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5. D ISCUSSION 86

5.1 Des sciences participatives ? 86

Novatrice dans le domaine des sciences participatives, l'expérience Foldit bénéficie d'une attention particulière dans la littérature scientifique (Good et Su, 2011 ; Eiben, Siegel et coll., 2012 ; Schrope, 2013). Le fait d’associer une recherche scientifique à un jeu vidéo en ligne – qui d'ailleurs a obtenu des résultats importants pour la science – a apporté au projet une plus grande visibilité dans le domaine. Cette expérience est alors devenue une sorte de modèle pour d'autres projets de recherche scientifique en ligne (Khoury, Liwo et coll., 2014). D'autres équipes de recherche se sont également inspirées de Foldit et ont développé des jeux associés à leurs propres travaux, notamment Eyewire du MIT99 et Phylo DNA du McGill University (Canada). Ceci témoigne d'un changement dans les modalités de production des connaissances scientifiques que l'environnement numérique a rendu possible (Seidel et Wing, 2010 ; Gruson- Daniel, 2014, Cooper, 2011). Foldit s'inscrit de cette manière dans un ensemble d'expériences sur la Toile qui font de la participation en ligne leur principale raison d'être, composant ainsi un contexte qui invite à la participation (Zask, 2011).

Toutefois, les échanges repérés dans Foldit, à l'occasion du New Chapter, nous amènent à nous interroger, suivant le prisme analytique de Zask (2011), sur l'ampleur de sa dimension participative. Il nous faut d'abord souligner que le design du jeu s'est fait à partir d'une approche interactive. Grâce aux commentaires des joueurs, des ajustements ont été fait afin de rendre l'expérience à la fois utile et attirante pour la recherche scientifique (Cooper, Treuille et coll., 2010). Ainsi, les joueurs ont-il été impliqués dans la formulation du projet, ce qui constitue des exigences de base pour une participation pleine dans la perspective de Zask (2011). Néanmoins, ces ajustements sont survenus après qu'un design de base du projet ait été formulé par les experts scientifiques et les développeurs-informaticiens de Foldit (Cooper, Treuille et coll., 2010).

D'autre part, dans le contexte de la mise à jour New Chapter, nous avons réalisé comment certains joueurs ont pu apporter leur contribution à partir de leurs compétences personnelles. Ils ont de cette manière exprimé leurs avis, effectué des essais, et indiqué les résultats obtenus. Les joueurs n’ont évidemment pas tous réagi de la même manière vis-à-vis de l'implantation, certains ont critiqué fortement les conditions de qualité de la mise à jour, d'autres ont même soulevé son impact sur l'aspect ludique de l'expérience Foldit. Cet ensemble de réactions fait partie de la dimension « contribuer » proposée par Zask (2011).

Concernant la dimension « bénéfice » (Zask, 2011) de la participation, certains joueurs mécontents de la baisse de ludisme dans l'expérience se sont opposés au New Chapter. Mais ces mêmes joueurs ont par la suite reconnu l'importance du caractère scientifique de Foldit. Ils ont alors demandé de remettre la mise à jour plus tard, une fois que les multiples bogues qu'ils avaient repéré aient été fixés. L'équipe Foldit a néanmoins décidé de réaliser l'implantation du New Chapter tel qu'ils l'avaient prévue ce qui a engendré le mécontentement de certains joueurs. À cet égard, on réalise que la dimension « bénéfice » des participants ne se limite pas au côté ludique de Foldit. En revanche, elle semble s'étendre au rôle d'acteur-contributeur que l'expérience offre aux joueurs, ce qu'ils expriment dans les entretiens et dans les échanges repérés. En d'autres termes, le bénéfice se traduirait aussi comme la reconnaissance des savoirs, des expériences et de l'engagement des joueurs, et cela même si ces derniers ne sont pas des scientifiques. À ce propos, les circonstances de la mise à jour New Chapter (discussions, demandes, décisions) suggèrent une interruption de cette reconnaissance.

Il faut pourtant souligner que les joueurs ne sont pas un bloc homogène. Il y a des points en commun entre eux, mais aussi beaucoup de différences. Des joueurs ayant bien reçu le New Chapter, ont pu, par exemple, arguer sur la nécessité de privilégier les buts scientifiques du projet plutôt que son aspect ludique. Ceci nous permet de rendre compte de la complexité de l'expérience au moment d'explorer la participation sous les critères de Zask (2011). On constate effectivement à ce sujet la présence de plusieurs « participations », et cela pourrait rendre trop relative l'approche de Zask dans Foldit. Mais il est possible, sous une optique plus large, de repérer une certaine tendance dans l'expérience Foldit. Il faut d'abord rappeler que Foldit fait partie d'une recherche scientifique spécialisée sur les protéines. Cela implique d'une

part, une nécessité de précision particulière (accuracy) qui semble d'ailleurs orienter le projet tel que mentionné par certains interviewés100. D'autre part, cette recherche s'inscrit dans un contexte de compétition et de collaboration, comme en témoignent les rencontres CASP101. Cela dit, même si l'équipe de chercheurs montre une capacité d'ouverture inhabituelle, ainsi qu'une certaine flexibilité vis-à-vis de la contribution des non professionnels ; elle garde tout de même le contrôle de l'expérience.

Le logiciel de base de Foldit est à code source fermé. Certains joueurs ont mentionné avoir demandé à l'équipe de rendre le logiciel « open », ce qui selon eux permettrait de l'améliorer. Mais l'équipe préfère maintenir pour l'instant le statut fermé du logiciel. J'ai souligné par ailleurs, au début de ce mémoire, que le phénomène de la participation sur Internet s'accompagnait d'une prolifération des réseaux moins centralisés, moins hiérarchisés et plus distribués. Cependant, le contexte de participation n'exclut pas les réseaux centralisés. Ainsi, le réseau qui soutient l'expérience participative Foldit est-il davantage centralisé et hiérarchique. L'architecture technique dans laquelle se développe Foldit, s'applique ainsi dans une conception de type serveur-client. Ceci oblige les participants qui veulent partager leurs données à toujours passer par un serveur central, ce dernier étant sous le contrôle de l'équipe Foldit.

Il est important de souligner à ce propos, que cette centralité technique se traduit par un contrôle de l'expérience participative par l'équipe scientifique. À la différence d'une structure peer-to-peer, où les pairs peuvent agir sur le réseau de façon plus libre à partir de n'importe quel point du réseau (Bauwens, 2011), l'expérience Foldit se révèle proche de celle du type crowdsourcing (Wiggins et Crowston, 2011), où les solutions aux problèmes externalisés sont recueillies et administrées par un groupe. Ainsi, outre la solution aux désaccords entre certains joueurs et l'équipe de scientifiques à propos de la mise à jour du New Chapter, l'architecture centralisée de Foldit permet aux chercheurs d'atteindre les buts de leur recherche. Par ailleurs, cette configuration technique n'est pas une particularité de Foldit. En effet, plusieurs projets nommés « science participative » ou encore « citizen science » reposent sur ce type

100 Voir la section 4.1 101 Voir la section 3.1

d'architecture (Eyewire, Phylo DNA, etc.).

Finalement, une discussion des dimensions participatives dans Foldit, à la lumière de l'approche développée par Zask (2011), signale des limitations à ce propos et suggère l'existence de contraintes scientifiques sous-jacentes à ce choix-là. Il reste ainsi à s'interroger sur la pertinence de nommer ces expériences comme sciences participatives ou plutôt sciences collaboratives.

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