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5.3 Perspectives : vers l’utilisation de molécules fonctionnelles

5.3.2 Les diaryléthènes

Au laboratoire, nous avons choisi de nous intéresser plus particulièrement à la famille des dia-ryléthènes (DAE), dont la forme générale est présentée sur la figure 5.15(a). La molécule que nous avons utilisée est un dithienyléthène dithiol, représenté sur la figure5.15(b). Ce travail a été mené en collaboration avec l’IEMN à Lille, qui synthétise la molécule.

(a) (b)

Figure 5.15:5.15(a): changement de conformation d’une molécule de diaryléthène lorsqu’elle est irra-diée. Une irradiation dans l’UV conduit à la fermeture du cycle central.5.15(b): dithieny-léthène dithiol utilisé dans ces travaux de thèse. Les deux groupements thiolates sont sous forme protégée par un groupe acide carboxylique pour éviter leur oxydation.

Un des avantages du système formé par les diaryléthènes, par rapport à d’autres molécules “photoswitchables" comme les azobenzènes ou les spiropyranes ([90], [93]) est que les deux iso-mères ouvert et fermé sont stables (la barrière énergétique à franchir pour passer de l’un à l’autre est grande). La réaction de “switch" ne peut donc pas avoir lieu avec la seule énergie kT à l’am-biante. La dynamique de la réaction n’est cependant pas bien comprise : Nakamura et al. ([94]) ont mesuré des rendements de réaction fermée→ouverte plutôt faibles (de 0 à 0, 4 selon les sub-stituants de la molécule).

Une autre propriété des diaryléthènes particulièrement intéressante ici est le fait qu’il n’y a pas ou très peu de différence de longueur entre les deux formes ouverte et fermée ([95], [90]). Ainsi, si on l’intègre dans une jonction, on s’attend à ce que celle-ci ne soit pas géométriquement défor-mée lors de la réaction d’isomérisation. Dans le cas particulier de notre molécule, en théorie les longueurs sont de 2, 0nm pour la forme fermée et 1, 9nm pour la forme ouverte lorsque les deux groupes terminaux sont des −SH ([95]).

Dans les conditions ambiantes, les diaryléthènes sont dans leur forme ouverte (à gauche sur la figure5.15(a)). Si elles sont éclairées quelques minutes par une lumière UV, le cycle central se ferme et on obtient la forme fermée, à droite sur la figure. Après quelques dizaines de minutes à la lumière ambiante, la réaction inverse (fermée→ouverte) se produit.

Au niveau des orbitales moléculaires, la forme fermée de la molécule possède un écart HOMO-LUMO plus faible que la forme ouverte, ce qui la rend plus conductrice et explique également la différence de couleur entre les deux formes. Une solution contenant la forme ouverte est incolore (énergie du gap dans l’UV) alors que la forme fermée apparaît colorée (gap dans le visible). La figure5.16montre la position des orbitales HOMO et LUMO dans le cas d’un diaryléthène soufré simple ([96]). La hauteur de barrière formée par la molécule dans sa forme fermée est plus faible que celle obtenue avec la forme ouverte.

5.3. Perspectives : vers l’utilisation de molécules fonctionnelles

(a) (b)

Figure 5.16: Calcul de l’écart entre les orbitales HOMO et LUMO dans le cas du diaryléthène de gauche

avec X=S. Le gap de la forme ouverte vaut ≈ 6eV , il se réduit à ≈ 3eV pour la forme fermée. Les figures sont issues de [96].

En utilisant ces diaryléthènes en tant que barrière tunnel, plusieurs idées viennent à l’esprit. Dans un premier temps, il faut voir si l’on est capable de repérer un changement de conduction-et donc de conformation- de la molécule déposée sur un substrat lorsqu’on l’irradie successivement dans l’UV et le visible.

Ensuite, il faut vérifier que le “switch" réversible est faisable lorsque le diaryléthène est entre deux électrodes métalliques. À ce sujet, Dulic et al. ([97]) n’ont pas réussi à mettre en évidence le “switch" ouvert→fermé dans leur “break junctions" Au/DAE/Au. Les travaux théoriques de

Zhuang et al. ([98]) attribuent cela à un fort couplage entre l’électrode et les électrons π de la molécule lorsque celle-ci est dans sa forme ouverte.

Enfin, il a été montré que la réaction ouvert↔fermé pouvait être induite par voie électrochimique ([99], [100]) ou électrique ([101], [102]), on peut donc imaginer être capable de faire ce change-ment de conformation au sein même d’une jonction sans irradiation et ce, de façon réversible. Exemple d’utilisation dans des dispositifs

Côté dispositif, peu de travaux ont mis en évidence ce “switch" lorsque la molécule est intégrée dans une jonction solide. Jusqu’à présent, les seuls reportés utilisent les molécules de diarylé-thènes.

En 2008, les premiers résultats ont été publiés par Kronemeijer et al. ([95]). Ils ont mesuré des jonctions Au/DAE/PEDOT-PSS (figure 5.17(a)) qu’ils ont fait commuter optiquement. Ils ont observé le changement de conductance dû à la réaction d’isomérisation de façon réversible et reproductible (figure 5.17(b), courbe noire). L’écart de conductance entre l’état OFF obtenu après irradiation Visible et la forme assemblée ouverte (courbe verte) est attribué à une réaction d’isomérisation non totale des molécules de la surface. De plus, les auteurs émettent l’hypothèse que l’écart entre l’état ON après irradiation UV et la référence (courbe rouge) est dûe au fait que la tension appliquée pour la mesure de l’échantillon pourrait aussi induire un “switch".

Vers l’utilisation de molécules plus complexes

(a) (b)

Figure 5.17: Jonctions Au/DAE/PEDOT-PSS mesurées par Kronemeijer et al. ([95]) et courant obtenu après irradiations successives UV puis Visible.

En 2015, Kim et al. ([103]) ont fabriqué des jonctions Au/DAE/Graphène sur substrat flexible. Ils ont enregistré des caractéristiques I(V) sur leurs échantillons où la barrière est le DAE en forme fermée, puis après irradiation Visible (ouverture du cycle) et irradiation UV (fermeture du cycle). Ils observent environ un facteur 10 dans la conductance entre les deux formes de la molécule.

Dans les deux exemples cités ci-dessus, l’électrode supérieure est transparente aux différentes longueurs d’ondes nécessaires à la réaction d’isomérisation. La surface des jonctions est grande : diamètre 10 − 100µm dans le cas de la réf [95] et carrés de côté 200 − 600µm dans la réf [103]. C’est à ce jour les seuls exemples de jonctions grande surface que nous avons recensé.

Et le spin ?

Enfin, en ce qui concerne le spin, pour l’instant seules des études théoriques ont été recensées. En 2014, Ulman et al. ([104]) ont souligné le potentiel des diaryléthènes pour la spintronique. Ils se sont intéressés au système formé par une molécule unique connectée à deux électrodes de Ni(100). Leurs calculs prédisent une MR dépendant de la configuration de la molécule : M R > 0 pour la forme fermée, et qui s’inverse pour la forme ouverte. La figure5.18montre l’évolution de la TMR en fonction de la tension calculée pour les deux formes du diaryléthène.

5.3. Perspectives : vers l’utilisation de molécules fonctionnelles

Figure 5.18: Magnétorésistance en fonction de la tension calculée par Ulman et al. sur leur système

Ni/Diaryléthène/Ni : à gauche pour la forme fermée et à droite pour la forme ouverte. Extrait de [104].

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