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Le diagnostic positif de l’anorexie mentale pose peu de problèmes devant des conduites alimentaires à type de restriction active. Chez l’enfant, les signes cliniques conduisant au diagnostic d’anorexie mentale sont le plus souvent atypiques. La prescription d’examens complémentaires est donc le plus souvent nécessaire afin d’éliminer en premier lieu une pathologie organique devant un amaigrissement sévère.

6-1-Affections organiques avec amaigrissement (119)

- Pathologies infectieuses comme la tuberculose, la brucellose, VIH

- Maladies inflammatoires chroniques du tube digestif : maladie de Crohn, rectocolite ulcéro-hémorragique…

- Néoplasies : Tumeurs du système nerveux central, notamment du diencéphale ou de la fosse postérieure

- Maladies endocriniennes : maladie d’Addison, maladie de Gaucher, hyperthyroïdie, diabète insulino-dépendant inaugural et diabète insipide

- Forme à expression tardive d’intolérance au gluten - Mucoviscidose

- Achalasie de l’œsophage

- Maladie systémique avec altération de l’état général

6-2-Autres troubles psychiatriques avec amaigrissement

- Episode dépressif majeur : la restriction alimentaire est le fait dans ce cas d’une perte réelle d’appétit, sans préoccupation corporelle associée.

- Trouble obsessionnel-compulsif (TOC) : les aliments sont sélectionnés par crainte des contaminations, et la déglutition est altérée par des rituels et des compulsions. L’enfant ou le préadolescent refuse de manger, car il a peur que les aliments aient été contaminés par quelqu’un de malade ou que les ustensiles aient été mal lavés.

- Psychose avec sélections alimentaires associées à des angoisses plus ou moins persécutoires autour de la nourriture.

6-3-Autres TCA du sujet jeune avec restriction alimentaire

6-3-1-Phobie de déglutition (Swallowing phobia)

Absente des classifications diagnostiques, l’approche catégorielle revient à la classer dans la catégorie des troubles phobiques spécifiques au sein de la CIM-10 et du DSM-IV.

Il ne s’agit pas d’un trouble spécifique à l’enfance. Bien que ce trouble, décrit depuis 1978, soit présent tant chez les adultes que chez les sujets jeunes, il a été l’objet de peu de publications au jeune âge (aux alentours des 20%). Quarante et un cas seulement auraient été publiés dans la littérature, retrouvant une prédominance de sujets féminins; l’âge des sujets atteint s’étalant de 8 à 78 ans (156,157).

Le début du trouble se manifeste généralement au décours d’une fausse route survenue lors d’un repas de l’enfant ou bien après ingestion accidentelle d’un produit non comestible (un jouet). L’enfant se plaint alors d’avoir peur d’étouffer ou de mourir et restreint son alimentation de manière qualitative en ingérant exclusivement des plats mixés ou liquides. Les préoccupations corporelles ou pondérales sont donc absentes, et bien qu’il puisse exister une perte de poids significative ou des tensions intrafamiliales, le poids est généralement en rapport avec la taille ou très légèrement inférieur.

La symptomatologie évoque un syndrome de stress post-traumatique en raison de la présence comorbide de certains symptômes tels des rêves répétitifs (158). Bien que l’équipe d’Okada retrouve la présence d’antécédents prémorbides de troubles alimentaires pour un tiers de leur population d’enfants âgés de 5 à 15 ans (159), le comportement alimentaire antérieur au trouble de ces enfants est la plupart du temps normal. La rigidité de leurs comportements alimentaires, le choix restreint qualitativement ou quantitativement peuvent tout de même nous amener à nous interroger sur l’existence d’un trouble obsessionnel-compulsif prémorbide.

En ce qui concerne la prise en charge de la phobie de déglutition chez l’enfant, le caractère instable de ce trouble est particulièrement marqué et ne nécessite d’intervention spécialisée qu’en cas de retentissement pondéral conséquent ou d’association à d’autres troubles anxieux plus invalidants. Les résultats du petit nombre d’études rapporté indiquent que dans la majorité des cas, la rémission sous traitement est totale, sans développement de nouveaux troubles.

6-3-2-Evitement alimentaire émotionnel (Food avoidance emotional disorder)

La première description de ce trouble a été proposée par Higgs en 1989. Bien qu’il s’agisse d’une entité clinique nettement identifiable, ce trouble reste cependant, encore à l’heure actuelle, absent des classifications diagnostiques internationales (160).

En population clinique, Cooper et al. estiment sa fréquence aux environs de 29% (161) alors que Doyen et al., quant à eux, l’estiment à 9% parmi une population de 223 jeunes consultants âgés de 7 à 13 ans de 1997 à 2007 (53).

Ce trouble est décrit chez des enfants de 8 à 16 ans. Les filles seraient également plus à risque de développer ce trouble que les garçons mais dans une moindre proportion que dans l’anorexie mentale. Le sex ratio est d’environ un garçon pour quatre filles.

Les enfants souffrant de ce trouble présentent une restriction alimentaire significative avec des symptômes d’anorexie mentale incomplets ou peu intenses. Ces enfants mangent peu et ont des préoccupations corporelles modérées ou la plupart du temps, absentes. Si l’amaigrissement associé n’est en général pas majeur, il peut toutefois conduire à des états d’asthénie physique. La fréquence des vomissements semblerait particulière à ce tableau. Les éléments anxieux ou dépressifs sont particulièrement intenses, à la différence de l’anorexie mentale pour laquelle ces signes sont moins fréquents ou de moindre intensité et dus à la dénutrition (162). Les symptômes anxieux concernent surtout la séparation (les enfants ne peuvent se séparer et ce, de façon ancienne, de leurs figures d’attachement privilégiées). Des phobies multiples existent (peurs excessives et irrationnelles de la maladie au lieu de la peur des voleurs, des fantômes ou des monstres). L’expression d’une peur d’avaler ou de s’étouffer ne doit pas prêter à confusion avec le trouble de phobie de la déglutition.

Ce trouble s’associerait parfois de façon préférentielle à un trouble organique comme des maladies inflammatoires du tube digestif, des allergies alimentaires ou des processus intracrâniens constituant un vrai diagnostic différentiel (163).

Il serait de meilleur pronostic que l’anorexie mentale objectivant une évolution positive pour 73% des filles atteintes et pour 27% des garçons atteints (160).

6-3-3-Syndrome de refus global (Pervasive refusal syndrome)

Ce syndrome a été décrit pour la première fois par Lask et al. en 1991, chez quatre fillettes de 9, 11, 13 et 14 ans (164). Il existe à l’heure actuelle peu de publications sur ce trouble dans la littérature: Jaspers et al. font état de 15 articles sur ce thème. Parmi les 24 enfants atteints, 18 d’entre eux étaient des filles (75%) d’âge moyen 10,5 ans (165). Ce trouble rare peut engager le pronostic vital du fait de l’arrêt de l’alimentation mais aussi de toute attention de l’enfant à lui-même. La présentation clinique de ces enfants est frappante car extrême : ils ne s’alimentent plus, ne parlent plus et ne marchent plus. Certains nécessitent une admission en soins intensifs du fait du risque de complications dues à la dénutrition et à la station allongée prolongée.

Le polymorphisme des symptômes ne permettant pas de poser un diagnostic catégoriel, les auteurs ont émis l’hypothèse qu’il pouvait s’agir d’une forme extrême d’état de stress post- traumatique. Des cas d’abus sexuel ou physique peuvent être retrouvés de manière inconstante.

Lask fait le parallèle entre cette forme clinique particulière et l’une des trois formes de présentation clinique de stress post-traumatique après abus sexuel décrite par Kiser et al., sous le terme d’évitement, composée d’une restriction des affects, d’un retrait, d’une perte d’intérêt, d’agression, de répugnance à parler et d’évitement (166). Les diagnostics différentiels à évoquer sont l’épisode dépressif majeur (54% des cas), un trouble somatoforme (42% des cas) ainsi qu’un trouble anxieux (29% des cas).

Dans la majorité des cas, les enfants atteints par ce trouble suivent une évolution favorable avec rémission complète (67%). Leur prise en charge dure en moyenne de 12,8±11,1 mois. Des formes brèves sont décrites avec une rémission pouvant survenir après 2 à 8 semaines.

6-3-4- Trouble évitement/restriction de la prise alimentaire (Avoidant Restrictive

Food Intake Disorder) (167,168)

Il s’agit d’une nouvelle catégorie de troubles alimentaires de la période de l’enfance et de l’adolescence, décrite dans la cinquième version du DSM. Cette catégorie diagnostique remplace celle des désordres alimentaires de l’enfance et de la préadolescence (« Feeding

Disorder of Infancy and Early Childhood ») décrite dans le DSM-IV qui était rarement utilisée.

Elle a pour but de réunir les individus inclus dans la catégorie du DSM-IV citée précédemment et d’y ajouter les individus inclus dans les troubles alimentaires non spécifiques (EDNOS : « Eating disorder not otherwise specified »). De nombreux enfants et adolescents présentaient en effet une restriction alimentaire associée à des problèmes psychologiques et psychosociaux, sans pour autant présenter les critères d’un trouble alimentaire selon le DSM-IV.

Ainsi cette nouvelle catégorie diagnostique inclut les enfants et adolescents présentant un évitement de l’alimentation solide développant des problèmes nutritionnels significatifs après un épisode de désordre gastro-intestinal accompagné de vomissements et ceux présentant une sélectivité tellement extrême et durable qu’elle conduit à des problèmes cliniquement significatifs. Ce diagnostic ne peut être porté qu’après avoir éliminé la présence d’un trouble somatique ou d’une pathologie mentale et de s’être assuré de l’absence d’une pratique culturelle ou religieuse à la restriction alimentaire. La présence d’une dysmorphophobie exclut également ce diagnostic.

Ce trouble peut mener à une perte de poids avec retentissement statural et à un déficit nutritionnel significatif nécessitant une alimentation entérale ou l’apport de suppléments nutritionnels. Les enfants souffrant de ce trouble présentent souvent un fonctionnement psychosocial défaillant tel qu’une incapacité à manger avec les autres.