ANNEXE 2 – Les ancrages territoriaux et institutionnels des OPCA : trois éclairages régionaux
3. La difficile lisibilité de la gouvernance régionale peut-elle être surmontée par un « dialogue social
Au niveau régional, la gouvernance de la formation professionnelle est bien en toile de fond de toutes
les tensions et difficultés que nous avons pu repérer dans nos 3 monographies, tant dans les relations
entre institutions régionales elles-mêmes, que sur la manière et la capacité à mobiliser les OPCA par
ces différents acteurs institutionnels. Ces tensions se trouvent au carrefour d’enjeux nationaux et
régionaux, de logiques de branches et de territoires, de projets individuels ou collectifs. Aussi paraît-il
difficile de ne pas s'attarder sur cette gouvernance si l'on veut avoir une démarche compréhensive de
ces tensions.
Ce n’est pas sans raison que la notion de gouvernance s’est imposée au fil du temps pour définir le
caractère protéiforme du système de formation professionnelle français. Sans portée opérationnelle,
cette notion donne néanmoins à voir la multiplicité des acteurs qui interviennent sur un champ
pourtant longtemps considéré comme relevant du domaine réservé de la négociation collective et de
la gestion paritaire. À côté des partenaires sociaux, ce système fait intervenir, depuis les différentes
lois de décentralisation, les Régions mais également toujours l’État malgré son désengagement
théorique. L’architecture d’ensemble, loin d’avoir trouvé son point d’équilibre «n’en finit pas de se
chercher » (Luttringer et Willems, 2010).
Le thème de la sécurisation des parcours professionnels en invitant à une certaine forme de
perméabilité entre les circuits de formation des salariés et des demandeurs d’emploi, et à une
convergence des politiques de formation et d’emploi, a pu accentuer la déstabilisation du système et
contribuer à complexifier le paysage institutionnel et générer de nouvelles tensions. Cette
convergence pourtant nécessaire des politiques est confrontée en région à des obstacles
institutionnels puisque les politiques d'emploi ne sont pas du domaine de compétences des Régions
et alors même que de nombreux dispositifs, notamment ceux destinés aux demandeurs d'emploi,
privilégient aujourd'hui le retour rapide à l'emploi par des mesures d'accompagnement plutôt que des
actions de formation.
Si, comme le soulignait Jean-Louis Dayan (2010) après la réforme de 2009 « une césure importante
demeure entre emploi et formation dans les dispositifs institutionnels et financiers », cette césure
pouvait-elle être réduite par un nouveau type de gouvernance de la formation professionnelle ? Ce
constat de 2010 vaut-il encore aujourd’hui : la gouvernance d’ensemble de la formation
professionnelle, tant au niveau régional que national, est-elle toujours fragmentée entre compétences
régionales et tutelle centralisée ? L'articulation entre les deux niveaux, national et régional, se
révèle-t-elle enfin réalisée et équilibrée ?
➢ Le FPSPP : un paritarisme de gestion sous tutelle de l’État à l’écart des Régions
L’organisation actuelle de cette gouvernance semble toujours marquée par une double tension : entre
les partenaires sociaux et l'État d'une part, notamment à travers les priorités énoncées par le FPSPP,
et une autre tension entre le national, avec les partenaires sociaux qui définissent les grandes
orientations politiques à ce niveau, et la grande de variété des politiques régionales et territoriales
d’un autre côté. Il s'ensuit des difficultés de compréhension, de lisibilité et de coordination de cette
gouvernance, coordination dont l’absence au niveau régional risque de générer des incohérences.
« Toujours est-il qu’il en résulte un hiatus croissant entre institutions et action : emploi et formation
s’imbriquent toujours plus dans les pratiques mais relèvent encore, dans l’ordre des responsabilités
publiques, le premier de l’État, la seconde de la Région, sans que soit ménagé le cadre d’une
intervention partagée » J. L Dayan 2010. Le problème viendrait de ce que les différents acteurs de la
nouvelle gouvernance élargie (partenaires sociaux, Régions, État) n’ont pu jusqu’ici trouver les voies
d’un compromis capable de faire vivre un véritable quadripartisme, dans un cadre institutionnel de
l’espace régional, peut trouver une solution optimale dans des espaces infrarégionaux, des territoires
de projets où un dialogue social nouveau émerge.
Les instances de la nouvelle gouvernance issue de la réforme de 2014 conservent donc, au moins pour
un temps - qui est celui de son appropriation par les différents acteurs institutionnels - la marque de
ces tensions. S’y ajoute une difficulté de compréhension et de lisibilité dans le fonctionnement
d’ensemble, voire une confusion dans les rôles de chacune (voir encadré).
On observe donc un paysage institutionnel et des gouvernances qui reposent sur des formes très
hétérogènes d’engagement paritaire et de compétences décisionnelles pour les partenaires sociaux :
de la négociation collective avec la construction d’accords, dans le cadre des CPNE de branche au
niveau national par exemple (et desquelles découlent directement les OPCA et les observatoires de
branche, dont la gestion est paritaire), et par ailleurs des partenaires sociaux qui, dans les régions,
siègent au sein d’instances uniquement consultatives de coordination, de conseil ou d’évaluation, et
qui sont chargés du transfert de priorités définies nationalement. Entre ces deux situations, existent
des instances qui ne peuvent négocier mais qui prennent des décisions et des organismes qui se
limitent à de la simple gestion (OPCA). Rappelons que les décisions prises par les CPNE de branche
peuvent être opposable à des tiers, dès lors qu’elles respectent la procédure de la négociation
collective et sont étendues par un arrêté ministériel. C’est ici sans doute une explication du poids
encore prépondérant des logiques de branche sur les approches interprofessionnelles, et des
différences de positionnement entre OPCA.
Gouvernance Régionale et Paritarisme : une complexité difficilement lisible
En région, l’instance importante, car la seule dotée d’un pouvoir de décision, est le COPAREF. Le COPAREF est l'instance de représentation des paritaires sociaux interpros en Région et les représentants du FPSPP. Aujourd'hui une demande de financement en réponse à un appel à projet du Fonds paritaire par les OPCA passe nécessairement par le COPAREF, et l’avis du COPAREF est rédhibitoire. Clairement le FPSPP est un outil piloté par le COPANEF.
Le COPANEF est un lieu de négociation et de décision, par exemple sur les critères concernant les listes de diplômes CPF. Mais cette négociation ne va pas jusqu'à la construction d'accords collectifs. Le COPANEF habilite également les organismes de formation. Dans un souci d'équité entre les territoires, les COPAREF ne créent pas de règles spécifiques qui soient différentes de celles du COPANEF. Il s'agit seulement d'aménagement mais en respectant la même méthodologie. Le COPAREF peut également réaliser le suivi des accords interpro en région et des outils paritaires mis en place, avec, par exemple en Bretagne, une priorité sur les dossiers de mutations économiques et leur évaluation afin de connaitre les effets réellement produits par ces actions (ce qui ne semble pas encore réalisé au niveau national par le FPSPP).
Le COPAREF n'est pas sous l'influence ni de l'État ni de la Région. C'est ainsi qu'en Bretagne le programme Bretagne formation (PBF) n'a pas été en totalité retenu dans les listes des formations au titre du CPF, ce qui a introduit une forte tension avec la région qui pensait que ses relations avec les branches suffisaient à entériner leur programme de formation…
Le CREFOP (où le COPAREF ne dispose pas de siège en tant que tel) n’est qu'une instance de concertation, de suivi, et de coordination. Ce n'est pas une instance décisionnelle. Son quadripartisme en fait une instance nouvelle en mesure de contribuer à une meilleure coordination des actions visant la sécurisation des parcours professionnels qui associent actions sur les demandeurs d’emploi, actions sur les actifs salariés et accompagnements des transitions.
Cette gouvernance quadripartite oblige à une certaine transparence dans le travail réalisé par chacun, et incite fortement à la coopération entre acteurs. Si on retient souvent de la réforme de 2014 le CPF comme emblématique, alors qu’il n'est qu'un outil, le cœur de la réforme se situe selon nos interlocuteurs plutôt dans le conseil en évolution professionnelle CEP), car il est en totale adéquation avec l’objectif de sécurisation des parcours.
Ces instances COPAREF et CREFOP, ne sont pas des lieux de la négociation collective, c’est-à-dire qu’il n’y a pas d’accords collectifs possibles à ce niveau qui auraient un pouvoir normatif. En effet, au niveau territorial (régions, bassins d’emploi…), il n’y a pas de pratique de la négociation collective, au sens formel du terme, les organisations syndicales d’employeurs ne délivrent pas en effet de mandats de négociation à leurs représentants en dehors du niveau national. Ils exercent donc leurs compétences seulement dans le cadre d’un mandat de représentation. En revanche, on peut y trouver des modalités « informelles » de dialogue social sur la base de projets, notamment comme on le verra sur la base de territoire.
Enfin, la participation des représentants des organisations syndicales au sein d’instances consultatives en charge de la formation professionnelle ne relève pas de la gestion paritaire. Il en est ainsi du CNEFOP et des CREFOP qui sont des institutions publiques quadripartites au sein desquelles les processus de prise de décision échappent aux règles du paritarisme et appartiennent en dernier recours à la sphère publique (J.M Luttringer, « Le paritarisme de gestion de la formation professionnelle pris dans les enjeux politique ». Chronique 114. 2016).
Les partenaires sociaux au sein du FPSPP sont encore dans une position particulière puisqu’ils y
mettent en œuvre leurs priorités sous contrôle de l’État avec qui ils doivent signer une convention
cadre triennale. Le « paritarisme » de ce fonds est donc ambigu : il a été institué par une loi et le
gouvernement y détient un quasi pouvoir de veto.
Cependant, la création en 2009 du FPSPP est d’une certaine façon un catalyseur des mutations en
cours. Ce fonds mutualise une fraction des ressources des OPCA pour les redistribuer en direction de
publics fragiles afin de les maintenir en emploi ou de les faire accéder au marché du travail. Nos trois
monographies soulignent à quel point la création du FPSPP est venue en partie modifier la relation que
certains acteurs institutionnels avaient pu nouer avec les OPCA. C’est notamment le cas des DIRECCTE
auprès desquelles les OPCA contribuent à l’animation des politiques publiques régionales. Le
les OPCA, mais finalement toujours à travers le FPSPP. Son adossement à une dynamique de projet liée
à des problématiques régionales voire infra régionales est de bien moindre intensité. En définissant les
règles de fonctionnement pour encadrer l’activité du FPSPP, l’État oriente les flux financiers de la
formation vers des objectifs de politiques d’emploi. Toutefois, il parait excessif de voir le FPSPP se
limitant à une logique gestionnaire, il impulse bien des projets de fond, ceux définis avec des
représentants syndicaux qui viennent du terrain et font avancer des projets pragmatiques.
Si la gestion paritaire du FPSPP peut donc paraitre en partie soumise à une tutelle de l’État c’est que,
dès l’origine, ce fonds a moins été le produit de la négociation collective que le fruit d’un compromis
politique. Il doit en grande partie sa raison d’être à la pression exercée par les pouvoirs publics et au
constat que les actifs les plus en difficultés étaient les moins bien formés par le système de formation.
Si les partenaires sociaux ont fini par accepter la création d’un tel fonds qui les obligeait à inverser la
tendance c’est qu’ils ont obtenu à l’époque quelques garanties en contrepartie : quel’État abandonne
son projet de supprimer l’obligation légale (qui interviendra néanmoins en 2014), qu’il abandonne
l’objectif de négocier le plan de formation dans l’entreprise ; que le fonds soit placé sous le pilotage
des partenaires sociaux et que les ressources collectées ne soient redistribuées en très large part
qu’aux seuls OPCA (Tallard et Tuchszirer, 2012).
Malgré cette volonté des partenaires sociaux de défendre une forme de paritarisme de gestion du
FPSPP, celui-ci s’est au fil du temps mué en une organisation tripartite « qui n’était pas vraiment dans
l’esprit de l’accord du 7 janvier 2009 »
30. Ainsi, le FPSPP intervient aujourd’hui au bénéfice de publics
dont les caractéristiques sont déterminées par une convention État/FPSPP qui prévoie également le
cadre dans lequel des conventions peuvent être conclues entre le FPSPP et les organisations
représentatives d’employeurs et de salariés au niveau professionnel ou interprofessionnel, les conseils
régionaux ou Pôle Emploi. Par ailleurs l’État est représenté au conseil d’administration du FPSPP et son
domaine d’intervention recouvre partiellement celui du COPANEF (comité paritaire interprofessionnel
national pour l’emploi et la formation) qui, lui, fixe au fonds ses orientations stratégiques et
financières. Nombreux ont été les observateurs à critiquer cette gouvernance bicéphale du FPSPP
conduisant certains partenaires sociaux à demander la fusion du FPSPP et du COPANEF, une option
pour l’heure écartée et qui «pose la question des positionnements respectifs de l’État et des
partenaires sociaux dans l’architecture politique de la formation professionnelle»
31. Du côté des
parlementaires, certains ont souhaité que le FPSPP se rapproche du CNEFOP pour élargir la
gouvernance du FPSPP aux Régions sans parvenir à leur fin.
Sur ce terrain, force est de constater l’absence de représentation des régions au sein du FPSPP dont la
gouvernance ne les associe à aucun moment aux décisions prises pour financer la formation de
demandeurs d’emploi dont elles ont la responsabilité depuis les lois de décentralisation. Gérard
Cherpion et Jean-Patrick Gille co-auteur d’un rapport parlementaire sur la mise en application de la loi
orientation/formation du 24 novembre 2009 ont ainsi fait observer que pour de nombreuses
personnes auditionnées « c’est au niveau régional, plutôt qu'au niveau national, qu'il aurait fallu placer
un instrument financier de réorientation des fonds de la formation professionnelle en vue de sécuriser
les parcours professionnels ». Tel était également le point de vue de Pierre Ferracci chargé par le
gouvernement de l’époque en 2009 d’animer un groupe de travail multipartite
(État/patronats/syndicats/Régions) sur les grands enjeux de la réforme de la formation
professionnelle. Interrogé par l’AEF sur le bilan de la loi de 2009, il estimait que «L’État avec les
partenaires sociaux, au travers du FPSPP, sera beaucoup plus présent sur la formation des demandeurs
d’emploi, périmètre traditionnel des régions depuis les lois de décentralisation alors même que les
régions mettent aujourd’hui en place, sous des formes diverses, des fonds de sécurisation régionaux en
passant des accords avec Pôle Emploi, les partenaires sociaux et les OPCA ».
30 P.Ferracci, depêche AEF du 27 juin 2009.