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DETERMINATION DE LA NATURE DE LA SERIE ORIGINELLE

II.3. DISCUSSION ET CONCLUSION

La région de Boumnyebel est constituée d’un ensemble paléoprotérozoïque apparenté au groupe du Nyong et d’un ensemble panafricain apparenté au groupe de Yaoundé. Nous présentons une nouvelle cartographie de cette région. Il apparaît qu’au sud-ouest du secteur d'étude la limite entre les formations panafricaines et les formations paléoprotérozoïques ne se situe pas à la latitude de la tranchée routière Boumnyebel-Song Mbong comme l’indiquaient les travaux antérieurs, mais se trouve plus au sud, à proximité des localités de Mapan et de Memel. La région de Boumnyebel est caractérisée par la présence d’une foliation assez proche de l’horizontale et par une structure en dômes et bassins. Les linéations minérales sont en majorité orientées NNE-SSW.

Au sud-ouest de la carte, l'ensemble panafricain repose tectoniquement sur l'ensemble paléoprotérozoïque. Dans la région d’étude les formations de l'ensemble paléoprotérozoïque sont représentées essentiellement par des TTG et des granites et de façon plus limitée par des amphibolites à grenat, en cohérence avec ce qui est connu plus au sud et à l’ouest dans le groupe du Nyong. Les amphibolites à grenat que nous évoquons ici sont celles qui constituent des niveaux boudinés au sein des TTG. Elles sont différentes des métavolcanites que Stendal et al. (2006) ont assimilés aux formations paléoprotérozoïques, mais que nous considérons comme panafricaines et sur lesquelles nous reviendrons dans le chapitre suivant. Ces métavolcanites sont en fait des amphibolites à grenat associées à des talcschistes à trémolite que nous considérons comme charriées sur le Paléoprotérozoïque ou séparé de ce dernier par contact faillé. La structuration des roches paléoprotérozoïques à proximité du contact avec le panafricain est identique avec celles des formations panafricaines. Cela avait été déjà souligné par Feybesse et al. (1998). Il y a donc restructuration des formations du Nyong durant l’orogenèse panafricaine. Nous verrons que cela est également cohérent avec les paragenèses métamorphiques (Chap. 3).

Les formations panafricaines correspondent à un ensemble majoritairement métasédimentaire constitué de métagrauwackes et métapélites, en cohérence avec ce qui est connu dans la région de Yaoundé, dans lequel est interlité un ensemble de roches mafiques (amphibolites à grenat et à épidote, gneiss à amphibole, métagabbros à grenat) et ultramafiques (pyroxénites à amphibole, clinopyroxénites à actinote, orthopyroxénites à anthophyllite hornblendites à épidote, talcschistes à trémolite et à magnésite-olivine, serpentinites à talc). Dans leur géométrie actuelle, les formations panafricaines montrent une évolution de la base au sommet,

avec une partie inférieure constituée de micaschistes grauwackeux contenant la plupart des niveaux d’amphibolites et pyroxénites, un ensemble supérieur comprenant au sommet les métapélites dans lesquelles se situent quelques niveaux d’amphibolites et un niveau de marbre à dolomite, et les talcschistes semblant constituer un niveau dilacéré situé en position intermédiaire.

La reconstitution de la nature des protolites des roches métamorphiques est toujours une opération délicate en raison des modifications chimiques induites par le métamorphisme. La reconstitution des environnements géodynamiques, reposant pour une majeure partie sur les rapports d’éléments en traces des roches, l’est encore plus. Cela est tout particulièrement vrai pour les roches mafiques et ultramafiques. Pour aborder cet aspect il est donc nécessaire de considérer que l’effet du métamorphisme n’a pas été suffisant pour perturber sensiblement les concentrations et les rapports élémentaires des roches initiales. Ce n’est sans doute pas tout à fait exact, mais la plupart des roches (à l’exception des talcschistes) montrent des caractéristiques chimiques cohérentes avec ce qui est connu pour les principales roches magmatiques et sédimentaires. Nous considérerons donc que l’essentiel des caractères chimiques des roches métamorphiques de Boumnyebel sont essentiellement primaires et reflètent celles des séries originelles et de leur environnement de dépôt. Une seconde difficulté est que la série dans sa géométrie actuelle résulte d’un empilement lié à une tectonique en nappe de formations qui pouvaient être initialement distantes les unes des autres.

II.3.1. Micaschistes et série métasédimentaire initiale

L’essentiel de la série est constituée de matériaux sédimentaires silicoclastiques dont les caractéristiques chimiques suggèrent en partie une origine à partir de l’érosion de matériaux continentaux. Nzenti et al. (1988) interprètent les métasédiments de Yaoundé comme provenant de l'érosion d’une croûte continentale proche avec dépôt dans un environnement peu profond en raison de la présence de marbres qui requiert des milieux de dépôts sous faible tranche d’eau (Veizer, 1973). Compte tenu de la présence de roches à affinité alcaline ces auteurs ont envisagé un contexte de rift en bordure d’un craton. Stendal et al. (2006) considèrent que les sédiments de la région de Dibang, très proche de celle étudiée ici, correspondent à un mélange de matériaux argileux et de quartz et à des matériaux dérivés de roches ignées intermédiaires à mafiques de type arc. Le contexte envisagé est celui d’un arc magmatique à proximité d’un continent.

Le premier point à souligner concernant les métasédiments de la région de Boumnyebel est que les micaschistes à grenat, micaschistes à chlorite et les micaschistes à grenat-disthène ne forment pas une lignée continue suggérant un simple mélange entre une fraction argileuse et une fraction détritique plus grossière. Ils forment deux entités distinctes (cf. fig. 33). Cela est également perceptible sur les granulites de Yaoundé (cf. fig. 2 de Nzenti et al., 1988). A cela s’ajoute la présence dans les micaschistes à grenat-disthène d’un niveau de marbre à dolomite absent dans les micaschistes à grenat et, inversement, la plus grande abondance des roches mafiques dans ces derniers. On peut donc légitimement s’interroger sur la signification de ces deux groupes de roches métasédimentaires : s’agit-il d’une simple succession stratigraphique avec changement de contextes de dépôts ou de sources, ou s’agit-il de deux entités distinctes accolées tectoniquement ? Enfin, il est délicat de distinguer sur la seule base des caractères géochimiques les matériaux sédimentaires provenant d’une source continentale de ceux dérivés de l’érosion de roches ignées intermédiaires de type arc. Les données dont nous disposons sur la région de Boumnyebel suggèrent que les interprétations de Nzenti et al. (1988) et Stendal et al. (2006) bien que divergeant sur le contexte géotectonique ne sont qu’en apparence contradictoires. Premièrement, la présence de marbre à dolomite (et autres formations carbonatées et ferrifères comme les épidotites et les grenatites à anthophyllite) dans les micaschistes à grenat-disthène implique un environnement de dépôt peu profond et en partie confiné, donc vraisemblablement un contexte de marge continentale ou de bassin d’arrière arc. Deuxièmement, la signature géochimique de l’ensemble des micaschistes implique des matériaux-sources présentant une nette anomalie négative en HFSE (Nb, Ta), suggère soit une origine crustale, soit une origine d’arc volcanique, soit les deux. En effet, comme Bock et al. (2000) l'ont signalé il est difficile de distinguer les sédiments provenant de la croûte continentale recyclée de ceux des arcs sur la seule base de leurs signatures chimiques. Néanmoins, la présence assez systématique dans les micaschistes à grenat et à grenat-chlorite de plagioclase, parfois en gros cristaux il faut le noter, serait plutôt en faveur d’une composante d’origine volcanique. Nous retiendrons donc en première approximation qu’il y avait proximité d’un continent soumis à l’érosion (au moins pour la partie supérieure de la pile lithologique) et vraisemblablement la présence d’une zone volcanique active (micaschistes à grenat et micaschistes à grenat-chlorite).

II.3.2. Roches mafiques et ultramafiques et contexte géodynamique

Les roches mafiques et ultramafiques sont pour la grande majorité concentrées dans la partie inférieure de la pile métamorphique. Les données dont nous disposons nous conduisent à

discuter séparément les amphibolites (à grenat et à épidote), les gneiss à amphibole et les roches ultramafiques d’une part, et les métagabbros à grenat de Mamb d’autre part. En effet, comme l’ont déjà souligné Toteu et al. (2006) le caractère magmatique synmétamorphique des métagabbros à grenat ne fait pas de doute. Ils sont donc postérieurs aux autres roches mafiques et ultramafiques.

Compte tenu de leur composition chimique, les amphibolites dont l’épaisseur peut atteindre plusieurs dizaine de mètres, et les gneiss à amphibole représentent des témoins démembrés d’un ensemble (plutono)-volcanique initial. Le premier point à souligner est que, compte tenu de leurs rapports Ti/V (fig. 16e) et de l’allure de leurs spectres de terres rares (fig. 17), les amphibolites peuvent être considérées comme d’affinité tholéïtique. Les spectres très plats au niveau des terres rares lourdes et moyennes évoquent les laves de type N-MORB ou E-MORB. Les amphibolites à grenat forment dans le diagramme Ti-V une lignée très nette suggérant une évolution par cristallisation fractionnée. Pour les amphibolites à épidote la dispersion est assez forte suggérant plutôt des taux de fusion variable. Les diagrammes multiélémentaires (fig. 17) montrent que tous les spectres ont une légère anomalie négative en Nb et Ta (sauf un où elle est plus marquée) et un enrichissement en Rb et Ba variable (faible dans les amphibolites à grenat, beaucoup plus variable dans les amphibolites à épidote) suggérant l’influence du recyclage de matériel crustal. Le second point à souligner est que les gneiss à amphibole forment une lignée distincte dans le diagramme Ti-V et présentent des caractéristiques de roches calco-alcalines très nettes (spectres de terres rares très fractionnés, anomalie négative très forte en Nb et Ta). Enfin, on notera que ces caractéristiques sont différentes de celles des basaltes et dolérites de la série du Dja inférieur, de Yokadouma et de Nola (Vicat et al., 1997) et de celles des amphibolites à grenat échantillonnées dans la région de Yaoundé (Owona, 2008). En conclusion, il apparaît que les roches mafiques de la région de Boumnyebel (i) se distinguent par leur variabilité chimique, (ii) que cette variabilité peut traduire soit l’effet de la cristallisation fractionnée, soit celui d’une fusion partielle à taux variables, (iii) présentent toutes une anomalie négative en Nb et Ta traduisant l’influence du recyclage de matériaux crustaux.

Les métagabbros à grenat de Mamb sont interprétés comme un ensemble intrusif synchrone du métamorphisme D2 (Toteu et al., 2006). Nous suivons cette interprétation sur la base d’arguments développés dans le Chap. 3. Les caractéristiques géochimiques et notamment leur rapports Ti/V suggèrent une série continue ayant possiblement évolué par cristallisation fractionnée. Plus caractéristiques sont les spectres de terres rares très fractionnés et les

anomalies négatives en Nb, Ta, Zr et Hf, évocatrices de magmas liés à un environnement magmatique de type convergence de plaque. Ces mêmes caractéristiques apparaissent également clairement dans les spectres de terres rares et multiélémentaires des pyroxénites à amphibole et hornblendites à épidote. Là encore apparaissent donc des évidences du rôle possible du recyclage de matériel crustal. Comme pour les gneiss à amphibole, l’affinité chimique est ici nettement calco-alcaline.

Les caractéristiques chimiques des talcschistes (dont l’origine par transformation de roches ultramafiques ne fait pas de doute pour la majeure partie d’entre eux) sont plus hétérogènes, mêmes si des similitudes semblent assez évidentes avec les roches discutées ci-dessus. Notons en particulier des spectres de terres rares assez plats mais caractérisés par une anomalie en Ce (effet probable de l’altération et du métamorphisme) et les spectres multiélémentaires montrant pour la plupart une anomalie négative en Nb et Ta.

II.3.3. Roches quartzofeldspathiques en filons et sills

La partie basale de la série métamorphique est recoupée par des veines quartzofeldspathiques qui sont absentes dans la partie supérieure. Seuls ont été observés quelques rares sills de métagranites peralumineux dans les micaschistes à grenat. La limite entre ces deux ensembles semble être marquée par des niveaux de talcschiste dont la partie basale est fréquemment recristallisée avec développement d’amphibole porphyroblastique. Cette observation qui reste à être vérifiée plus systématiquement nous conduit à considérer que les talcschistes auraient pu jouer le rôle de niveau imperméable aux fluides hydrothermaux, empêchant leur accès à la partie supérieure de la pile métamorphique.

II.3.4. Conclusion

Les éléments dont nous disposons indiquent la proximité d’une croûte continentale soumise à l’érosion et l’influence de matériel crustal sur la signature géochimiques des roches magmatiques. Les roches vertes de la région de Boumnyebel, jadis considérées par Maurizot et al. (1986) comme étant d'âge archéen inférieur à paléoprotérozoïque sont plutôt d'âge panafricain. A souligner également l’hétérogénéité des signatures géochimiques des roches mafiques suggérant la coexistence de roches de nature tholéiitique (N-MORB, E-MORB) et calco-alcaline. Il est difficile de savoir comment doit être interprétée une telle hétérogénéité qui a d’ailleurs déjà été signalée dans d’autres séries métamorphiques de haute pression (par

exemple Norvège, Martin, 2009). Deux scénarios sont envisageables. Le premier consiste à considérer que les magmas à anomalies négatives en HFSE traduisent l’effet d’un phénomène de subduction en marge d’un continent (bassin d’arrière arc par exemple). Cela semble cohérent avec la présence de roches de nature calco-alcaline (gneiss à amphibole) et avec la mise en place postérieure (synmétamorphique) de roches calco-alcalines (métagabbros à grenat de Mamb). Le second scénario consiste à considérer que les magmas à anomalies négatives en HFSE traduisent une contamination variable de magmas mantelliques par du matériel crustal. Une telle éventualité peut être compatible, soit avec un contexte de type subduction comme envisagée dans le premier scénario, soit avec un contexte de rift avec fragmentation d’un continent plus ancien. Ceci apparaît cohérent avec la présence au nord du craton du Congo de petits blocs continentaux impliqués dans la chaîne panafricaine (domaine Adamaoua-Yadé). Enfin, soulignons que ces deux scénarios ne s’excluent pas mutuellement dans la mesure où la série de Boumnyebel résulte de la mise en place de nappe.

CHAPITRE III.