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Des liposomes géants soumis à des impulsions électriques rétrécissent donc bel et bien, et l’expulsion de lipides a lieu par le biais de différents mécanismes : l’éjection de petites vésicules, la formation de tubules, ou la création de macropores. Ce comportement est très différent de celui de cellules vivantes, qui ont plutôt tendance à gonfler lors de l’électropulsation [Kinosita 77, Abidor 93, Abidor 94, Golzio 98].

Les résultats expérimentaux, avec le modèle théorique associé, nous conduisent à proposer le scénario suivant. La perte de lipides a lieu en deux étapes. Tout d’abord, si l’impulsion électrique est assez intense, la membrane passe d’un état inactif, sans défauts, à un état comportant des défauts, nécessaires pour entrer dans le régime de décroissance où des lipides sont effectivement perdus après chaque impulsion. Ensuite, l’aire perdue par impulsion est de l’ordre de λ≈ 20 % de l’aire où la différence de potentiel transmembranaire excède une valeur critiqueψc. D’après notre estimation Wc = 0.65 obtenue en considérant la moyenne de toutes les courbes expérimentales, nous trouvons un potentiel critique ∆ψc0.85 V. En moyennant les Wcfit obtenus individuellement pour chaque liposome, on obtient finalement ∆Ψc0.75 V. Ces valeurs, de l’ordre de 0.8 V, peuvent être comparées avec celles rapportées pour certaines membranes cellulaires ∆Ψc ≈ 1 V [Tsong 91, Weaver 96] et pour des GUVs composés de 1-stearoyl-2-oleoylphospatidylcholine et dioleoyl phosphatidylglycerol où∆Ψc1.1 V [Needham 89].

Récemment, des simulations numériques de dynamique moléculaire ont apporté un éclairage nouveau sur la réorganisation de la membrane pendant le processus d’électroperméabilisation [Tieleman 04, Leontiadou 04, Tarek 05, Tieleman 06, Wohlert 06]. Il semble que le champ électrique in-tramembranaire, très intense, favorise la pénétration dans le cœur de la bicouche de molécules d’eau à cause de l’interaction entre dipôles d’eau et champ électrique. Ces structures sont appelées pores hydrophobes en raison de la présence d’eau dans la partie hydrophobe de la bicouche. Par

contribuer à la formation de pores hydrophiles. Le même effet est aussi présent avant l’insertion de molécules d’eau dans la membrane, et aide aussi vraisemblablement à former les défauts conduisant à la pénétration de molécules d’eau. Toutefois, on n’observe pas dans ces simulations le phénomène de perte de lipides, que ce soit lors de la formation des pores ou bien lors de leur fermeture. Ce pourrait être parce que les échelles de temps explorées avec ces approches sont trop courtes. L’autre diffé-rence avec nos expériences est bien évidemment la taille très inférieure du système et des pores observés, qui peuvent être considérés comme des précurseurs des macropores. Nous avons vu dans nos expériences que les lipides étaient majoritairement expulsés de manière collective, en formant des structures en forme de tubules ou de petites vésicules. Ces structures ont vraisemblablement une taille minimale, pour des raisons mécaniques et thermodynamiques, et on peut donc légitimement s’attendre à ne pas assister à leur formation si la taille du système simulé est trop faible.

Une description éventuelle du mécanisme de perte de lipides serait que les lipides dont la tête polaire est mal orientée, plutôt que de se tourner vers l’intérieur de la membrane, soient simplement expulsés dans le mi-lieu aqueux environnant. Cette expulsion aurait tendance a augmenter l’énergie libre des lipides due aux interactions hydrophobes, mais aussi à abaisser leur énergie électrostatique. La composante hydrophobique de l’énergie libre pourrait être diminuée en formant des structures organi-sées du type de celles observées. De plus, dans le cas de la création de petites vésicules, l’énergie électrostatique des lipides mal orientés serait beaucoup plus faible que dans le GUV de départ en raison de la propor-tionnalité du potentiel transmembranaire induitψ au rayon de l’objet. Il

semble très difficile que les lipides soient expulsés individuellement de la membrane. Le moment dipolaire p des têtes lipidiques de phosphatidyl-choline est de l’ordre de 20 Debyes [Pasenkiewicz-Gierula 99], et l’énergie maximale d’un dipôle mal orienté dans le champ à travers la membrane d’épaisseur a est de l’ordre de EDp(∆Ψ/a). L’énergie hydrophobe d’une

Ehydro2πρlµ, où µ est une énergie hydrophobe par unité d’aire de l’ordre de 40 mJ/m2 [Israelachvili 00]. Si on assimile les deux chaînes hydrocar-bonées d’un lipide à un cylindre de rayon effectif ρ = 0.8 nm, on trouve que ces deux énergies se compensent pour une valeur critique du poten-tiel transmembranaire ∆Ψ* au-delà de laquelle le champ électrique peut directement arracher les lipides individuellement, qui vaut

∆Ψ*πa

2ρµ

p24 V . (4.10)

Cette valeur de ∆ψ* est nettement supérieure aux valeurs maximales de ∆ψ atteintes dans nos expériences (1.3 V) et aux valeurs de seuils de per-méabilisationψc déterminées par diverses méthodes sur différents types de membranes (∼ 1 V). Il en découle qu’avec les valeurs de champ élec-trique utilisées typiquement dans nos expériences, il est très improbable que les lipides soient arrachés de la membrane individuellement. Il semble plus plausible que l’éjection de lipides ait lieu de manière collective, en formant des structures aptes à minimiser leur énergie hydrophobe, telles que les petites vésicules, micelles, ou tubules que nous avons observés.

Il existe une asymétrie frappante entre les deux hémisphères des GUVs lors de l’électroperméabilisation, comme déjà remarqué dans [Tekle 01] sur des vésicules de DOPC ou dans [Tekle 94] sur cellules. Les structures tu-bulaires se forment la plupart du temps face à l’anode, et les macropores, bien que rarement observés avec ce dispositif, face à la cathode.1 Cette rupture de symétrie pourrait avoir pour origine, par exemple, l’anisotropie des propriétés diélectriques de la bicouche lipidique, ou bien la différence entre les anions Na+ et les cations Cl présents dans le milieu de pul-sation. Le fait que l’on observe des comportements variés pour l’éjection de lipides pourrait être lié à la tension initiale de la vésicule. En effet, ce paramètre n’est pas contrôlé dans nos expériences, et il a déjà été rap-porté que des GUVs provenant du même échantillon pouvaient exhiber des fluctuations de tension de surface initiale suffisamment importantes pour affecter les phénomènes d’électroperméabilisation [Riske 05]. La formation des tubules peut être comprise qualitativement avec les idées décrites dans [Fournier 09]. Dans ce travail, un modèle physique a été proposé dans le but d’expliquer la création de tubules dans des GUVs soumis à des gra-dients locaux de pH, tout comme dans [Khalifat 08]. Les auteurs avancent l’idée que la nucléation de tubules peut être favorisée par le fait que l’aire 1. Nous verrons par la suite, au chapitre 5, que lorsqu’on image la vésicule avec une

Un autre aspect intéressant de nos résultats est le fait que toutes les vésicules ne commencent pas à rétrécir et éjecter des lipides dès l’appli-cation de la première impulsion, mais après un nombre d’impulsions Nc

adoptant une distribution exponentielle. Ceci implique que la vésicule a besoin de se trouver dans un état particulier, induit par le champ avec une certaine probabilité, afin d’entrer dans son régime de décroissance. La différence entre ce régime de décroissance et l’état initial de la membrane n’est pas très claire, mais on peut être tenté de spéculer que dans ce régime de décroissance, la bicouche possède des défauts facilitant l’expulsion de lipides. Cette observation est compatible avec l’idée que l’électropulsation crée des défauts dans les membranes de durée de vie relativement longue, et que cette création de défauts est de nature stochastique. Le nombre et la nature de ces défauts sont vraisemblablement différents d’une vési-cule à l’autre, ce qui pourrait expliquer les variations de λ, le paramètre caractérisant la quantité de lipides perdue par impulsion.

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