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Estimation du secteur financier suisse

Le secteur des services financiers est de très loin le principal producteur de richesses de l’économie suisse. En l’an 2000, les banques suisses géraient, selon les statistiques de la Banque nationale, plus de 4 000 milliards de francs. Le secteur bancaire représente plus de 10 % de l’économie, ce qui le place loin devant l’industrie chimique (en deuxième position avec 4 %). A l’échelon local, cette prépondérance est encore plus marquée : le secteur bancaire représente quelque 40 % de la production de richesses dans une ville comme Genève.

Depuis les années 30, le formidable développement des services financiers en Suisse a été fortement encouragé par un ensemble d’institutions que l’on recouvre généralement sous le vocable de

"secret bancaire". Il interdit au banquier de communiquer à des tiers des informations concernant ses clients. Il interdit aussi aux autorités suisses de faire appliquer sur leur territoire les dispositions fiscales étrangères. Cela veut dire que le contribuable étranger qui ouvre un compte en Suisse peut être assuré que ni les banques, ni les autorités helvétiques ne communiqueront le moindre renseignement à l’administration fiscale de son pays de résidence.

Ce refus de communiquer des informations, aussi appelé "opacité fiscale", a résisté à tous les changements apportés au secret bancaire traditio nnel au cours des dernières années.

Il est évidemment difficile de quantifier les sommes ainsi soustraites aux impôts par les clients étrangers de la place financière suisse. Les banques ne tiennent à ce sujet aucune statistique. Contentons-nous ici de l’estimation très grossière faite par le banquier Raymond Baer à l’été 2001 : sur les 4 000 milliards de francs gérés en Suisse, plus de la moitié vient de clients étrangers, et la moitié au moins de cette somme, soit 1 000 milliards de francs, n’aurait pas été déclarée. Cette "évasion fiscale" massive représente donc une ressource non négligeable pour la place financière suisse.

Quoique relativement ancien, ce phénomène d’évasion fiscale, et son encouragement par un nombre croissant de juridictions, est devenu récemment un sujet de préoccupation majeur des relations

internationales. Après la crise financière de 1998 en Asie et en Russie, les pays du G-774 ont lancé une série d’initiatives visant à réguler davantage les services financiers "offshore" - c’est-à-dire destinés aux non-résidents - à l’échelle internationale. Il est remarquable de constater que ces efforts ont été entrepris par un groupe restreint de pays développés, sans que les juridictions concernées aient pu réellement intervenir dans un processus qui s’est développé entièrement hors de l’ONU.

En postulant que les États n’agissent pas par sentiment - et que la "jalousie" souvent évoquée par les plus hautes autorités suisses ne constitue par une explication valable à ce phénomène - il faut voir dans ces diverses actions un souci avant tout sécuritaire, celui d’apporter un degré de contrôle à un secteur jusque-là caractérisé, dans de nombreux États, par une absence presque totale de contraintes réglementaires. Cette préoccupation a été notablement renforcée par les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis et le fait que leur auteur, l’organisation Al-Qaïda, dispose d’un réseau financier international très étendu.

Contexte économique international

Entrepris notamment dans le cadre du groupe d’action financière contre le blanchiment de capitaux (GAFI), dont la Suisse est membre, ces efforts ont contraint les banques helvétiques à identifier leurs clients, à vérifier la rationalité économique de leurs transactions et à dénoncer aux autorités celles qui leur paraîtraient suspectes. Jusqu’à présent, ils n’avaient cependant pas remis en cause l’"opacité fiscale" pratiquée par la Suisse. Mais cela est en train de changer. Depuis 1998, à la demande du G-7, l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), basée à Paris, a élaboré une série de dispositions visant à instaurer un

"échange d’informations" entre administrations fiscales, y compris avec des "paradis fiscaux" qui ne sont pas membres de l’OCDE. En 2002, après de très fortes pressions de la part des États de l’OCDE, plusieurs de ces juridictions, dont les Bahamas et Jersey, ont dû signer un engagement à pratiquer un "échange d’informations efficace" à partir de 2006.

Cet engagement - qui représente un sacrifice considérable de la part de ces pays - est soumis à une condition majeure : les paradis fiscaux ne pratiqueront l’échange d’informations que si les membres de l’OCDE font de même. Or, deux de ces membres, la Suisse et le Luxembourg, refusent de s’associer aux négociations

74 Allemagne, Canada, États-Unis, France, Grande-Bretagne, Italie, Japon.

sur le sujet depuis 1998, afin de ne pas porter atteinte à leur opacité fiscale traditionnelle.

A ce processus, antérieur aux négociations entre la Suisse et l’Union européenne sur la fiscalité, s’ajoutent diverses initiatives bilatérales dont le but est le même, à savoir la fin de l’opacité fiscale pratiquée par la Suisse. On peut mentionner l’amnistie fiscale italienne, le renforcement des contrôles aux frontières par l’Italie et l’Allemagne, la demande américaine d’inclure des mécanismes d’"échange d’informations" dans le traité de double imposition entre la Suisse et les États-Unis. A toutes ces actions qui semblent appartenir à la même stratégie concertée de pressions , la Suisse apporte la même réponse, à savoir que le secret bancaire n’est "pas négociable".

Il reste à savoir aujourd’hui si cette posture intransigeante pourrait être soutenue dans le long terme face aux pressions de plus en plus intenses que devraient exercer les grands États. La stratégie de défense du secret bancaire vaut-elle que la Suisse risque l’affrontement avec les grandes puissances ?

Importance du secteur financier suisse et