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3.2 Inégalités dans les prises en charge

3.2.2 Pathologies cardiovasculaires

3.2.2.1 Diagnostic et dépistage

Heiberg et al (89) ont réalisé une étude nationale norvégienne en 2019. Les données concernant près de 73 000 citoyens, décédés de causes cardiovasculaires entre 2011 et 2016, ont été utilisées. Parmi eux, 814 avaient un diagnostic de schizophrénie, et 673 de trouble bipolaire. Les causes de décès comprenaient notamment les pathologies cardiaques ischémiques (dont le syndrome coronarien aigu), les pathologies vasculaires cérébrales, et les autres formes de cardiopathies (dont les arythmies et l’insuffisance cardiaque). L’âge de décès était inférieur en cas de pathologie psychiatrique associée. Les résultats montraient des disparités dans l’utilisation des soins, primaires et spécialisés, avant le décès :

- Les patients (hommes et femmes) avec une schizophrénie avaient eu davantage de contacts téléphoniques avec leur médecin traitant que ceux exempts de pathologie psychiatrique ; ils avaient moins fréquemment consulté leur médecin traitant au cabinet, ainsi qu’un médecin somaticien ; la fréquence des consultations aux urgences et des admissions en unités de soins somatiques avait été, elle, similaire.

- Les sujets (hommes et femmes) souffrant d’un trouble bipolaire avaient eu une plus grande fréquence de consultations (téléphoniques et en présentiel) chez un médecin généraliste, aux urgences, et d’admissions en soins somatiques par rapport aux personnes sans maladie psychiatrique. La fréquence des consultations somatiques spécialisées avait été identique. - Le trouble bipolaire était associé à un plus grand recours aux soins somatiques primaires et

spécialisés que la schizophrénie.

De plus, 23% des individus souffrant de schizophrénie n’avaient pas reçu de diagnostic de pathologie cardiovasculaire avant leur décès, comparé à 17% des patients avec un trouble bipolaire, et 11% des patients exempts de pathologie psychiatrique. La plus grande proportion des décès cardiovasculaires non diagnostiqués concernait les 18-59 ans. Après ajustement sur l’âge de décès et les comorbidités, les résultats mettaient en évidence que les patients (hommes et femmes) atteints de schizophrénie (OR = 1,66), ainsi que les femmes présentant un trouble bipolaire (OR = 1,38), étaient plus à risque de ne pas recevoir de diagnostic cardiovasculaire, avant le décès de cette même cause. Le risque était par contre identique pour les hommes souffrant de trouble bipolaire. Les résultats par diagnostic cardiologique sont présentés dans le tableau ci-dessous.

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Tableau 5 : Risque d’absence de diagnostic de pathologie cardiovasculaire par cause de décès, d’après Heiberg et al (89).

Cause de décès

Odds ratios

Schizophrénie Trouble bipolaire

Tout sexe Hommes Femmes Tout sexe Hommes Femmes Infarctus du myocarde 1,99 - 2,68 - - - Pathologie ischémique 1,70 1,47 1,91 - - - Autres diagnostics 1,85 - 1,85 - - - Pathologies vasculaires cérébrales 1,47 - - - - 1,77

« - » : résultats non significatifs

Ainsi, le risque de ne pas recevoir de diagnostic avant le décès (toutes causes cardiovasculaires confondues) était plus élevé chez les patients souffrant de schizophrénie. Il était particulièrement marqué chez les femmes décédées d’un infarctus. Cette disparité ne se retrouvait pas dans le cas du trouble bipolaire, sauf pour les femmes décédées d’une pathologie vasculaire cérébrale. De plus, les patients souffrant de schizophrénie décédaient plus souvent à domicile. Ainsi, la proportion de pathologies cardiovasculaires non dépistées avant le décès était plus élevée lorsqu’une maladie psychiatrique sévère était présente, alors que presque toutes ces personnes-là (98%) avaient eu recours à des soins somatiques primaires ou spécialisés avant de décéder (contre 88% en l’absence de pathologie psychiatrique). Ces résultats étaient concordants avec ceux de l’étude suédoise de Crump et al (90), dans laquelle les patients atteints de schizophrénie et décédés d'une cardiopathie ischémique étaient moins susceptibles que les autres d'avoir reçu un diagnostic antérieur de cette affection (26% contre 47%). Les différences retrouvées entre les groupes, pour des causes identiques de décès, suggéraient des inégalités dans les soins apportés aux patients présentant des pathologies psychiatriques, tant dans les soins primaires que spécialisés.

Heiberg et al (91) ont par la suite repris cette cohorte nationale de 73 000 personnes, afin d’évaluer l’impact des maladies psychiatriques sévères sur l’utilisation des tests diagnostiques ou de dépistage cardiovasculaires. De manière globale, les résultats montraient un recours comparable aux tests diagnostiques (tous tests confondus) en soins primaires parmi les patients atteints de trouble

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bipolaire et de schizophrénie. Toutefois, il y avait une moindre réalisation de tests dans les soins cardiologiques spécialisés (RR = 0,78), uniquement pour les patients souffrant de schizophrénie. Les autres résultats sont présentés dans le tableau ci-dessous :

Tableau 6 : Recours aux tests diagnostiques cardiovasculaires avant le décès, pour les individus avec ou sans maladie psychiatrique, d’après Heiberg et al (91).

Tests diagnostiques

Ratios de prévalence

Schizophrénie Trouble bipolaire

Tout sexe Hommes Femmes Tout sexe Hommes Femmes Au niveau des soins primaires

ECG - - - - Tension artérielle sur 24h 0,39 0,34 0,45 - - - Glycémie à jeun - - - 1,13 1,17 - HbA1c - - - 1,12 1,16 -

Au niveau des soins spécialisés Echographie cardiaque 0,77 0,74 0,79 0,90 - 0,84 Coronarographie 0,66 0,61 0,72 0,81 - 0,64 Echo-doppler des vaisseaux périphériques 0,44 0,46 0,41 - - -

« - » : résultats non significatifs

Ainsi, il n’y avait pas de différence dans le recours à l’ECG entre les patients souffrant de maladies psychiatriques et la population générale. La mesure de la pression artérielle sur 24 heures était moins fréquemment réalisée en cas de schizophrénie, alors qu’il n’y avait pas de différence en cas de trouble bipolaire. L’utilisation des tests de dépistage/suivi du diabète était similaire pour les patients atteints de schizophrénie, et plus élevée pour ceux souffrant de trouble bipolaire. Concernant les soins cardiologiques plus spécialisés, les patients souffrant de trouble bipolaire et de schizophrénie bénéficiaient tous de moins d’examens (excepté l’échodoppler dans le trouble bipolaire, pour lequel la fréquence était identique).

Ces deux études étaient concordantes avec les résultats retrouvés dans des travaux antérieurs. Il semble exister un retard diagnostique important des maladies cardiovasculaires pour les patients

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souffrant de maladies psychiatriques. Les inégalités dans l’accès et l’utilisation des soins sont particulièrement préoccupantes, les maladies cardiovasculaires représentant la première cause de décès dans cette population. De plus, la plus faible prévalence des examens prodigués était particulièrement marquée pour les procédures demandant du temps ou un contact rapproché avec le patient (mesure de la pression artérielle sur 24 heures, échographie, coronarographie, échodoppler), ce qui pourrait s’expliquer par des facteurs liés aux patients, ou des attitudes stigmatisantes de la part des somaticiens. Par ailleurs, à cause de la mortalité cardiovasculaire plus précoce dans cette population, les personnes présentant une maladie psychiatrique pourraient décéder à des âges où les professionnels de santé ne suspectent habituellement pas une pathologie cardiovasculaire.