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Ici, nous serons volontairement succincts car nous estimons que le projet étant à ses prémices, nous manquons de recul sur notre propre expérience de celui-ci. Cependant, la construction et la phase de recherche de financements nous a amené à réfléchir sur quelques aspects de nos multiples postures et sur les engagements que nous avons dû embrasser et les renoncements auxquels nous avons dû consentir. Nous articulerons notre réflexion autour des trois axes du projet : transmission, création et partage.

8.1. Transmettre : don et réception de savoir

L’un des axes forts du projet est celui de la transmission du savoir graphique. Il est envisagé dans le cadre d’ateliers en établissements scolaires113, au sein de structures

culturelles (musées, centres de loisirs, centre d’interprétation du patrimoine - CIAP) et à l’occasion des Iconathons, qui permettront aux designers graphiques de se réunir et seront ouverts à tous. Si nous souhaitons nous engager dans cette démarche (parce que nous considérons qu’il est nécessaire « d’oser » lancer le projet auprès des scolaires et de transmettre dès que possible), cela ne signifie pas pour autant que nous nous estimons « experts » dans la pratique de création de pictogrammes.

Bien évidemment, nous avons une pratique du design graphique et maîtrisons l’essentiel du dessin vectoriel, ce qui nous permet de nous sentir aujourd’hui confiants dans notre démarche, mais cette confiance n’a pas empêché un moment de doute sur notre capacité à transmettre. Ce qui nous a aidé à sortir de ce moment de doute est la conviction que la transmission nous place autant dans une posture de « don » que de « réception ». En effet, les plateformes comme Noun project ou Iconfinder proposent sur leur site et leurs réseaux sociaux des tutoriels qui nous permettent de nous encapa-

citer sur la création de pictogrammes, et de fait, sur la transmission de ce savoir.

À un autre niveau, le projet étant aussi conçu comme un projet de design, la phase d’immersion nous a placé d’emblée comme « récepteur » de savoirs. Le travail d’élicita- tion avec Pawnee, qui nous a informé que la vannerie, chez les Kali’na, était une activité masculine (voir p. 73-75), nous a sensibilisé sur l’importance cruciale de la circulation des savoirs dans la question de la représentation. Dans une grande partie des ethnies de Guyane, la transmission est orale. La vision du monde hégémonique occidentale, qui considère que « là où il n’y a pas d’écriture, il n’y a pas de culture » (Ba, 2017), est confrontée à d’autres visions du monde. Dans notre volonté de créer une base de données de pictogrammes, des outils de communication visuelle, nous utilisons les outils de la culture occidentale hégémonique ; et dans le même temps, certains savoirs, qui circuleront potentiellement à travers le projet, pourront être des savoirs protégés, amenés à être sauvegardés. Dans tous les cas, il existe la notion que le projet se situe

dans la culture hégémonique occidentale (les outils de communication sont des outils de diffusion du savoir), et qu’il peut être aussi amené à être en marge de cette culture, avec ce potentiel de « contre-hégémonie » (Gramsci, 2001). Nous n’allons pas plus loin dans la réflexion, car elle amène à explorer des raisonnements qui dépassent le cadre de notre question de recherche et, surtout, nous attendons l’expérience du projet.

8.2. Créer : démarche individuelle à la création

Le projet est aussi individuel. Bien sûr, « il n’y a pas de projet sans auteur » (Bou- tinet, 2010), mais ce n’est pas ce que nous entendons par là. En janvier 2020, pen- dant la phase d’immersion et de recherche de partenaires, nous avons rencontré la conseillère aux arts plastiques et visuels de la direction de la Culture, de la Jeunesse et des Sports114, qui nous a fortement recommandé de postuler à l’Aide Individuelle à

la Création (AIC115), un dispositif pour aider les « artistes » à « mener une recherche

artistique »116. Là aussi, nous avons eu un moment de doute avant d’envoyer notre

candidature : bien que nous envisagions nécessairement une dimension créative et esthétique inhérente à notre métier, la dimension proprement « artistique » de l’aide nous freinait. Après relance de la conseillère, nous nous sommes motivés à y postuler en trouvant du sens dans l’acte « d’oser » répondre à une telle aide. En effet, cela peut être une réponse possible au problème que nous avions identifié précédemment de manque de structuration du secteur du design graphique en Guyane. Envoyer un dossier artistique117, rédigé dans le sens de nos préoccupations en tant que designer et

employant les mots-clés qui caractérisent notre démarche (valeurs, fonctions, usages), peut constituer un « acte de représentation ».

Dans le cadre de la demande de l’AIC, nous proposons de nous concentrer sur les objets de culture et les ressources graphiques qu’ils contiennent et, en matière de méthodologie, nous nous exprimons ainsi :

Si la finalité est de créer des ressources graphiques synthétiques et duplicables, il est nécessaire de décortiquer les formes pour comprendre comment les synthétiser sans perdre, autant que possible, leurs valeurs. Ainsi, il est prévu d’étudier une sélection d’objets du quotidien dans leurs fonctions et leurs valeurs auprès des usagers (du littoral et de l’intérieur) grâce à de la recherche documentaire, de l’observation des modes de vie et pratiques, et la réalisation d’entretiens et d’ateliers.

114 Ex-direction des Affaires culturelles, équivalent de la DRAC en métropole.

115 Conforme au décret n° 2015-92 du 28 janvier 2015 relatif à l’attribution des aides déconcentrées destinées

aux artistes et à l’arrêté du 3 avril 2015.

116 « Aide individuelle à la création (AIC) - Arts visuels », [s.d.]. URL : https://www.culture.gouv.fr/Regions/

Drac-Grand-Est/aides-demarches/subventions/arts-visuels/AIC. Consulté le 30 août 2020. 117 Extrait de la note d'intention en annexe 4 : p. 141.

Nous ne sommes pas certains que le dossier répondra aux exigences du jury, mais il permettra de faire savoir nos préoccupations à des acteurs institutionnels qui peuvent intervenir dans la consolidation du secteur du design graphique et de la communica- tion visuelle.

8.3. Partager : coconception et innovation

Pour finir, il convient d’aborder le « renoncement » temporaire que nous choisissons de faire à l’aune des résultats de ce mémoire de recherche. Dans notre recherche de financements, Pictonia étant un projet innovant, nous avons pris l’attache de banques et de la Banque publique d’investissement (BPI). Ceci nous conforte dans une posture entrepreneuriale (Boutinet, 2012), que nous avons déjà avec l’agence de communi- cation Focus - l’art communique (qui porte en partie le projet118). Pour cet aspect du

projet, nous nous sommes rendu compte que les exigences de financement d’un projet innovant n’étaient pas compatibles avec la temporalité de la coconception (Kahane, 2015). Au cours d’un rendez-vous téléphonique avec une conseillère de la BPI, notre interlocutrice était claire sur la nécessité d’avoir un business model élaboré et surtout des prototypes de l’interface envisagée pour la plateforme, avec le détail des fonctionnalités. Il n’est non seulement pas intéressant d’anticiper la conception avant de faire des ateliers coconception, mais en plus la recherche de financement est un long processus qui peut retarder le démarrage du projet. Or, un premier travail de recherche de financements (subventions) et de recherche de partenariats institutionnels a déjà été fait ; il convient maintenant de se consacrer au projet.

Dans ces prémices du projet, nous avons donc décidé, en équipe, de mettre en attente la solution de partage en ligne à travers une plateforme avec des fonctionnalités spécifiques, pour favoriser des moyens plus simples et informels qui ne demandent pas de financements particuliers. Ainsi, nous favorisons dans un premier temps le partage des pictogrammes en cours de réalisation (sur les réseaux sociaux, le site, ou l’espace Github du projet), qu’ils aient été commencés individuellement ou au cours d’Icona- thons pour que chaque participant qui le souhaite puisse apporter des modifications et des améliorations. Par ailleurs, cela peut servir à décomplexer la démarche de créa- tion en ne montrant pas uniquement des pictogrammes finis, qui cachent les heures de croquis, de vectorisation, de modification, d’implémentation, rappelant qu’il y a derrière tout un travail de design graphique. Ainsi, on peut véhiculer l’idée qu’oser la création consiste à oser faire des choses hasardeuses et non « lisses ».

Ce parti pris émerge aussi de ce mémoire de recherche, qui nous a fait réaliser que l’axe de partage pouvait aussi être compris comme la circulation de la parole, l’échange et l’ouverture de la discussion autour de la question de la représentation, qui est loin d’être anodine.

118 Les deux autres porteurs sont les associations Alchimie et Design & Diversités, une organisation tripartite qui