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4. Approche centrée-utilisateur et TAL

4.3. Sémantique Interprétative pour l'approche centrée-utilisateur

4.3.1. Description sémique

Nous ne présenterons pas ici de manière détaillée les différents concepts opératoires de la SI. Nous renvoyons pour cela aux ouvrages de François Rastier (Rastier 1987, Rastier & al. 1994 notamment53).

Simplement nous rappellerons en quoi ces concepts nous intéressent dans le cadre d'une approche centrée-utilisateur en TAL.

La notion de sème est la notion centrale de la sémantique componentielle où s'inscrit la SI. Le sème est défini comme toute paraphrase métalinguistique indiquant un aspect de la signification d'une lexie. Le sème présente plusieurs propriétés qui retiennent notre attention :

• Le sème est une notion générale qui se spécialise en deux notions très utiles d'un point de vue opératoire : les sèmes génériques et les sèmes spécifiques. Les sèmes spécifiques permettent de différencier les lexies au sein d'un même taxème (classe de lexies proches). Ainsi on pourrait dire par exemple que les lexies vélo et mobylette diffèrent uniquement par la présence ou pas du sème spécifique /moteur/. Les sèmes spécifiques apportent une grande finesse de description d'une part de la dimension paradigmatique, et d'autre part de la dimension syntagmatique (comme le montrent notamment l'interprétation des énumérations54). Les sèmes génériques

indexent des lexies proches dans des mêmes champs lexicaux. Nos deux exemples vélo et

53 Nous renvoyons également à un glossaire en ligne des notions de la Sémantique interprétative consultable à l'adresse http://www.revue-texto.net/1996-2007/Reperes/Reperes.html consultée le 7/1/13.

54 Dans l'expression « Vins, bières et boissons non comprises » la lexie boissons se distingue de bières et Vins par un sème spécifique /sans alcool/ (qui ici est contextuellement afférent du fait de l'énumération)

mobylette portent notamment un même sème générique /moyen de locomotion/. Les sèmes génériques repérés dans l'enchainement syntagmatique permettent de dégager les grandes orientations thématiques (c'est notamment ce que montrent les coloriages réalisés avec ThèmeEditor).

• Le sème est une notion simple à appréhender pour un utilisateur qui veut décrire la signification de ses propres termes sans pour autant être linguiste. Il n'en serait pas forcement de même de quelqu'un qui voudrait définir un concept dans une ontologie. Cette simplicité du sème, loin d'en restreindre la portée opératoire, est un argument important dans une démarche centrée- utilisateur où le couplage personne/système passe également par une facilité à maitriser les notions opératoires du système.

• Le sème est une entité linguistique à part entière. On entend par là que la description de la signification est intralinguistique dans la mesure où on décrit le signifié avec du signifiant. C'est un avantage par rapport aux logiques formelles ou aux sémantiques référentielles. Insister sur la nature intralinguistique du signe consiste aussi à réaffirmer l'idée que la signification et le sens n'ont pas de réalisation non langagière.

La description de la signification en sème résulte pour la SI d'un processus de décontextualisation. C'est un principe qui convient très bien à une approche centrée-utilisateur car la description de ressources terminologiques par un utilisateur ne se fait pas sans une justification et un rapport fort à la tâche que doit mener l'utilisateur, c'est à dire à un contexte et un corpus préexistant. La conséquence de ce principe est de considérer le signe comme un passage de texte pris isolément, affirmant ainsi le statut premier de la textualité et de la parole. Par rapport aux approches logico-grammaticales, la logique est renversée car c'est la textualité qui construit les signes et pas le contraire de manière compositionnelle.

Il découle de la notion de sème un concept central de la SI, hérité des travaux de Greimas (Greimas 1966), celui d'isotopie. L'isotopie est également une notion qui s'énonce facilement : c'est la redondance d'un même sème dans une zone de texte. En fonction de la nature du sème qui est récurrent dans la zone de texte, les isotopies peuvent être les isotopies spécifiques, génériques, ou mixtes55 :

• Isotopie spécifique : une isotopie est spécifique quand le sème récurrent est un sème spécifique. C'est le cas de l'isotopie du trait /inchoatif/ dans le vers d'Éluard L'aube allume la source inhérent aux sémèmes 'aube', 'allume' et 'source'.

• Isotopie générique : une isotopie est générique quand le sème récurrent est un sème générique. En fonction du degré de généricité du sème, une isotopie générique peut être microgénérique, mésogénérique ou macrogénérique. Elle est microgénérique si le sème en jeu dans l'isotopie est microgénérique, c'est-à-dire qu'il indexe des sémèmes appartenant au même taxème (c'est le cas de l'isotopie du sème /degré de cuisson/ dans les sémèmes 'bleue', 'saignante', 'à point' et 'bien cuite' de l'énoncé Et l'entrecôte, bleue, saignante, à point ou bien cuite ?). L'isotopie est mésogénérique quand le sème est mésogénérique, c'est-à-dire qu'il indexe des sémèmes appartenant au même domaine (c'est le cas du sème /navigation/ dans les sémèmes 'amiral', 'carguer', et 'voiles' de l'énoncé L'amiral Nelson ordonna de carguer les voiles). Enfin, l'isotopie est macrogénérique quand le sème récurrent est macrogénérique, c'est-à-dire qu'il indexe des sémèmes appartenant à la même dimension (c'est le cas de /animé/ dans les sémèmes 'hérisson' et 'porc-épic' de Le hérisson insectivore n'est pas de la même famille que le porc-épic). Les

55 Les exemples que nous allons donner pour éclairer les isotopies génériques et spécifiques sont extraits de Sémantique Interprétative ([Rastier 87, p. 111-113]).

isotopies génériques sont liées à des paradigmes codifiés en langue. Elle induisent les impressions référentielles. Le coloriage thématique est une mise en évidence des isotopies génériques.

• Isotopie mixte : une isotopie est mixte quand elle n'est ni purement générique, ni purement spécifique tout le long de la chaîne, c'est-à-dire quand le sème récurrent est générique dans certains sémèmes de la chaîne et spécifique dans d'autres. C'est le cas de l'isotopie du sème /qui vole/ dans l'énoncé Le Boeing 747 est un bon avion, qui est générique dans le sémème 'Boeing 747' et spécifique dans le sémème 'avion'.

Plus qu'un constat, l'isotopie est à la base du processus d'interprétation. C'est ce qui lui confère son intérêt dans une démarche de TAL. En effet, interpréter un énoncé consiste à mettre en évidence une ou plusieurs isotopies (un faisceau d'isotopies constituant un fond sémantique). Il y a donc, dans le processus d'interprétation d'un énoncé, un préalable qui consiste en une présomption d'isotopie :

En général, on considère l'isotopie comme une forme remarquable de combinatoire sémique, un effet de la combinaison des sèmes. Ici au contraire, où l'on procède paradoxalement à partir du texte pour aller vers ses éléments, l'isotopie apparaît comme un principe régulateur fondamental. Ce n'est pas la récurrence de sèmes déjà donnés qui constitue l'isotopie, mais à l'inverse la présomption d'isotopie qui permet d'actualiser des sèmes, voire les sèmes. (Rastier 1987, p. 11)

La présomption d'isotopie indique une recherche de cohérence (dans le but d'établir des fonds sémantiques) au cœur du processus interprétatif. C'est particulièrement observable dans le cas des messages obscurs. L'interprétation de messages énigmatiques fait appel à l'isotopie car l'enjeu dans la résolution de l'énigme est de reconstruire une isotopie qui n'apparaît pas lors d'une première interprétation de la chaîne (Mauger 1999). La présomption d'isotopie est ce grâce à quoi l'interprétant entre dans le jeu de l'énigme, en cherchant une isotopie cachée. Les textes non obscurs sont interprétés de la même façon et « fonctionnent » à la façon d'énigmes non énigmatiques (de mêmes que les tropes mettent en évidence les principes de l'interprétation non spécifiques aux tropes).

Chercher à établir une isotopie en concrétisant la présomption d'isotopie, c'est chercher à actualiser des sèmes en contexte (et par conséquence en virtualiser d'autres). C'est notamment ce que nous avons pu étudier dans nos travaux relatifs à la métaphore. En plus des actualisations et virtualisations de sèmes inhérents, l'établissement d'une isotopie peut se faire par afférence d'un sème nouveau au niveau d'une ou plusieurs lexies. C'est l'afférence cotextuelle ou socialement normée :

• L'afférence cotextuelle exprime l'enrichissement d'une lexie par un sème déjà redondant dans la zone de cotexte. C'est par exemple le cas dans le titre du livre de G. Lakoff Women, Fire and Dangerous Things : What Categories Reveal about the Mind (1987) où il y a afférence du sème /dangereux/ (co-occurrent dans Fire et Dangerous Things) au lexème Women.

• L'afférence socialement normée est alors le fait d'une norme sociale partagée au sein d'une communauté linguistique, un topos selon (Raccah 1997). C'est, par exemple, le cas du sème /tristesse/ afférent au sémème 'noir' dans il broie du noir ou encore le cas du sème /bonheur/ dans 'rose' dans la vie en rose.

L'afférence (et à travers l'afférence, l'isotopie) permet d'expliquer des opérations interprétatives fines comme les assimilations (actualisation d'un sème par présomption d'isotopie) et les dissimilations (actualisation de sèmes afférents opposés dans deux occurrences du même sémème, ou dans deux sémèmes parasynonymes ; par exemple il y a musique et musique). Plus généralement les concepts de

diffusion et de sommation (Rastier 2006, pp. 99-114), rendent compte des échanges sémiques entre fonds et formes (la diffusion est définie comme une transformation de formes en fonds et la sommation comme une transformation de fonds en formes).

Ces opérations interprétatives n'ont pas encore fait l'objet de mise en œuvre calculatoire. C'est un objectif à poursuivre dans le cadre d'une approche centrée-utilisateur où la description lexicale et l'analyse de corpus s'alimentent mutuellement dans la tâche de l'utilisateur. Nous suivons en cela les travaux de (Valette 2004) indiquant qu'il y a ici des perceptives pour des descriptions dynamiques du sens.