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1.4 La turbulence interstellaire

1.4.1 Description phénoménologique

Apparition de la turbulence

Rappelons sous forme vectorielle l’équation de Navier-Stokes, ou l’équation de conservation de la quantité de mouvement d’une particule de fluide :

ρ ∂v

∂t + v∇v = −∇P + F + ρν∇2v. (1.16)

La quantité ν est appelée viscosité cinématique. Deux termes expriment le transport de la quantité de mouvement ρv : un terme d’advection non linéaire ρv∇v responsable de l’action de mélange et un terme linéaire de diffusion ρν∇2v qui tend à réduire les gradients de vitesse en la lissant et donc à créer des flots uniformes. Ces deux termes permettent de définir le nombre de Reynolds Re comme le rapport advection/diffusion. Il a été observé expérimentalement une transition d’un régime laminaire à un régime turbulent lorsque le nombre de Reynolds atteint un certain seuil, c’est-à-dire quand le terme de mélange devient très dominant par rapport au terme de lissage. Le régime turbulent se caractérise par d’importantes fluctuations de vitesse à toutes les échelles et par l’apparition de tourbillons.

Il est possible d’obtenir un ordre de grandeur du nombre de Reynolds par un raisonnement dimensionnel, en utilisant les grandeurs caractéristiques du système comme l’échelle l et la vitesse vl : ρv∇v ∼ ρ vlvl l ∼ ρ v2 l l et (1.17) ρν∇2v ∼ ρνvl l2. (1.18)

Ainsi, en reprenant que Re = advection/diffusion, on obtient

Re = lvl

ν . (1.19)

Lorsque ce nombre atteint des valeurs grandes devant 100, on dit que la turbulence est déve-loppée. Cette transition vers la turbulence est observée expérimentalement. Bien que l’équation de Navier-Stokes contienne toutes ces informations, nous ne savons pas en déduire directement comment, pourquoi ni quand elle a lieu. Richardson (1922) puis Kolmogorov (1941) ont donné une description phénoménologique de la turbulence incompressible, outil précieux pour comprendre certains aspects de la turbulence. Elle permet de décrire la turbulence comme une cascade d’éner-gie allant généralement des grandes vers les petites échelles.

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Figure 1.11: Illustration de l’auto-similarité décrite par Richardson (1922) : la structure du milieu est identique à toutes les échelles.

La cascade de Richardson

Considérons un système, soumis à une force extérieure lui fournissant constamment de l’éner-gie à l’échelle l0, dite échelle d’injection d’énergie. Il acquiert une structure spatiale qui peut devenir instable sous l’action de perturbations. L’énergie est transférée d’une échelle à l’autre sans être détruite ni créée : l’énergie se transfère de l’échelle l0 à l’échelle l1 avec l0 > l1 où elle s’accumule jusqu’à ce que le système devienne instable. Il y aura alors un transfert de l’échelle l1 vers l’échelle l2, l1 > l2 et ainsi de suite jusqu’à l’échelle dite dissipative lDà partir de laquelle le terme de diffusion deviendra comparable au terme d’advection et Re ∼ 1. C’est donc à par-tir de cette échelle que les forces visqueuses agissent et dissipent l’énergie reçue provenant des grandes échelles. On nomme zone inertielle la zone comprise entre l’échelle d’injection d’énergie et l’échelle dissipative. Cette cascade d’énergie est à l’origine de l’auto-similarité du milieu soumis à la turbulence : la stucture est statistiquement identique à toutes les échelles comprises entre l’échelle d’injection et l’échelle dissipative. La figure 1.11 en est une bonne illustration, même si les échelles y sont discrètes alors que la cascade d’énergie du milieu interstellaire est continue.

La turbulence développée par Kolmogorov

Je viens de mettre en avant le caractère auto-similaire de la turbulence. Cette description nous amène à supposer qu’il y a invariance d’échelle, ce qui signifie que, dans le domaine inertiel, les propriétés statistiques de l’écoulement sont indépendantes de l’échelle. Il s’agit de la première supposition faite par Kolmogorov pour établir des lois heuristiques. Cela implique que le taux de transfert d’énergie d’une échelle à l’autre  est constant. On supposera aussi que les interactions sont locales dans la zone inertielle, c’est-à-dire que la dynamique d’une échelle l est dominée par celle des échelles de taille voisine.

En repartant de l’équation de Navier-Stokes, on peut montrer que le taux  de transfert d’énergie spécifique entre deux échelles (énergie par unité de masse) de dimension [] = L2.T−3 (L exprime une longueur et T un temps) est indépendant de l’échelle considérée dans la zone inertielle. En effet, en moyennant l’équation de conservation d’énergie (équation de Navier-Stokes multipliée par la vitesse) en régime stationnaire, on obtient que le taux moyen d’injection

d’éner-Log Ek

Log k

kin kd

Figure 1.12: Description du spectre d’énergie en loi de puissance. kinest l’échelle d’injection d’énergie

et kD l’échelle de dissipation. La zone comprise entre kinet kD est la zone inertielle.

gie dans la turbulence est égal au taux moyen de dissipation d’énergie par unité de masse. Nous allons chercher une expression de ce taux en nous basant de nouveau sur un raisonnement di-mensionnel à partir du nombre de Reynolds Re.

Nous avons précédemment défini l’échelle d’injection d’énergie l0. On peut associer à cette échelle une vitesse caractéristique v0. Le nombre de Reynolds intégral est par définition

Re ∼ l0v0

ν . (1.20)

On peut aussi définir le nombre de Reynolds à l’échelle l avec l0> l > lD Relllvl

ν . (1.21)

À l’aide des échelles et vitesses caractéristiques, nous pouvons définir un temps caractéristique, appelé temps de retournement d’un tourbillon à l’échelle l :

τll

vl. (1.22)

Il est aussi possible d’exprimer un temps de dissipation grâce à la viscosité ν τDl

2 D

ν . (1.23)

À l’échelle dissipative, nous avons donc la relation lD

vD l2D

ν . (1.24)

D’après la dimension exprimée précédemment du taux de transfert d’énergie [] = L2.T−3, on peut l’exprimer ainsi

 ∼ l 2 τl3 v2l τlv 3 l l . (1.25)

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 étant une constante, la vitesse vl est reliée à l’échelle l par la relation

vl∝ l1/3, (1.26)

augmentant donc avec l’échelle.

Cette expression nous permet de déduire la loi de Kolmogorov pour le spectre d’énergie. L’analyse se fait dans l’espace de Fourier. On se place donc dans l’espace des nombres d’onde avec k = 1/l. Pour cela, nous définissons le spectre de puissance, caractéristique de la turbulence

P (k) = bA(k) bA(k), (1.27)

avec bA la transformée de Fourier de la fonction A(r) dans l’espace des positions, définie telle que : bA =R eikrA(r)dr et bA son complexe conjugué.

Par convention, on exprime le spectre d’énergie E(k)dk à une dimension. Il est égal à la moyenne du spectre de puissance sur toutes les directions

E(k)dk = P (k)dkDavec D le nombre de dimensions. (1.28) Le terme énergie renvoie par définition à toute quantité au carré, et dans notre cas : E(k).k ∼ v2l. Ainsi, pour le taux de transfert d’énergie :

 ∼ v

3 l

l ∼ (E(k)k)

3/2.k ∼ E(k)3/2.k5/2. (1.29)

Le spectre modal d’énergie cinétique - dans la zone inertielle - s’écrit donc

E(k) ∼ 2/3.k−5/3. (1.30)

C’est la fameuse loi en −5/3 de Kolmogorov. Nous avons vu que E(k)dk = P (k)dkD, donc en trois dimensions : E(k) = P (k).4πk2. Le spectre de puissance en 3D est donc proportionnel à k−11/3.

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