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Discours social relatif aux opposants

Chapitre III : Les références sociales du roman

I- Discours sociaux, ou la voix de la doxa

3- Discours social relatif aux opposants

Nous avons déjà soulevé le problème de la division et de la discorde rongeant les rangs des opposants. Cette situation se traduit par un discours social remarquable, qui mérite d’être étudié de près. Cet écart qui se dresse entre les opposants, conservateurs et libéraux se lit dans les discours que tiennent ces deux pôles, l’un sur l’autre. Pour bien illustrer cette situation nous allons faire appel principalement au débat entre Mahfoudh et son frère Younes. Mais, aussi à d’autres extraits justifiant cette conflictualité de rapports entre opposants.

Lors de la visite de Mahfoudh à son frère Younes, il tente de l’interpeller au sujet des tracas qu’il subit à Sidi-Mebrouk. Le débat entre ces deux personnages nous offre une matière fertile pour étudier les discours sociaux relatifs à ces gens. Dans la première réplique, Mahfoudh énonce : « Je me demande, dit ironiquement Mahfoudh, si ce n'est pas cette

1 Dans cet exemple, il s’agit de la consommation des boissons alcoolisées, défendue à tout musulman. « Ô vous

qui avez la foi, Le vin, les jeux de hasard, les autels sacrificiels et les flèches divinatoires constituent une souillure et l’œuvre du diable, aussi évitez-les, peut-être réussirez-vous... ». Sourate La Table servie / El Al-

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société mécréante qui vient de me mettre des bâtons dans les roues. » P. 67. Younes étant, en

ce moment, en train d’écouter les prêches d’un imam critiquant la société musulmane : « Celui-ci [l’imam] pourfend les pouvoirs et les peuples de la terre islamique […] » P. 66. Cette situation d’énonciation permet de lire dans la réplique de Mahfoudh un reproche à ces peuples des terres islamiques dont font partie les vigiles de Sidi-Mebrouk. La réponse de Younes : « Cette société est la tienne, c'est la société sans entraves et sans ordre moral dont

tu souhaites l'établissement. » P. 67, se lit comme une volonté de ce personnage, et de ses

semblables, de se détacher de cette société mécréante dont parle Mahfoudh, en suivant les critiques de l’imam. Et suite aux explications de Mahfoudh quant aux apories rencontrées à Sidi Mebrouk, Younes rajoute : « Que peut-on attendre d'autre de la société policière, sans

scrupules, que vos idées ont aidé à asseoir ? » P. 67. Cette réplique exprime une accusation

franche aux libéraux, soupçonnés d’épauler les vigiles à instaurer un Etat policier.

Au lieu de répondre à cette question, en essayant de démentir cette accusation, Mahfoudh réplique par une autre question : « Et la société gouvernée par la loi religieuse, dont tu

souhaites l'avènement, serait donc plus incorruptible et plus humaine ? » P. 67. A partir d’ici

les répliques s’enchaînent, en multipliant les accusations d’ordre idéologique, d’un côté comme de l’autre, oubliant ainsi, qu’au lieu de débattre des solutions qui leurs permettent d’affronter le bras de fer de l’Etat policier imposé par les vigiles, ils s’accrochent sur des débats marginaux nourris par leurs différences idéologiques. La focalisation sur les divergences idéologiques chez les opposants ne se limite pas aux frangins Mahfoudh et Younes. Cependant, elle caractérise plusieurs autres échanges dans notre corpus. Dans le débat que tient Nadjib Chebib et ses amis au bar Le Scarabée, l’un des interlocuteurs juge que les prometteurs de la religion sont des lâches, puisque : « Ils se réfugient, pour maquiller leur

couardise, derrière des interdictions religieuses […] » P. 72.

Dans un autre registre, les opposants produisent un discours clairement dénonciateur à l’égard des vigiles. Et ce, à l’image de la réplique du journaliste du Vigile : « Il faudra arriver

à ce que les journalistes fassent leur travail et les policiers le leur, sans interférence et sans confusion. » P. 77. Cette allocution prouve l’ingérence des vigiles, par l’usage des instituions,

pour museler la liberté d’expression.

Outre ces caractéristiques, la catégorie sociale des opposants produit, sinon au moins, perpétue, un discours social incitant à militer contre la tyrannie au lieu de battre en retraite en

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quittant le pays. La chanson chantée par le garçon Aliouate1 pourrait se lire comme un appel à

tous les exilés, afin de revenir et d’agir pour une société meilleure.

Revenons au registre du discours protestataire, la lettre de Mahfoudh au sous-préfet, notamment le passage : « Je proteste énergiquement contre cette obstruction bureaucratique

et policière. » P. 101, témoigne que les opposants ne se contentent pas de dénoncer entre eux

leur quotidien rendu possible par les vigiles, mais, ils élèvent leur voix pour qu’elle soit entendue par ces derniers. En outre, il est inconcevable de baisser le rideau sur ce segment de l’étude sans mentionner le passage de la lettre de Mahfoudh : « Et il a fallu user

d'« interventions » pour me le [passeport] faire établir. » P. 101, qui constitue une

reconnaissance des opposants, de l’usage des pratiques douteuses pour s’attribuer un droit. Ce discours relatif à un opposant révèle la profondeur du mal, où celui qui appel à la justice, à la primauté des lois, fait usage d’interventions pour avoir un passeport.

Les discours sociaux relatifs aux opposants constituent un segment important pour comprendre cette classe sociale. Si généralement, un groupe social se procure de la force, par la solidarité qui caractérise ses rangs, la discorde caractérisant les opposants nourrit leur faiblesse, et consolide la force des vigiles. Par ailleurs, le discours protestataire et la détermination des opposants, font preuve de moyens fiables pour combler le manque de coopération entre eux, afin de faire face à la rigidité des vigiles.

En guise de conclusion, les discours sociaux du roman permettent d’une manière générale un certain nombre de constats. Ils confirment l’hybridité identitaire de cette société, qui ne tient ni à ses traditions campagnardes, ni au mode de vie urbain. Il convient aussi à poser que cette hétérogénéité identitaire ne provient pas uniquement du nouveau milieu urbain, mais, il y participe d’autres facteurs, à l’image des convictions idéologiques. Les discours sociaux insistent aussi sur le caractère conflictuel des rapports entre les membres de cette société, qui n’arrivent pas à dépasser leurs différences et leur diversité idéologiques.

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