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a) La dimension physique de la manifestation, ou le corps comme objet de la dénonciation

Comme nous l’avons vu, la production d’images et de représentations de la victime, bien que parfois choquantes, est nécessaire pour les associations car elle permet d’actionner le processus de la visibilité. Act Up a modifié la production de ses représentations et en fait de véritables mises en scène, les zaps. L’association a transformé la manière dont les associations manifestent et se donnent à voir. Ces moments de contestation classique, Act Up-Paris, en important les méthodes de manifestations de l’association américaine, les a transformés en moment de démonstration des corps et de démonstration de la violence vécue par les malades. L’association joue sur les caractéristiques premières de la manifestation que Dominique

Memmi définit ainsi dans un de ces article : « une expression contrôlée et réglée, de l’agressivité investie dans le conflit politique. » 1

La manifestation, comme l’indique Dominique Memmi est une manière d’exprimer physiquement un conflit le plus souvent politique. C’est pourquoi le recours à la violence est relativement récurrent dans les manifestations. On retrouve fréquemment dans les rangs des manifestants des mannequins pendus, on peut également entendre des slogans volontairement insultants ou menaçants tel que : « Le peuple aura ta peau », le plus souvent lors de manifestations politiques. Chez Act Up la violence qu’elle soit signifiée, symbolisée ou véritablement représentée, a toujours eu pour but premier de dénoncer les problèmes d’accès aux soins ainsi que la condition des malades. Aussi avait- on pu entendre lors d’une manifestation en 1989 les manifestants hurler dans les rues de Paris « Nous ne voulons pas mourir ». « La manifestation est […] l’occasion de s’exprimer dans un langage spécifique […] : un langage corporel mais sans passage à l’acte, qui mime la violence du conflit sans la mettre en acte ». Dans le cas d’Act Up, la violence est 2

à la fois dite au travers du corps des activistes mais aussi au travers du langage employé. Cependant dans les deux cas, cette violence fait toujours référence aux corps des militants, ou au corps de manière générale. On peut, en effet se souvenir des zaps dans les bureaux de grandes industries pharmaceutiques au cours desquels les activistes ont lancé des poches de faux sang. Le lien avec le corps et la maladie n’est ici pas difficile à démontrer. Le sang, substance corporelle vitale est aussi ce qui tue : le sida se transmet par le sang, lancer du sang sous les yeux des industriels sonnait alors comme un rappel de la condition des malades et permettait également, par le recours à une action choc, de rappeler l’urgence de la situation pour les séropositifs. De plus, les activistes ne signalant pas qu’il s’agissait de faux sang, les personnes présentes lors de ces zaps pouvaient penser qu’il s’agissait du sang de personnes séropositives décuplant ainsi le potentiel violent du zap. Le corps, et ce qui connote le corps sont devenus des moyens de dire protestation qui permettent de dire le besoin d’agir et de signaler l’urgence.

Qui plus est, toute action manifestante porte en elle une puissance physique, pour preuve le « die-in » de 1992 (cf. annexe n° 3). Les manifestations sont, de ce fait,

Dominique Memmi, « Le corps protestataire aujourd’hui : une économie de la menace et de la

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présence », Sociétés contemporaines, p. 91.

Dominique Memmi, « Le corps protestataire aujourd’hui : une économie de la menace et de la

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différentes de toutes les autres formes de représentations utilisées par les associations par l’intensité de la présence physique qui les caractérise. Le corps est porteur d’une force symbolique qui dit l’engagement politique dans l’action collective. Il est ce qui porte la protestation et ce qui permet de révéler la violence physique, qu’il s’agisse d’une violence symbolique ou non. Par le choix de la présence et de l’incarnation, le corps devient une véritable ressource politique, il est ce qui dit l’opposition. Le corps devient alors, comme le signale Dominique Memmi dans son article « Le corps protestataire aujourd’hui : une économie de la menace et de la présence », « un signifiant efficace du risque encouru. L’efficacité dans la manière d’exprimer le conflit ne tient pas ici à l’intensité réelle de la violence physique mais à la manière de manier sa représentation, eu égard à la sensibilité collective à la violence. » Il semble bien que ce soit le rôle donné aux corps des militants 1

d’Act Up ou même au faux sang utilisé lors de certains zaps, il expriment le conflit, la protestation, disent l’urgence et permettent ainsi d’atteindre la sensibilité collective.

Entre agression et sacrifice consenti, les démonstrations d’Act Up sont toujours des mises en scène corporelles au cours desquelles le corps a une puissance et une signification politique. Il incarne la lutte et sert à la dénonciation. Act Up n’a pas recours à une violence frontale mais plutôt à une violence usant de la métonymie, le geste et le corps disent le tout.

cf. Ainsi de l’exhibition du cercueil dans les manifestations d’Act Up pour dire le

tout de la mort. Couvrir aussi de sang son ennemi politique, c’est lui renvoyer le sang de ses victimes, c’est parler de la mort avec un autre de ses attributs, un attribut particulièrement approprié : puisque c’est par lui, en effet, que la mort est arrivée. 2

Mais, comme on peut le remarquer avec cette énumération de différents zaps menés par l’association, il y a recours quasi-systématique à des symboles forts qui mettent le corps en scène et qui sont porteurs d’une certaine violence. En effet, la mise en scène du corps chez Act Up est très fréquemment un rappel de la mort. Et cette mort est affichée aux yeux de tous, voire parfois, touche celui qui est désigné comme étant l’ennemi. Le corps est bien investi d’une force de dénonciation. Cette force lui provient en

Dominique Memmi, « Le corps protestataire aujourd’hui : une économie de la menace et de la

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présence, Sociétés contemporaines, p. 94.

Dominique Memmi, « Le corps protestataire aujourd’hui : une économie de la menace et de la

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tout premier lieu de la forme même des manifestations au coeur desquelles il y aurait nécessairement une certaine forme de violence potentielle.