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III. RELATION

3. Vers une différenciation dans le jeu

a. Jeu de « coucou/caché »

À deux reprises, j'ai observé qu'Inès avait initié des jeux de « coucou/caché » : La première fois c'est lors de la sixième séance, je lui propose des balancements allongée sur le ventre sur la physioball. Au bout d'un moment, Inès se relève plusieurs fois et semble vouloir faire autre chose. Alors je l’incite à s’asseoir sur le tapis et je lui lance la physioball en étant assise les jambes écartées face à elle. Elle le repousse vers moi. Nous engageons ainsi un échange avec la balle qui lui permet de travailler l'action de repousser et de sentir la tonicité dans ses bras (dans l'objectif de repousser le sol et d'apprendre à amortir les éventuelles chutes en plaçant les mains devant). Je lui propose différentes façons de la pousser afin de varier l'expérimentation et d'observer si elle remarque les différences de lancer. Nous nous échangeons ainsi le ballon tout doucement, fort, vite et lentement ; très souvent vite et fort sont associés, lentement et doucement aussi. Elle rit aux éclats quand le ballon arrive devant elle. Il est tellement gros que je ne la vois plus et elle ne doit plus me voir non plus. Elle me lance le ballon et je le récupère, c'est alors que je peux voir son visage souriant. Elle tend les bras, je repousse le ballon vers elle. Elle disparaît mais j’entends toujours son rire.

La deuxième fois, elle propose ce jeu relationnel plutôt avec ma référente de stage lors du jeu des cartes des émotions dont nous avons parlé plus tôt. Inès s'empare d'une carte et se cache derrière, elle rit aux éclats. Mme Francis se cache derrière ses feuilles de notes et les enlève en faisant une expression puis recommence avec une expression différente. Inès éclate de rire, on lui dit « à toi, tu peux faire pareil »* alors elle se cache derrière et rit encore. Ma référente de stage lui montre sur elle en la cachant avec ses feuilles et la découvrant. Inès se cache toujours derrière sa carte, puis elle se décale un petit peu en laissant dépasser un œil et rit de plus belle.

Pour comprendre l’enjeu qui se joue à travers ce jeu de « coucou / caché », nous pouvons l’analyser d’un point de vue cognitif comme le propose J. Piaget. Au début, l’enfant cache l’objet et pense que l’objet disparaît, il n’a pas intégré la persistance de présence de l’objet quand il n’est plus dans son champ de vision. Puis dans la répétition de cette expérimentation, il est dans la capacité de le retrouver en intégrant sa localisation malgré qu’il soit invisible. « Ce fait montre d’emblée que la construction du schème de l’objet permanent est solidaire de toute l’organisation spatio-temporelle de l’univers pratique, ainsi, naturellement, que de sa structuration causale. »90 C’est éventuellement ce

90 INHELDER B., PIAGET J., 2012, p. 21

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processus qu’expérimente Inès à travers ce jeu mais je pense qu’il se joue une expérience plus affective car il est proposé en relation avec ma référente de stage ou moi-même.

Nous pouvons reprendre l’expérience du « Fort-Da » observé par S. Freud dans l’observation du jeu de la bobine chez un enfant. Celui-ci jetait la bobine au bout de la ficelle et exprimait une lallation qui s’apparente à l’expression du « fort »91 pour signifier

sa disparition et son absence, puis quand il la ramenait à lui il s’exclamait « da »92. Cette

expérience dans le jeu de l’absence / présence a pour objectif pour l’enfant de « permettre, sans se rebeller, le départ de la mère. »93 L’enfant est actif dans ce processus, il est à

l’initiative du jeu.

Le jeu du « coucou/caché » permet alors de jouer autour de la disparition et de prendre du plaisir à simuler l’absence sur un fond de présence continue. Inès exprime du plaisir dans cette expérimentation par ses rires incontrôlés. S. Freud s’interroge sur l’expression de ce plaisir puisque l’expérience serait plutôt pénible pour l’enfant de représenter l’absence de sa mère. Il est possible qu’il s’instaure dans la pensée parce que c’est l’enfant qui s’approprie cette situation et la maîtrise, il en découlerait sa propre jouissance. Le plaisir devrait apparaître à l’expérimentation du « da » où l’objet soi-disant disparu est bel et bien présent. Inès expérimente l’absence / présence à travers ce jeu en relation et exprime le plaisir qu’elle a à en prendre le contrôle. Enfin, le jeu sur l’absence permet l’introduction du langage qui s’attèle à nommer les objets et les personnes absents comme l’expression des mots « fort » et « da » l’attestent.

b. Jeu d’opposition

À la onzième séance, je propose à Inès, qui a le bras dans le plâtre, un jeu de tri de jetons par couleur. Je lui présente une feuille blanche avec trois cercles dessinés de couleur bleu, jaune et rouge. Je lui donne par la suite un jeton d'une de ces trois couleurs. Je lui montre les couleurs des jetons semblables avec les cercles en signant « pareil »* et le signe correspondant à la couleur : « bleu »*, « jaune »* ou « rouge »*. Elle me regarde et prend le jeton. Pour le placer, elle le pose dans un cercle et regarde ma réaction. Si je lui dis en langue des signes « non, c'est différent »*, elle le pose dans le suivant. Je signe encore « non, différent » et elle réitère son action pour le poser dans le troisième et dernier cercle. À cet instant, je lui dis « oui, c'est pareil ». Alors elle me sourit et repose le jeton à côté. Je répète l'exercice plusieurs fois ne sachant pas vraiment si elle comprend toute la consigne ou si elle joue avec mes réactions.

91 fort (adv.) : au loin, parti

92 da : là

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J'ai l'impression que dans cette situation, elle crée un jeu où elle va rechercher l'opposition à ma consigne. Elle sait pertinemment où placer le jeton puisque je lui dis à chaque fois la bonne réponse. Je pense qu'elle me montre qu'elle peut dire « non » et faire ce qu'elle veut. Dans ce jeu, quoi que je dise c'est elle qui choisit et qui mène la danse. Est- ce qu'elle recherche les limites de la relation, est-ce une façon pour elle de se différencier ou d’apprendre la langue ? « On voit que les enfants répètent dans le jeu tout ce qui leur a fait dans la vie une grande impression, que par là ils abréagissent la force de l’impression et se rendent pour ainsi dire référente de la situation. »94 Peut-être qu’Inès rejoue une

situation à travers cette opposition pour en prendre le contrôle. Elle cherche dans cette expérimentation à se différencier d’autrui. Malgré le fait que je lui indique la bonne réponse, elle s’obstine à placer les jetons où bon lui semble : c’est elle qui décide.

94 FREUD S., 1996, p. 287

PARTIE IV

LANGAGE ET

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