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4. 8 Synthèse des données de la stratigraphie interne des abris

6 Etude de la faune

6.2 Diagnostic récent de ces données

Le mode de prélèvement des ossements – en vrac, sans localisation précise et sans tamisage – implique des collections tronquées. Il manque les os de petite taille et pro-bablement de certaines espèces (microfaune). Par ailleurs, la stratigraphie n’ayant pas été observée par les chercheurs du 19e s., il est fort probable que ces assemblages pro-viennent de plusieurs couches d’occupations paléolithiques (chap. 4), voire de niveaux chronologiques totalement différents, ce que confirment les datations des squelettes hu-mains (chap. 7). Ce mélange possible, voire probable, d’ensembles chronologiquement et spatialement distincts soutend toute la réflexion sur le contenu des collections.

Les assemblages fauniques de Veyrier ont été récement expertisés par L. Chaix (2003).

Ce chercheur a réorganisé les données anciennes en réattribuant à chaque espèce le nom utilisé en nomenclature actuelle – en cas de doute, seul le genre a été mentionné – et en regroupant les animaux par ordre (fig. 137). La disparité de présentation des décomptes anciens, indiquant tantôt la présence d’une espèce, tantôt le nombre de restes osseux, voire le nombre d’individus, ne permet pas de calculer le nombre minimum d’individus (NMI) selon les standards actuels. Ce calcul impliquerait la reprise de l’intégralité de la collection pour en redéterminer chaque pièce. Ainsi, par prudence, seules les présences ont-elles été indiquées.

Si les ossements découverts anciennement dans ce gisement donnent un jour lieu à un réexamen critique, il serait intéressant de redéterminer chaque os, de calculer le NMI pour chacune des espèces et de se pencher sur les questions d’économie de la chasse (bê-tes à viande / bê(bê-tes à fourrure ou à plumes) et de la gestion de la viande : quelles parties sont choisies en priorité, les traces de découpe, etc.

Une grande partie des animaux identifiés dans, ou proche des abris, est parfaitement cohérente avec une occupation magdalénienne (Chaix 2003), notamment les espèces qui se retrouvent dans toutes les collections, comme le cheval, le renne, le bouquetin, la marmotte et le lièvre. Leur forte présence laisse supposer – malgré l’absence d’observa-tion récente de traces de découpe – qu’il s’agissait d’espèces fréquemment chassées et consommées.

D’autres espèces, moins systématiquement représentées, sont elles aussi typiques d’une occupation magdaléniennes et proches d’assemblages contemporains régionaux (Chaix 2003a), notamment les oiseaux qui, avec les lagopèdes et le petit tétras, présentent un assemblage classique pour le Tardiglaciaire.

Certaines espèces, associées en général à un environnement plus boisé, comme le cerf et l’élan, ne sont pas incongrues dans un contexte magdalénien (Chaix 2003b).

De récentes études (Drucker et al. 2003) ont montré leur grande adaptabilité à des environnements variés, tant ouverts que très boisés. On en a, en effet, découvert dans d’autres sites régionaux magdaléniens, notamment aux Douattes (Chaix 2002) ou dans la grotte des Romains à Pierre-Châtel (Desbrosse et Prat 1974). Par ailleurs, quelques artefacts clairement magdaléniens de Veyrier auraient été confectionnés dans du bois de cerf (chap. 9).

Espèces Taillefer Favre Thioly Gosse Reber Jayet

Equus ferus cheval sauvage X X X X X X

Bos primigenius aurochs X ?

Bos taurus bœuf domestique X X X X

*

Bos sp. grand bovidé X

Ovis aries mouton X

*

Capra ibex bouquetin X X X X X X

Rupicapra rupicapra chamois X X X

Alces alces élan X

Cervus elaphus cerf élaphe X X X X X

Rangifer tarandus renne X X X X X X

Sus domesticus porc X X

*

Ursus arctos ours brun X X

Canis lupus loup X X X X

Canis familiaris chien X

*

Vulpes vulpes renard roux X X X X

Vulpes sp. renard X X

Lynx lynx lynx X

Felis catus chat domestique X X

*

Meles meles blaireau X X X X X

Martes martes martre X

Mustela putorius putois X

Castor fiber castor X

Marmota marmota marmotte X X X X X X

Lepus timidus lièvre variable X X X X X X

Oryctolagus cuniculus lapin X X X X

Microtus nivalis campagnol des neiges X

Arvicola sapidus campagnol amphibie X

Ciconia sp. cigogne X X

Aquila sp. aigle royal X

Lyrurus tetrix petit tétras X

Lagopus lagopus lagopède des saules X X

Lagopus mutus lagopède alpin X

Lagopus sp. lagopède X X X

Anas sp. canard X

Gallus domesticus poule domestique X

*

Turdus sp. grive X

Rana sp. grenouille X

Fig. 137 Présence des différentes espèces par collection. Les étoiles signalent les espèces clairement intrusives en contexte tardiglaciaire.

D’après Chaix 2003.

Dans le groupe des carnivores, certains animaux donnent des indications d’envi-ronnement franchement forestier, comme l’ours brun, la martre et le renard roux, et sont probablement à attribuer à une période plus récente du Tardiglaciaire.

D’autres espèces sont intrusives et certainement plus récentes, notamment les chats et les poules, absents de nos régions avant l’Age du Fer ou les espèces domestiquées dès le Néolithique seulement. Ainsi le bœuf domestique, le porc et le mouton sont à corré-ler avec les occupations plus récentes du gisement des carrières, datées du Néolithique et de l’Age du Bronze, comme en témoignent les utilisations sépulcrales des abris. La majorité de ces restes proviennent des collections Gosse ou Jayet, les plus sujettes à des mélanges (chap. 8). Par contre, la présence de bœuf, en relativement grande quan-tité, dans les collections Taillefer, Favre et Thioly suggère soit des stratigraphies com-plexes des abris jusqu’au Néolithique au moins, soit la présence d’un bovidé sauvage mal identifié (voir remarque de L. Rütimeyer à ce propos dans son rapport à F. Thioly).

La présence d’un chien dans la collection Jayet ne donne aucune indication chronolo-gique : soit il s’agit d’un animal néolithique – selon l’hypothèse d’A. Jayet – soit d’un chien magdalénien, comme il en a été trouvé un à Hauterive-Champréveyres (Morel, Müller et al. 1997).

Au niveau des quantités, même si la donnée du NMI manque, on observe une écrasante majorité de restes osseux de renne et de lagopèdes, suivis du cheval et du cerf. La mar-motte est représentée de façon constante dans les diverses collections. On peut imaginer, à la lumière des résultats obtenus sur la fouille récente d’Hauterive-Champréveyres (Morel, Müller et al. 1997), qu’il y avait plus d’ossements, mais que faute de tamisages, ils n’ont pas été récoltés.

Les ossements de renne de Veyrier ont été étudiés dans le cadre d’un travail de diplôme du Département d’anthropologie par B. Koenig et J. Studer (1981). Près de 800 restes osseux ont été analysés, c’est-à-dire les pièces conservées au Muséum d’histoire natu-relle, plus celles de la collection Jayet. Les résultats de cette étude indiquent un NMI de 74 rennes retrouvés sous et aux abords des abris. Les âges d’abattage permettent d’estimer que ceux-ci ont été occupés à toutes les saisons et que les Magdaléniens ne sélectionnaient pas un type de bête particulier à la chasse (les jeunes/les vieux). En effet, les classes d’âge représentées correspondent à celles d’un troupeau de rennes.

Les assemblages fauniques découverts à Veyrier par les différents chercheurs sont, pour la plupart, tout à fait cohérents avec une ou des occupations magdaléniennes. Pour mé-moire, on se rappelera la disparition du renne de notre région vers 12 000 BP (Bridault et al. 2000), ces occupations sont donc antérieures à cette date. La plus grande partie des espèces présentes à Veyrier est envisageable tant dans la fin du Dryas ancien que dans le début de l’interstade tempéré du Bölling.

D’autres espèces pourtant, évoquent un environnement boisé, et donc une insertion chro-nologiquement plus récente, ce qui est en accord avec les données environnementales recueillies dans les limons jaunes (chap. 5) qui montrent le passage d’un paysage ouvert, à la végétation peu développée, au développement d’une forêt. Le fait que dans les abris ces ossements aussi se retrouvent pris dans le conglomérat tufeux n’est pas surprenant,

puisque le développement de ce sédiment est tardif et daté de l’Holocène (chap. 5).

Les vestiges de faunes domestiques plus récents sont probablement à mettre en relation avec les occupations funéraires qu’a connues le gisement dès le Néolithique (chap. 7). Il serait fondamental d’étudier les traces de découpe sur ces os pour séparer la faune chas-sée – qui devient ainsi une preuve d’occupation anthropique – des proies de carnivores ou des bêtes mortes naturellement sous les abris.

7 Anthropologie

7.1 Introduction

L

a découverte d’ossements humains à Veyrier, contrairement à ce qu’on pourrait s’imaginer, ne frappa pas les chercheurs du 19e s. Aucun d’entre eux ne les signale particulièrement. Ils sont simplement décomptés avec la faune. Le tableau de L. Rüti-meyer (fig.136) n’en mentionne que deux ou trois dans la collection Favre, un seul pour celle de F. Thioly, deux pour celle de H.-J. Gosse, sans localisation précise, et un nombre inconnu dans la collection Taillefer, la fréquence des espèces n’étant malheureusement pas indiquée.

Seul H.-J. Gosse (1873) intègre ces données et brode sur le thème de grottes sépulcrales et de banquets funéraires, probablement plus à partir des ossements d’animaux – vestiges de ces banquets –, que d’après d’éventuels restes humains.

B. Reber, en 1902, indiquait même qu’il n’avait « pas connaissance de crânes ou de squelettes d’hommes, trouvés à Veyrier » (Reber 1902, p. 20), mais interprétait néan-moins les abris comme des tombeaux.

Si on excepte un pariétal et un frontal de bébé trouvés par A. Favre aux abords de l’abri Thioly (chap. 10.3.5) et le cas particulier de l’homme de l’abri des Grenouilles (chap.

11.3), on doit la majorité des découvertes d’ossements humains à A. Jayet. Malheureu-sement, ceux-ci proviennent des déblais des anciennes carrières. Le lieu précis de leur provenance est donc perdu. On peut toutefois penser qu’il n’y a pas eu de déplacement massif de déblais d’un bout à l’autre du pied du Salève. Comme argument, on retiendra le fait que les découvertes d’objets magdaléniens dans les déblais se situaient toujours à proximité de la zone des abris explorés par les différents chercheurs du 19e s. On peut donc considérer les indications de la localisation (fig. 138) des ramassages d’A. Jayet comme instructives et proches de leur contexte d’origine. Même si la lecture de ses carnets montre qu’il n’a pas recueilli lui-même les ossements, mais que les ouvriers des carrières les lui ont apportés. La localisation de leur découverte est donc une information de deuxième, voire de troisième main.

Ce chercheur se basait principalement sur la patine des os pour déterminer leur âge.

Une couleur blanchâtre, proche de celle des ossements de faune froide, lui parais-sait être un gage d’ancienneté.

Après leur publication par A. Jayet, les vestiges anthropologiques de Veyrier deviennent la collection de référence des Cro-Magnon régionaux. Les ossements sont abondamment mesurés, décrits, étu-diés par différentes personnes. Ils donnent lieu à des articles (Pittard et Sauter 1946,

Fig. 138 Plan de localisation des découvertes anthropologiques d’A..

Jayet (fig. 63 modifiée).

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Jayet 1943, Jayet et Sauter 1954) et même à un travail de licence (Schwaller 1969). Ces données sont ensuite intégrées dans des articles synthétiques (Gallay 1988 et 90, Le Ten-sorer ed 1993, Le TenTen-sorer 1998). Personne ne remet jamais en cause leur attribution à l’occupation magdalénienne.

Les dernières observations ont été le fait de C. Simon (Etter et al. 1993) et de C. Kramar qui a abordé l’aspect de la paléopathologie (Kramar 1993, 2004).

Pour répondre objectivement à la question de la contemporanéité effective ou non des squelettes et des vestiges d’occupation paléolithique des abris, il a été décidé de faire dater des ossements de quatre individus. Le choix s’est porté sur les crânes, déterminés par les anthropologues successifs comme ceux d’éventuels Cro-Magnon et sur un des ossements issus de la collection Gosse.

Les résultats du laboratoire de Zurich confirment l’importance de faire dater des osse-ments humains retrouvés en contexte incertain : aucun des individus testés n’a vécu au Paléolithique.

Appellation

squelette Provenance Découverte No Jayet No Gallay No inv. Dép.

Anthropologie C14 Veyrier I Abri des Grenouilles Gay et Montandon

1916 1 C 1942.67 4795 ± 60 BP

Veyrier II carr Delpiano [Chavaz

dans carnet!] Jayet décembre 1935 5 H 1961.53

Veyrier III (1954) carr Chavaz Jayet 18.6.1954 - N 1961.54 5680 ± 65 BP

Veyrier IV-1 carr Chavaz Jayet avril 1935 4 F 1961.55 3495 ± 55 BP

Veyrier IV-2 carr Chavaz Jayet 1945 4 K 1961.55

carr Chavaz Jayet 1935 3 G

Veyrier IV-3 carr Chavaz Jayet 11.5.1938 suite de 4 I 1961.55 Veyrier V - 2 carr Achard Jayet 1933 (reçu en 34) 2 E 1961.56

Veyrier VI-1 entrée au Muséum

Hist nat le 11.12.1962 Favre 1867 7 B 830 / 45a

Veyrier VI-2 Favre 1867 831 / 45b

Veyrier VII Gosse (1868-71) 652 / 83 a

Veyrier VIII entrée au Muséum

Hist nat le 11.12.1962 Gosse (1868-71) 6 A 652 / 83 b Veyrier IX -1 entrée au Muséum

Hist nat le 11.12.1962 Gosse (1868-71) 6 652 / 83 c Veyrier IX -2 entrée au Muséum

Hist nat le 11.12.1962 Gosse (1868-71) 652 / 83 d 5680 ± 65 BP Veyrier IX - 3 entrée au Muséum

Hist nat le 11.12.1962 Gosse (1868-71) 4 ou autre

individu 652 / 83 e

Veyrier X entrée au Muséum

Hist nat le 11.12.1962 Gosse (1868-71) 652 / 83 f

- dépôt au Musée d’Hist

Nat Gosse (1868-71)? suite 4 ou

autre ind. ?

- anc. carr Fenouilet Jayet 6.41946 8 L

- boyau sous-bloc de la

Veyrier Muséum Hist Nat Reber 627 / 97

La Balme Muséum Hist Nat Reber - - 631 /17

Fig. 139 Provenance et différentes appellations des ossements humains de Veyrier.