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DESCRIPTION SYNTAXIQUE DE liʔǝnna, ʕlēxāṭǝṛ, māhu et biḥkum

Dans ce chapitre, il s’agit d’apporter une description syntaxique des équivalents du morphème « parce que », relevées en arabe de Tripoli. Nous en avons retenu quatre:

liʔǝnna, ʕlēxāṭǝṛ, māhu et biḥukm. Le choix de ces quatre ligateurs n’est pas arbitraire, il est lié à la collecte des données linguistiques de notre corpus. Certains de ces équivalents tels que māhu et biḥukm n’ont fait l’objet d’aucune description détaillée jusqu’à présent. Nous voudrions proposer quelques pistes de travail les concernant qui pourront permettre de préciser leurs conditions d’emploi.

Cette description s’appuiera sur les récents travaux de Christophe Pereira sur l’arabe de Tripoli (2008, 2010, 2014 et 2015), ainsi que sur le travail plus ancien de Hans Stumme (1898).

De plus, nous nous inspirons très largement du travail de Jeanne-Marie Debaisieux (1994 et 2013). Ce choix est justifié par le fait de l’utilité de deux approches indiquées dans ces travaux, valables pour l’analyse de l’oral : c’est sur deux niveaux syntaxiques que l’auteur aborde ses analyses, un qui relève de la dépendance grammaticale des constituants de l’énoncé « micro-syntaxe » et un autre qui relève des constituants de l’énoncé eux-mêmes « macro-syntaxe ». Ces travaux vont nous servir à appliquer presque la même analyse syntaxique grammaticale et à mettre en évidence des usages particuliers au niveau de la construction syntaxique de l’arabe parlé à Tripoli.

Nous nous appuions sur les travaux de de Pierre Le Goffic (1993, 2008 et 2011) ainsi que Florence Lefeuvre (1999, 2011).

Pour mener une analyse syntaxique de liʔǝnna, ʕlēxāṭǝṛ, māhu et biḥukm, nous montrons tout d’abord la structure grammaticale de liʔǝnna, ʕlēxāṭǝṛ, māhu et

biḥukm pour indiquer quelles différences existent entre eux. Ensuite, nous présentons une étude des caractéristiques formelles, les formes des structures grammaticales de ces équivalents. Elles vont permettre de montrer une diversification formelle au niveau de l’organisation grammaticale. Enfin, nous terminons par des exemples où la modalité empêche d’instaurer une relation de dépendance entre les constituants de l’énoncé.

1. Les ligateurs dans l’arabe parlé à Tripoli

Notre plan de présentation de liʔǝnna, ʕlēxāṭǝṛ, māhu et biḥukm s’appuie sur trois axes: brève présentation, emploi seul, sans suffixe ou suivi de pronom suffixe et position canonique et non canoniques. Nous suivons la même stratégie pour ʕlēxāṭǝṛ,

māhu et biḥukm.

1. 1. liʔǝnna ~ lyanna

liʔǝnna est le ligateur causal le plus employé en arabe de Tripoli contemporain54. Il rappelle la forme également employée en arabe littéral. Il sert à exprimer une relation causale entre deux propositions.

A Tripoli, on entend ce ligateur sous la forme liʔǝnna, mais aussi lyanna55, à la suite

de la chute de la consonne occlusive glottale ʔ « hamza »56. 1.1.1 liʔǝnna employé seul

Nous allons voir dans ce qui suit les cas où ce ligateur apparaît seul, c’est-à-dire non accompagné d’un pronom suffixe. Relever cette forme permet de connaître les cas qui y échappent.

liʔǝnna employé seul peut apparaître dans certains cas :

 Lorsque le sujet de S2 est énoncé sous la forme d’un groupe nominal (d’un syntagme nominal) comme dans les exemples (28) et (29):

ma yaʕžǝbnī-š awwǝl sǝbtambǝṛ

non il me plaît-pas premier septembre

liʔǝnna awwǝl sǝbtambǝṛ zāḥma

parce que premier septembre masse

hālba beaucoup

54. Nous reviendrons sur ce point au fur et à mesure de notre travail. 55. Désormais liʔǝnna.

(28). « Je n’aime pas l’avenue du premier septembre parce que premier septembre est trop fréquentée ».

En parlant d’un des plus beaux endroits à Tripoli : la corniche

-ʕlāš aḥla mkān ?

pourquoi le plus endroit

-liʔǝnna ǝlmānḍǝṛ žamīl žǝddan

parce que le paysage beau beaucoup

(29). « -Pourquoi la corniche est le plus bel endroit ? ». « -Parce que + la vue est extrêmement belle ».

De même, dans cet exemple (30) repris de Christophe Pereira57

ma gdǝrt-ǝš nži liʔǝnna

nég j’ai pu-nég je viens parce que

xū-y ʕaṭṭǝl

frère-mon il a pris du retard

(30). « Je n’ai pas pu venir parce que mon frère a pris du retard ».

 Lorsque le sujet de S2 est énoncé sous la forme d’un groupe adjectival comme dans les exemples (31) et (32) :

ǝlbēt ǝlmītāli bǝnǝsba līya

la maison l’idéale pour moi

mǝš kbīr nfaḍḍǝl šǝgga

pas grand je préfère appartement

liʔǝnna malmūma parce que regroupé

(31). « Une maison idéale++ d’après moi++ n’est pas grande, je préfère++ un appartement parce que tout y est regroupé ».

xāli nǝmšū-l-a liʔǝnna mrīḍ

mon oncle nous allons à lui parce que malade

57. Nous le remercions d’avoir mis gracieusement ses corpus à notre disposition pour avancer dans ce

(32). « Nous allons voir mon oncle parce qu’il est malade ».

 Lorsque liʔǝnna est suivie d’une préposition fi « dans »; la S2 s’organise ainsi autour d’un prédicat prépositionnel prépositionnel :

twažžaht lǝlhandasa liʔǝnna fī-ha

je me suis dirigée à l’ingénierie parce que y-elle kālkōlēšǝn

calcul

(33). « Je me suis dirigée vers l’ingénierie parce qu’il y du calcul ».

1.1.2. liʔǝnna +pronom suffixe

On ne suffixe pas de pronom à liʔǝnna lorsque le sujet de S2 n’est pas mentionné sous la forme d’un syntagme nominal. On peut suffixer un pronom cataphorique à

liʔǝnna. Il se trouve alors sous la forme liʔǝnn-. Une modification intervient. Il s’agit de la disparition de la voyelle finale « a ».

ǝlmaṣrīya ʕǝndi tǝlqāʔīya liʔǝnn-i

l’égyptien j’ai automatique parce que- moi

tṛabbēt fi ḥōš maṣri

j’ai élevé à maison égyptien

maṣri égyptien

(34). « Je parle couramment l’égyptien parce que moi+ j’ai vécu dans une maison égyptienne+ égyptienne ».

Nous avons dégagé des cas où le pronom suffixé à liʔǝnna peut être suivi d’un pronom indépendant. Il s’agit d’une focalisation du sujet de la S2, Comme l'indique Christophe Pereira, la focalisation s’exprime notamment au moyen de l’intonation. En effet, il y a une corrélation entre la focalisation et l’intonation qui se caractérise par la montée significative de la courbe intonative lorsque l’élément focalisé est articulé (Caron, Lux, Manfredi & Pereira 2015 : 107). Ici, la focalisation a un caractère remarquable, une intonation montante alors que la suite de l’énoncé est marquée par une mélodie descendante.

ǝttālēfōn ygǝṣṣ mǝn mbakri

le téléphone coupe de depuis

liʔǝnn-ǝk ǝnti tǝstanni fi

parce que-toi tu attends à

ǝlqiṭāṛ le train

(35). « Le téléphone coupe depuis tout à l’heure parce que+ toi+ tu attends le train ».

Christophe Pereira a montré des cas où le sujet de la S1 est le même que celui de la S2: « Le pronom suffixé à liʔǝnna est à la fois anaphorique et cataphorique ; il rappelle en effet le sujet de la proposition principale et annonce celui de la proposition subordonnée » 58.

ma gdǝrt-š nži liʔǝnn-ni

nég j’ai pas pu-nég je viens parce que-moi ʕaṭṭǝlt

j’ai tardé

(36). « Je n’ai pas pu venir parce que j’ai pris du retard ».

Dans le corpus, nous trouvons la construction suivante :

āne ma nḥǝbb-š ḥadd

moi ne j’aime pas quelqu’un

yaṭlaʕ mʕāy liʔǝnn-ni āne

il sort avec moi parce que-moi moi

ntaʕʕǝb fi nnās

fais fatiguer aux les gens

(37). « je n’aime pas sortir avec une personne parce que+ moi+ je fais fatiguer les gens ».

āne bǝnrawwǝḥ mʕa Nāžya

moi je vais rentrer avec Najia

liʔǝnn-āne bʕǝt siyyāṛt-i

parce que-moi j’ai vendu voiture- ma

(38). « Moi++ je vais rentrer avec Najia parce que+ moi+ j’ai vendu ma voiture ».

Dans ce qui suit, nous montrons les différentes positions de liʔǝnna. Ce qui permettra d’une part de connaître si une telle position syntaxique affecte un changement sémantique ou pas. Et d’autre part, d’indiquer s’il y a des positions particulières qui n’existaient pas dans le français parlé à Paris. Ce point sera développé ultérieurement.

1.1.3. Position canonique

Cette position prend la construction S1+liʔǝnna+S2. Nous parlons de position canonique, lorsque liʔǝnna suit une S1 et introduit S2. C’est le cas de l’énoncé (39). En parlant de la probabilité d’une inscription au centre d’études diplomatiques pour les étudiants étrangers ayant Master 2 en Français Langue Etrangère, la locutrice prononce :

hāda yǝgbǝl liʔǝnn-ni sʔǝlt

celui-ci accepte parce que-moi j’ai demandé

(39). « Celui- ci (le centre) accepte parce que j’ai demandé ».

1.1.4. Positions non canoniques

Par ailleurs, nous parlons de position non canonique lorsque l’ordre des S1 et S2 est inversé. Elle prend deux formes différentes : une forme assujettie au schéma liʔǝnna- S2+S1, la causale introduite par liʔanna précède la principale ; l’énoncé commence donc par liʔǝnna, alors que l’autre forme se structure ainsi : S1+S2+liʔǝnna. Les exemples suivants illustrent respectivement ces deux formes :

1.1.4.1. liʔǝnna+S2+S159

L’intervieweur demande à son interviewée si elle mange le soir tard ; celle-ci répond:

59.Ce schéma correspond à ce que Mary-Annick Morel (1996 : 92) souligne au sujet du placement de

la subordonnée à l’initiale de la phrase qui montre que ce placement retrace une focalisation au moyen de c’est … que, exemple : c’est parce qu’on l’avait invité officiellement qu’il est venu.

liʔǝnna nǝtrāzǝn ʕṛafti āne

parce que je lourde tu sais moi

ma nḥǝbb-š nākǝl f

ne j’aime-pas je mange à

ǝllēl ǝmmāxǝṛ

le soir tard

(40). « C’est parce que je me sens lourde+tu sais+ que je n’aime pas manger tard le soir ».

1.1.4.2. S1+ S2+liʔǝnna

Il semble que la postposition du ligateur permet de donner à la S2 une valeur de justification : justification du fait de pouvoir dire ce qui a été dit dans la S1 (cf. « j’ai vu la boîte » justifie le fait que je peux dire que « la version (office en anglais)» est de deux mille onze ; « j’ai oublié d’apporter des mouchoirs » justifie le fait que je dise que j’accepte celui que tu m’offres.

-mǝtʔakkda l-ōfīs ǝlli ʕǝndǝk

tu es sûre la version que tu as

alfēn w ḥḍāš ? deux mille onze ?

-mtāʕi alfēn w ḥḍāš šuft ǝlbāko

le mien deux mille onze j’ai vu la boîte liʔǝnna

parce que

(41). « -Tu es sûre que tu as la version 2011? ».

« -Le mien est deux mille onze+ j’ai vu la boîte parce que ».

La discussion s’est déroulée dans le RER déjà plein de passagers. La locutrice 1 a vu la sueur sur le visage de son amie, la locutrice 2 :

L1.naʕṭīk klīnāks ? je te donne mouchoir ?

L2.īda mumkǝn nsēt nžīb

liʔǝnna parce que

(42). « A. Je te donne un mouchoir ? ».

B. « S’il est possible++ j’ai oublié d’en apporter parce que ».

Ce type d’organisation grammaticale représente un cas rare dans le corpus. liʔǝnna

marque l’arrêt ou la fin de l’énoncé. Ce liʔǝnna a une valeur de clôture. Cette valeur est issue de sa valeur prosodique : une intonation descendante suivie d’une pause.

A propos des exemples (41 et 42), nous pouvons affirmer qu’il est impossible de déplacer la S2 avant S1, sans produire une relation arbitraire, ininterprétable. Notons que la position de liʔǝnna à la fin de l’énoncé n’a pas apporté de modification à son rôle causal.

*šuft ǝlbāko liʔǝnna mtāʕi

j’ai vu la boîte parce que le mien alfēn w ḥḍāš

deux mille onze

« - j’ai vu la boîte parce que le mien est deux mille onze ».

*nsēt nžīb liʔǝnna īda

j’ai oublié j’apporte parce que si

mumkǝn possible

« - j’ai oublié d’en apporter parce que s’il est possible ».

Les exemples que nous venons de voir nous amènent aux conclusions suivantes :

1) La position à l’initiale de la S2 lui confère une valeur de focalisation sur la cause.

2) La postposition de la S2 et la position finale du ligateur introduisent une valeur de justification à l’acte de dire.

Dans les deux cas, l’interlocuteur n’a pas la possibilité de contester le lien causal qui associe lesdeux séquences.

1.2. ʕlēxāṭǝṛ

ʕlēxāṭǝṛ s’entend dans certains parlers maghrébins avec différentes prononciations. Dans le parler arabe de Djidjelli, Nord constantinois, Algérie, on entend eʕla- xāTor, Philipe Marçais (1956 : 560).

ǝn-nhāṛ kāmǝl u ma xrǝžt-š ʕlēxāṭǝṛ

kunt nǝssǝnna fīk

(43). « Je ne suis pas sorti de toute la journée parce que je t’attendais ».

A Zarzis, selon Mouldi Bouaicha (1993 : 753), on entend ʕla xāṭǝṛ et xāṭǝṛ, sans la préposition ʕla « sur » pour exprimer une relation causale. ʕla xāṭǝṛ est morphologiquement invariable. On notera toutefois la chute dans certain cas du monème ʕla. Le fonctionnel est alors réduit au seul monème xāṭǝṛ « parce que/ car »

tḥārku xāṭǝṛ ma xalls-ā-š

(44). « Ils se sont disputés parce qu’il ne l’a pas payé ».

tġaššaš ʕla xāṭǝṛ ṣāḥb-a ma žā-š

(45). « Il s’est énervé parce que son ami n’est pas venu ».

A l’instar de liʔanna, ʕlēxāṭǝṛ s’emploie seul ou muni de pronoms suffixes et, comme liʔanna, ʕlēxāṭǝṛ peut occuper différentes positions dans les énoncés.

1.2.1.ʕlēxāṭǝṛ employé seul

On ne suffixe pas de pronom à ʕlēxāṭǝṛ lorsque S2 est organisée autour d’un prédicat verbal. C’est le cas dans l’exemple (46) :

La locutrice était en train de chercher des pyjamas dans un super marché :

nǝbbi naṭlǝʕ ʕlēxāṭǝṛ ma

je veux je sors parce que ne

lgēt-š ǝlbīžāmāt

j’ai trouvé pas les pyjamas

ʕlēxāṭǝṛ est grammaticalisé. Il est utilisé ici comme locution conjonctive, introduisant une proposition de cause. Le second terme xāṭǝṛ ‘esprit,idée’ ne fonctionne plus comme un lexical. C’est pour cette raison, ʕlēxāṭǝṛ n’accepte pas de pronom suffixe.

1.2.2. ʕlēxāṭǝṛ +pronom suffixe

On suffixe un pronom à ʕlēxāṭǝṛ lorsque le pronom suffixe remplace un syntagme nominal en position de complément d’objet comme dans les énoncés (47) et (48) :

xaššēt l-ǝs-skāyb ǝlla ʕlēxāṭṛ-ǝk

je suis entrée au skype sauf pour toi

(47). « je ne suis sur Skype que pour toi ».

ʕlēxāṭṛ-ǝk ya-Fāṭma sǝyyǝbt xū-y sur idée- ton (pour toi) ô-Fatma j’ai négligé frère-mon aḥmǝd

Ahmed

(48). « C’est pour toi Fatma que j’ai négligé mon frère Ahmed ». Extrait repris de Christophe Pereira (2010 : 347).

ʕlēxāṭǝṛ dans les exemples (47) et (48) a le même valeur du ligateur causal bisabab

« à cause de ». Nous ne prendrons pas en compte ce type d’exemples, nous travaillerons spécifiquement sur les énoncés articulés par ʕlēxāṭǝṛ qui assurent l’équivalent de « parce que », sujet de notre étude. Mais nous avons vu la nécessité de les signaler pour montrer les différences utilisations de ʕlēxāṭǝṛ. Et pour montrer que le ligateur ʕlēxāṭǝṛ a la même valeur que le ligateur bisabab « à cause de » dans les exemples (47) et (48) où ces deux ligateurs sont interchangeables :

(47.a). xaššēt l-ǝs-skāyb ǝlla bisabab-ǝk

(48.a). bisabab-ǝk ya-fāṭma sǝyyǝbt xū-y aḥmǝd

Donc, nous nous n’intéressons pas tout au long de notre travail de ʕlēxāṭǝṛ utilisé comme locution prépositionnelle introduisant un complément circonstanciel mais

utilisé comme locution conjonctive introduisant ainsi des propositions de cause.

1.2.3. ʕlēxāṭǝṛ en position canonique

nǝgdǝr nsāfǝr bixyāli ʕlēxāṭǝṛ

je peux je voyage avec mon imagination parce que

ǝddǝhǝn tǝgdri tsāfri bīh

l’esprit tu peux tu voyages avec lui

(49). « Je peux voyager en imagination parce qu’on peut voyager en esprit ».

1.2.4. ʕlēxāṭǝṛ en positions non canoniques Le corpus atteste deux positions.

1.2.4.1. ʕlēxāṭǝṛ+S1+S2

ʕlēxāṭǝṛ ǝlbāb iṭūg bnǝmši

parce que la porte frappe je vais aller naftǝḥ

j’ouvre

(50). « C’est parce qu’on frappe à la porte que je l’ouvre ».

ʕlēxāṭǝṛ ǝnti zāhga m

parce que toi ennuyeuse de

ǝlmaḥāllāt ma tǝbbī-š tǝdahwri

les boutiques ne tu veux-pas te promener

fi ǝlmaḥāllāt

à les boutiques

(51). « C’est parce que +tu es dégoûtée des boutiques que tu ne veux pas y aller ».

2.3.3. S1+S2+ʕlēxāṭǝṛ

sažžǝlt fi žāmiʕǝt Angers

j’ai inscrit à université Angers

ma ḥaṣṣǝlt-š ǝlla ġādi

ʕlēxāṭǝṛ parce que

(52). « Je me suis inscrit++ à l’université++ d’Angers parce que je n’ai trouvé d’inscription que là-bas ».

1.3. māhu

A notre connaissance, māhu n’a été jamais décrit. Selon notre bibliographie, aucun ouvrage sur l’arabe parlé ne relève ce ligateur en emploi causal. Il semble que māhu

a un nouveau usage contemporain.

Dans l’arabe libyen de Tripoli, māhu n’a été décrit, que par Hans Stumme 1898, mais en tant que forme interro-négative avec un sens se rapprochant de « n’est-ce pas? », sans connotation causale. On le retrouve également dans l’arabe de Tripoli contemporain. Il s’agirait ici d’un emploi de mā en tant que « particule de corroboration »- nous empruntons le terme à William Marçais & Abderrahmân Guîga (1960 : 3769) - à laquelle on suffixe le pronom de la troisième personne du masculin singulier-hu ; māhu a donc un premier emploi de type interrogatif corroboratif.

On trouve aussi cet emploi de mā dans des variétés d’arabe de Tunisie, notamment dans le parler de Takroûna (Marçais & Guîga 1960 : 3769) ou dans celui de Zarzis (Mouldi Bouaicha 1993 : 664-665), ou encore dans celui de Doûz décrit récemment par Veronika Ritt-Benmimoun (2014). Mais, en Tunisie, on combine mā avec les suffixes à toutes les personnes, contrairement à ce qui se produit à Tripoli, où il n’existe qu’une seule forme invariable à connotation causale.

En arabe de Tripoli contemporain, māhu interrogative possède un homonyme (homophone et homographe). Ce dernier y est employé comme ligateur de cause. Diachroniquement, māhu procèderait de la conjonction mā à laquelle on a suffixé le pronom –hu. Aujourd’hui, dans l’arabe de Tripoli contemporain, il s’agit d’une forme figée, invariable et donc grammaticalisée.

1.3.1. māhu employé seul Nous avons relevé, de notre corpus, l’exemple suivant :

ma kallǝmtǝk-š māhu ma ne je t’ai appelé-pas parce que ne

lgēt-š wagǝt

j’ai trouvé-pas temps

(53). « Je ne t’ai pas appelé parce que++ je n’ai pas de temps ».

māhu ne peut pas introduire une causale constituée uniquement d’un syntagme nominal. Aussi, ce ligateur n’accepte pas de suffixe.

1.3.2. māhu +pronom suffixe

Cette structure est absente, il n’y a aucun cas où on peut suffixer māhu. 1.3.3. Position canonique

mā-nǝgdǝr-š nǝtʕašša mʕā-kum māhu ʕǝnd-i ma

NEG-je peux-NEG je dîne avec-vous parce que chez-moi REL

ndīr.

je fais

(54). « Je ne pourrai pas dîner avec vous parce que j’ai à faire.

1.3.4. Positions non canoniques

Sous ce modèle, nous trouvons deux configurations: la première où S2 n’est pas introduite par māhu ; ce dernier apparaît en fin de S2 et clôture l’énoncé. Il est en forme affirmative. Et la deuxième où māhu occupe la même position que la première, mais il est en forme interrogative. Ces deux formes seront illustrées respectivement.

1.3.4.1. S1+S2+māhu

mšēt l-ǝl-madǝṛsa ǝn-natīža ṭulʕǝt

je suis allée à-l’école le résultat est sorti māhu

parce que

1.3.4.2. S1+S2+māhu?

klē žīlāṭi māhu ?

il a mangé glaces n’est-ce pas ?

Une remarque que nous devons souligner à propos de l’exemple (n° 55) : la position de māhu de l’énoncé n’a pas entraîné de changement de valeur causale. Elle marque la fin de l’énoncé avec une valeur de justification de l’acte de dire, comme nous l’avons vu ci-dessus pour les exemples (n°55 et n°56). Or, dans l’exemple (n°56), māhu perd sa valeur causale et introduit une valeur interrogative. La perte de cette valeur causale n’est pas dûe seulement à la position finale mais aussi à l’intonation interrogative qui l’accompagne. Lorsque māhu est utilisé comme interrogatif, il n’interroge pas sur la cause.

L’exemple (55) montre l’intonation de l’énoncé de māhu en emploi causal. Cet énoncé comporte deux unités intonatives : il s’agit de S1 mšēt l-ǝl-madṛsa et de S2

ǝn-natīža ṭūlʕǝt māhu, et il y a une pause entre ces deux séquences. Il s'agit d'une assertion, qui comme le précise Christophe Pereira (2015 : 98-99), se caractérise par la déclinaison, la descente progressive, graduelle, de la courbe intonative : alors qu'au debut de l'énoncé, le pitch mesure 204.58Hz, la hauteur de la courbe en fin d'énoncé se situe à 61.79Hz.

En revanche, lorsque māhu est employé comme interrogatif-šorroboratif (demande de confirmation), la courbe intonative présente des caractéristiques différentes. Tout d’abord, l’énoncé est composé d’une seule unité intonative, sans aucune pause. De plus, cet énoncé présente la courbe intonative des demandes de confirmation telles

que décrites par Christophe Pereira qui précise que les yes/no questions se

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