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VI. L ES FIGURES DE L ’ ANTICIPATION ET LEURS FREINS

2. DEVELOPPEMENT DE L’EMPLOYABILITE ET DEMARCHES DE GPEC

2.1. L’analyse de l’employabilité des salariés licenciés

Le contraste est saisissant entre les niveaux d’employabilité des salariés des trois entités (Chaussure, Chaussette et Tuyaux) au moment de la mise en œuvre des plans sociaux respectifs.

143 Gazier B. (2004), « Marchés transitionnels du travail et restructurations : vers une gestion collective des transitions », Séminaire de l’IRES sur les

restructurations.

144 Cornolti C. (à paraître), « Les effets des suppressions d’emploi sur le comportement des salariés restants en France : résultats d’une recherche exploratoire », Revue de Gestion des Ressources Humaines.

145 Aggeri F. et Pallez F. (2002), Les nouvelles figures de l’Etat dans les mutations industrielles, Cahier de Recherche du Centre de Gestion Scientifique, n°20, juin.

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Les salariés de Tuyaux sont issus en effet d’une entreprise, et plus généralement d’un secteur industriel, où les investissements en capital sont devenus prédominants au détriment du facteur travail. Une importante politique de formation continue a accompagné cette automatisation des procédés productifs, si bien qu’au moment de l’annonce de la fermeture de C***, l’employabilité des salariés de Tuyaux est relativement élevée dans les domaines liés à la production sidérurgique ou métallurgique. Ce facteur favorisa à la fois les reclassements au sein d’autres unités de production du groupe européen – actionnaire principal et la création d’activité dans le domaine du service à l’industrie métallurgique. Cette employabilité élevée est ainsi l’un des facteurs explicatifs au taux de reclassement supérieur à la moyenne qu’a affiché la cellule de reclassement de Tuyaux, et au taux relativement peu élevé de formation longue parmi les solutions identifiées.

Les salariés de Chaussure se caractérisent au contraire par un faible niveau de qualification et au cours des années précédant le plan social, les dépenses de Chaussure en formation apparaissent modestes. Or, face à une perte de compétitivité des produits de bas de gamme et à des difficultés économiques et financières croissantes, la direction aurait pu tenter de former ses salariés pour favoriser une stratégie de montée en gamme ; stratégie affichée par la direction depuis une dizaine d’années. Il semble donc que la direction demeurait sceptique sur les perspectives de réussite d’une telle stratégie au regard des caractéristiques du site (vieillissement des investissements corporels, organisation du travail obsolète, absence de compétences en interne…) – elle est donc restée essentiellement incantatoire. Par ailleurs, il semble également que le groupe Chaussure ne souhaitait pas prendre le risque, au sein d’une filiale française en crise, de désorganiser la production par les absences pour formation, de créer des attentes nouvelles (revendications de reconnaissance) auprès des nouveaux formés, ou encore de voir précocement les meilleurs salariés aller proposer leurs compétences ailleurs une fois le diplôme obtenu, une sous-qualification devenant paradoxalement un instrument de fixation de la main d’œuvre.

Nous l’avons vu plus haut, une des caractéristiques des salariés licenciés du textile est de n’avoir pas eu accès à la formation continue au cours de leur activité dans les entreprises du secteur. Le recours à la formation professionnelle demeure faible, voire très faible, malgré les démarches initiées à la fois par la DRTEFP et la Région, ou dans le cadre du contrat de site.

Plusieurs éléments expliquent cette situation. En premier lieu, une frilosité des chefs d’entreprise face à la formation continue, soit parce qu’ils sont inscrits dans des logiques de court terme et la conçoivent avant tout comme une perte de temps ou ne sont pas en mesure de se projeter dans l’avenir, soit parce qu’ils craignent qu’elle ne contribue à une perte de maîtrise des salariés et de leurs mobilités. En deuxième lieu, une réticence des salariés à « partir en formation » dans des entreprises sans culture de formation, soit par crainte qu’elle constitue l’antichambre de mobilités professionnelles et/ou géographiques, soit par réticence à suivre des formations éloignées géographiquement. En troisième lieu, une relative absence d’outil de formation local, avec très peu d’offres de formation sur le territoire. Enfin, il apparaît que les entreprises du textile privilégient la formation initiale, en sollicitant des formations en apprentissage ; d’une certaine façon, les employeurs du textile traduisent une préférence pour la formation initiale par rapport à la formation continue. Pour les salariés restants chez Chaussure, les repreneurs ont pris le contre-pied de cette pratique en mettant en place une GPEC, en favorisant la formation et en travaillant à l’employabilité des salariés. Pour ce faire, le dirigeant de l’entreprise a fait appel aux aides européens au titre du programme démarche compétence (Pic Equal) dont les fonds transitent par le Conseil Régional. Le plan de formation a été aidé à hauteur de 510.000 d’€146. Néanmoins, l’évaluation de ces dispositifs n’a pu être réalisée pour l’heure, d’autant plus que la chambre commerciale du TGI concerné a finalement prononcé mi-2005, la liquidation judiciaire de cette nouvelle structure.

Concernant les dispositifs anticipés de VAE pour les salariés du textile dans B*, tous nos interlocuteurs ont été très prudents, mettant en avant ses difficultés d’application et de mise en œuvre et son caractère trop récent pour pouvoir être évalué. Enfin, certains acteurs soulignent le caractère cloisonné des dispositifs de formation selon le statut de la personne (salarié ou demandeur d’emploi par exemple), constituant un frein à l’élaboration de solutions innovantes en la matière et permettant de construire des projets d’ensemble.

146 Défini lors du sommet européen d’Amsterdam, le programme communautaire PIC EQUAL est destiné à lutter contre les formes de discrimination et d’inégalité dans le monde du travail grâce à un dispositif budgétaire alimenté par le F.S.E (50%) ainsi que des fonds privés (30%) et publics nationaux (20%). Cinq axes prioritaires sont arrêtés au niveau national : la capacité d’insertion professionnelle, le développement de l’esprit d’entreprise, la capacité d’adaptation, l’égalité des chances et les demandeurs d’asiles. Une démarche compétences s’inscrivant dans l’axe n°3 est ainsi pilotée par le Conseil Régional de A depuis 2002. Celle-ci vise, d’une part, à impulser les politiques de formation dans les organisations de A employant des salariés à bas niveau de qualification et susceptibles de rencontrer des problèmes d’employabilité en cas de défaillance. Elle consiste, d’autre part, à inciter les organisations à la formation des salariés afin d’améliorer, par ce biais, leur potentiel compétitif. Contactées par le Conseil Régional, les entreprises font l’objet d’un diagnostic qui sert de support à la décision managériale. Les entreprises qui souhaitent adhérer à la démarche peuvent financer l’intervention d’un consultant à travers les fonds FRAC notamment débloqués par la Région (fonds régional d’aide aux conseils).

A ce jour, une dizaine d’entreprises ont initié cette démarche. Cette dernière y est pour l’heure interrompue en raison d’une procédure de redressement judiciaire, deux tiers des salariés, soit 170, étant par ailleurs concernés par le plan de sauvegarde de l’emploi.

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2.2. Démarches de GPEC et études prospectives

Dans B*, plusieurs actions visant à la réalisation d’études prospectives ont été menées : pour les unes, au niveau régional, pour d’autres, au niveau départemental dans le cadre du contrat de site. Au niveau régional, l’interlocuteur de la MIME affirme qu’un travail d’élaboration d’indicateurs est en cours mais non achevé et donc non diffusable.

Dans le cadre du contrat de site, trois études GPEC sur le textile ont été initiées, l’une sous la maîtrise d’ouvrage de l’OPEQ, l’autre sous la maîtrise d’ouvrage d’un cabinet de reclassement local spécialisé dans le secteur, et la troisième sous la maîtrise d’ouvrage de la chambre des métiers. Nous pouvons donc estimer que le contrat de site a constitué une occasion de mettre en œuvre des études sur le textile, ce qui constitue un fait nouveau. A l’origine, dans le contrat de site, les deux premières n’en faisaient qu’une mais ont été scindées en deux. Cette scission est interprétée par certains comme un symptôme de la difficulté à établir des coopérations.

Les acteurs en charge de ces études soulignent plusieurs freins à leur réalisation, avec en premier lieu, la difficulté à recueillir les réponses aux questionnaires adressés aux chefs d’entreprises mais aussi la difficulté pour ces derniers à y répondre, compte tenu de leur très faible visibilité sur leurs carnets de commandes. Par ailleurs, le terme même de GPEC semble susciter des réactions négatives de la part des chefs d’entreprises, avec néanmoins un regain d’intérêt lié au vieillissement des effectifs. Enfin, ces démarches posent d’emblée des questions pour la suite, qui ne semblent pas anticipées, telles que les moyens et les actions qui pourront être déployées à l’issue des études.

Nécessaire selon C. Viet, l’anticipation n’est pas chose aisée en raison notamment « du retentissement médiatique de

toute annonce de réorganisation et des contraintes d’une négociation sur un sujet aussi délicat »147. Ce point qui se retrouve largement dans les propos recueillis ne constitue en réalité qu’une partie du problème – certes non négligeable. D’autres difficultés la rendent délicates. La première, qui peut être qualifiée de culturelle, renvoie directement à la culture managériale et donc à la perception des dirigeants à l’égard de l’anticipation. Force est de reconnaître le mauvais accueil réservé à cette préoccupation assimilée à un quasi-droit de regard, une quasi-immixtion lorsqu’elle est menée dans une perspective micro-économique (telle la GPEC dans une entreprise donnée) et non plus seulement sectorielle. Bien que la motivation des acteurs de l’aide ne réside pas dans la volonté de se substituer à la clairvoyance managériale, l’action se heurte à la sensibilité des managers qui refusent de partager un pouvoir de gestion qui relève de leurs prérogatives et compétences. La deuxième réside dans les spécificités du tissu économique et sa lisibilité à terme. L’anticipation en matière de GPEC est difficile lorsque les dirigeants ont une vision réduite du marché. Elle l’est encore lorsque les entreprises étudiées dépendent juridiquement de groupes dont les sièges sont situés en dehors des territoires concernés par les plans sociaux.

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DIAGNOSTICS ET AXES DE RECOMMANDATIONS

Il ressort des monographies réalisées dans cette étude, emblématiques de configurations de restructurations « lourdes » accompagnées d’un plan social, d’autres monographies menées antérieurement148, et de leur confrontation à l’analyse des experts mobilisés dans le cadre de l’étude, un ensemble d’enseignements tant sur les processus de restructuration eux-mêmes que sur les dispositifs d’accompagnement de leurs effets mis en œuvre en France.

Toutes ces restructurations ne sont pas en tant que telles des surprises totalement imprévisibles ; pourtant, elles vont à chaque fois être vécues et traitées comme telles, dans une conception « accidentelle »149 et événementielle partagée par les différents acteurs, des restructurations et de leur pilotage. Cette dichotomie traduit en premier lieu un déficit d’anticipation et une focalisation intense de l’ensemble des acteurs de la régulation sociale sur la seule phase d’information-consultation liée à la mise en œuvre de restructurations « lourdes »150.

Il ressort ainsi que les dispositifs actuels d’anticipation et d’accompagnement des salariés et des territoires touchés par ces restructurations relèvent, dans le cas français, d’un modèle parcellaire (1), plaçant les différents acteurs impliqués dans des situations paradoxales (2), sans que soient initiés des processus d’évaluation et d’apprentissage de ces situations, malgré les multiples recommandations en ce sens qui ont été énoncées depuis plusieurs années (3). Néanmoins, dans cet univers du pilotage des processus de restructuration, des « îlots de réussite » peuvent être identifiés, significatifs de la volonté locale de certains acteurs de ne pas subir les événements et d’être « acteurs » dans des mécanismes dont une grande part leur échappe (4).

Derrière ces éléments de diagnostic, des recommandations sont émises visant en premier lieu, à étendre les périmètres de mise en œuvre de dispositifs spécifiques visant l’accompagnement des trajectoires professionnelles de l’ensemble des salariés concernés par une restructuration (5.1.) ; en second lieu, à soutenir, à structurer, à coordonner, et à inscrire dans la durée la construction de dispositifs locaux d’anticipation, de soutien au dialogue social, d’accompagnement des salariés et des territoires, et d’évaluation et de capitalisation des restructurations (5.2.) ; et en troisième lieu, à renforcer la constitution de cadres institutionnels locaux (5.3.).