• Aucun résultat trouvé

8. Discussion des résultats

8.3. Des pistes à explorer

A partir de la démarche exposée, je suggère un survol éclair de quelques pistes, que j’actualise. Je pense tout d’abord à un enseignement explicite, médiatisé d’une part par des activités en lecture compréhension, selon par exemple le modèle de la grammaire narrative (Bruner, 2002). J’ai appris que le sujet acquiert une représentation du schéma narratif en interaction avec l’objet textuel, autrement dit par la lecture. A cet égard, Bruner93 suggère qu’une réflexion, autour du schéma narratif, permet de différencier grammaire de cas et grammaire narrative. « La grammaire de cas prend en compte les distinctions narratives essentielles comme : ’’Qui a fait quoi à qui, avec quel résultat, dans quel cadre, pendant combien de temps et avec quels moyens’’. Il n’existerait pas de langue qui ne dispose pas de marqueurs de cas pour désigner ’’l’Agent, l’Action, l’Objet, la Direction, etc.… ’’». Bruner use d’ailleurs d’une métaphore pour caractériser la grammaire de cas : « [qui] facilite le récit un peu à la manière dont la pelle et la pioche aident à creuser le sol94 ». La grammaire de cas serait donc l’outil médiateur, « la pioche qui permet de pénétrer dans les structures profondes du récit, là où se loge le schéma narratif ».

La grammaire narrative aurait pour fonction de transfigurer la narration en une histoire

singulière, qui saisit l’action de l’humain dans le temps. Une histoire naît lorsque se produit une inadaptation à l’intérieur du schéma narratif. C’est cette inadaptation, ce trouble, qui fait l’objet de la mise en mots et qui rend compte d’une certaine capacité textuelle. La grammaire narrative viserait donc à rendre compte de ce qui se joue dans cette capacité à dire, se dire, comment le dire, le métaphoriser dans sa propre histoire, dans celle de l’autre.

La grammaire de cas et la grammaire narrative évoquent cette tension entre la structure profonde du récit, la trame, laquelle se verbalise d’abord dans l’extra-langagier et se tisse ensuite en une narration singulière.

93

Bruner, J. (2002 : 48) : Pourquoi nous racontons des histoires ? Paris : Retz.

94

1. Grammaire de cas 2. Grammaire narrative • un agent • une action • un objectif • un cadre • des moyens Enchaînement chronologico-causal

Une histoire naît

lorsqu’apparaît une rupture, symbolisation de l’événement qui émerge à l’intérieur du schéma narratif.

Tableau 32 : Grammaire de cas et grammaire narrative (Brunner, 2002)

Le sujet lisant est donc invité, par une pratique soutenue d’activités de lecture, à articuler les

entités narratives du récit. Lorsqu’il intègre son rôle de sujet écrivant, il est confronté à la nécessité d’induire une rupture, un déséquilibre dans son récit, sans en perdre l’unité. A la fois pour le sujet lisant et écrivant, c’est le statut du schéma narratif, en tant que structure profonde du récit qui est questionnée et à internaliser.

J’explore, comme autres pistes, l’outil didactique de Cèbe et Goigoux (2009), Lector & Lectrix, qui rend possible un travail sur la compréhension en lecture par une déconstruction pensée du texte narratif, permettant de l’appréhender du point de vue du système cohésif ou encore de l’imaginaire des personnages, de leurs pensées, de leurs diverses postures énonciatives et langagières. Il s’agit d’un outil didactique important, dans ma pratique, issu de la psychologie cognitive, que mes élèves actuel-le-s, qui ont entre 13 et 15 ans, expérimentent avec intérêt ; elles/ils sont ainsi invité-e-s à développer une attitude exploratoire, de recherche.

Je citerai encore Ouzoulias (2004) qui dans son dispositif propose de travailler d’une part sur le mode d’apprentissages distribués et d’apprentissages massés et, d’autre part, selon des modules d’approfondissement des compétences en lecture et écriture. Dans ce cadre, le processus de réécritures serait un apprentissage distribué, alors que le système de ponctuation, par exemple, serait un apprentissage massé. Il s’agit néanmoins de penser de façon articulée ces deux modes d’apprentissage afin de leur permettre de s’emboîter progressivement. Les apprentissages massés et distribués me rappellent quelque peu mon dispositif, à la grande différence que le modèle d’Ouzoulias intègre les deux dimensions du langage écrit. En outre, ce chercheur propose dans certaines situations spécifiques de partir de la lecture de textes très courts, de phrases même, avant de progresser vers des tâches de lecture plus complexes. Dans un deuxième pan de son dispositif, il propose de structurer des modules correspondant à des groupes de besoins spécifiques qui sont autant de groupes de projets : « De fait, plus les difficultés des élèves sont profondes et plus la production de textes est essentielle à leurs progrès. Or, pour de faibles ou très faibles lecteurs, le tout petit groupe offre des conditions pédagogiques pour produire des textes. Il serait dommage de ne pas les mettre à profit pour faire écrire abondamment les élèves95. »

En conclusion, mon propos ici n’est pas de présenter les travaux de Cèbe et Goigoux ou d’Ouzoulias, il s’agit simplement d’en rendre compte en tant qu’outils didactiques, qui depuis une pratique de terrain m’invitent à construire, diversifier, enrichir et adapter mon dispositif d’enseignement en fonction du profil cognitif de mes élèves et des objectifs d’apprentissage à atteindre. Je pourrais présenter d’autres modèles, je suis curieuse d’en découvrir de nouveaux dans les mois à venir.

Par ailleurs, comme enseignante, je reste fidèle à Dominique Bucheton grâce à qui j’ai découvert les concepts de processus de réécritures et de sujet écrivant, qui m’ont guidés « avec bonheur » dans ce travail , à Jérôme Bruner, lequel m’a incitée à toujours penser et inscrire un rapport à la culture au centre de mon enseignement, à Serge Boimare, pour le concept de la médiation culturelle qui m’a permis de reconfigurer la place et le travail de la parole en classe, à Michel Fayol pour cette « découverte » du champ de la psycho linguistique, que j’explore avec un vif intérêt, à Emilia Ferreiro pour l’articulation qu’elle propose sans cesse entre «engagement de terrain » et

95

travail de recherche, enfin à Lev Vygotski, dont la lecture m’a éclairée sur la construction des fonctions psychiques supérieures, d’abord dans l’espace intersubjectif et ensuite à l’intérieur , dans l’espace psychique de l’individu, sur les outils issus de la culture à internaliser, sur la zone de prochain développement, sur le langage interne et un prolongement possible soit le brouillon instrumental conceptualisé par Alcorta, en tant que langage pour soi (2002). Par ailleurs, je n’oublierai pas les pages écrites par Vygotski à propos du langage écrit.

Forte de cette expérience, je pense avoir « intrinsèquement » saisi, je le répéterai car c’est pour moi un enjeu fondamental, que dans ma pratique enseignante, il s’agit de faire lien entre les domaines de la lecture et de l’écriture. Par exemple, la complexité du système cohésif est sans doute « à découvrir et construire » dans un rapport étroit, intime et surtout valorisant avec une pratique de la lecture. Je pense que la fonction triadique : sujet- lecture (objet et genre textuels) - écriture est à convoquer autant que possible dans les processus d’apprentissage. Ma conviction acquise au cours de ce travail, qui me mobilise pleinement est que : je n’écris pas si je ne lis pas et je ne lis pas si je ne comprends pas : « Les différences perçues dans les façons de parler permette de souligner l’intérêt de penser le langage, parce que les différences mettent en relief une problématique que les similitudes cachent96 ».

96