de contes

préexistants : tels Blanche-Neige (53), La Belle au bois dormant (65), La petite

Sirène (51), La Belle et la Bête (56), etc., qui proviennent d’auteurs et de pays

différents, conservant ainsi la diversité des fictions et du ‘matériel clinique’. Nous

avons-là par exemple : les Frères Grimm, qui étaient allemands, Charles Perrault,

français, Hans Christian Andersen, danois, et Mme Leprince de Beaumont,

française. Charles Perrault a lui-même retranscrit des contes de la tradition orale

française et donc d’origines diverses ; il en est de même pour les Frères Grimm.

D’autre part, les réalisateurs sont très variés et changent très régulièrement

selon le film d’animation, ceux-ci étant par exemple tous différents pour les

quatre fictions que nous venons de citer. Enfin, plus récemment, d’autres sociétés

de productions sont rentrées en concurrence avec Disney, tels que Pixar

Animation Studios ou DreamWorks Animation. Il est vrai que ceux-ci collaborent

parfois avec Disney pour produire des fictions, mais cela permet tout de même de

maintenir un certain ‘métissage’.

Enfin, un dernier biais de sélection pourrait être décelé : le notre. Parmi les

choix des fictions, il n’y a bien sûr que celles que nous connaissons, mais aussi

probablement surtout celles que nous avons appréciées, ce qui pourrait avoir

orienté les choix vers un certain type de fictions, plus réduit, plus personnel. Ceci

est atténué par le fait que le nombre de films choisi est relativement élevé et que

16

Statista : Répartition des revenus bruts de la distribution de films en France de 2012 à 2014,

selon l’origine des films

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le nombre de thèmes abordé est vaste, forçant ainsi à un certain éclectisme.

Ensuite, nous avons cité de très nombreux films de type ‘irréel’ car, d’une part,

comme nous l’avons compris, ce sont les films qui ont le plus de succès

actuellement, et sont donc les plus représentés, et, d’autre part, les films de type

‘irréel’ semblent plus simples à exploiter, à analyser, possédant plus d’éléments

symboliques. De plus, comme nous l’avions vu, les films de type ‘irréels’ traitent

surtout du bien et du mal et sont habituellement très manichéens. Il est

nécessaire, dans le développement, de d’abord passer par ce clivage, de pouvoir

s’identifier à quelqu’un de ‘tout bien’ afin de pouvoir ensuite nuancer.

Enfin, il n’y a probablement pas de théorie uniciste pour expliquer toutes les

implications actuelles auxquelles nous avons réfléchies et leur origine est

sûrement multifactorielle, différents paramètres rentrant en compte dans leur

développement. Ce sont donc des extrapolations, puisqu’elles sont construites à

partir de données fragmentaires, non exhaustives, n’ayant pris en compte que

l’aspect identificatoire et héroïque de la question. Néanmoins, les éléments que

nous avons fournis semblent être des pistes de réflexion intéressantes car en

effet, les théories émises paraissent concorder avec ce qu’il se passe dans la

société, de nombreux éléments se rejoignant et allant dans la même direction.

Cela nous donne la possibilité d’attirer l’attention sur un thème qui permettrait en

partie de comprendre pourquoi cette société semble en perte de repères.

Il aurait été intéressant d’étudier l’univers des jeux vidéo car en effet, ‘mieux’

qu’une identification, ceux-ci permettent quasiment d’incarner un héros. Le

joueur peut contrôler le héros, agir avec ses pouvoirs, sa force, ses aptitudes en

général. Il peut vivre l’histoire, influant même parfois sur l’issue de celle-ci en

fonction des décisions qu’il prend dans le jeu. D’autres jeux sont entièrement

destinés à simuler une ‘vie’, tel ‘Les Sims’, avec des relations sentimentales,

amicales, un métier, une maison, des possibilités d’évolution, une famille, des

enfants, etc. Il existe aussi des ‘escape game’ où les participants sont enfermés

dans une salle ‘réelle’ et doivent coopérer afin de trouver des indices et résoudre

des énigmes dans le but de sortir de la pièce. Des ‘GN’, ou ‘jeux de rôles grandeur

nature’, se développent. Ces jeux consistent à incarner physiquement un

personnage qui va évoluer dans un univers fictif. Il y en a de nombreux types :

’huis-clos’, ‘murder party’, reconstruction de bataille… Les participants sont

souvent déguisés et les univers peuvent être réalistes ou fantastiques, historiques,

modernes ou futuristes. Il y a aussi le ‘geocaching’ qui correspond à des cartes au

trésor dans la ville, etc. Autant de moyens de devenir soi-même le héros de

l’histoire qu’il serait intéressant d’étudier. Autant d’exemples qui traduisent cette

soif d’identification actuelle.

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