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III. RESULTATS

III.3. RESULTATS DE L’ANALYSE QUALITATIVE DU VERBATIM DE LA REUNION DU GROUPE NOMINAL

III.3.1. Des objectifs considérables

La réunion de groupe a mis en lumière trois objectifs considérables, mais non insurmontables, auxquels se heurte la mise en application du dispositif des directives anticipées.

METTRE LA PERSONNE AU CENTRE DE LA DECISION

Les experts ont réinsisté sur le fait que directives anticipées et personne de confiance ont la

même fonction : parler pour le patient quand il ne le peut pas : « Pour moi, les deux sujets me semblent extrêmement liés » (E5). Recueillir les directives anticipées de son patient, c’est donc assurer le respect fondamental de ses volontés : « Et c’est vrai que c’est, la directive anticipée c’est un des droits, tous les droits du patient sont importants mais, celui-là, en est un, particulièrement important » (E2).

Pour que ce droit s’applique entièrement au patient, les directives anticipées devraient être

un témoignage de la personne dans toutes ses dimensions : « Donc, c’est vrai que parler de la directive anticipée sans mettre une partie sur, à la fois, fait religieux ou philosophie de vie, au sens large, peut amener des difficultés. Peut amener vraiment des difficultés » (E2).

En effet, les experts étaient unanimes sur le fait que le formulaire actuel sur le site du Ministère de la Santé est trop rigide et réducteur pour transmettre l’intégralité des souhaits de la

personne : « Mais là, les directives anticipées qu’on a, c’est "Est-ce que vous voulez continuer à être branché ou être débranché ?", en gros, hein ! (E5) Exactement ! Aujourd’hui… (E2) Et c’est ça, la directive anticipée, elle se résume à ça actuellement (E5) ». Ainsi le recueil des directives anticipées doit inclure des formes d'expression libre : « Avec une liberté quand même d’expression d’autres choses qui, qui peuvent venir à la personne et qui peuvent être écrites, là. C’est la seule richesse des directives anticipées » (E5).

Pour garantir au patient d’exercer pleinement son droit, il faut également lui laisser le temps

de dérouler sa réflexion : « Et puis le fait que souvent les directives anticipées se… se mûrissent sur plusieurs temps, dans plusieurs temps de consultation et pas forcément en un temps de consultation » (E4).

Aider le patient à s’exprimer au sujet des directives anticipées va lui permettre de se réapproprier sa propre mort : « "Comment est-ce que je me vois ? Comment est-ce que quand ça va s’arrêter, comment est-ce que je veux être entourée(e) ? Comment est-ce que j’aimerais que ça se passe ?" En restant lucide, hein ! C’est tout le travail des professionnels, de notre expérience, de dire "Bah oui ! Ça se passera pas comme on l’imagine". Mais quand même, y’a

des, des grandes lignes que le patient peut exprimer en étant positif et pas seulement en mettant "Je ne veux pas d’acharnement thérapeutique" » (E4).

Ainsi, le véritable enjeu, par le dispositif des directives anticipées, est de changer de

paradigme du soin pour remettre le patient au centre de la décision : « Alors que la, la mise en place des directives anticipées, c’est un phénomène culturel qui va prendre du temps pour le, le, l’infuser dans nos comportements et pour les professionnels de santé et pour nos patients et pour tout citoyen » (E4).

AFFRONTER LE TABOU DE LA MORT DANS NOTRE SOCIÉTÉ

Les directives anticipées, par les discussions qu’elles suscitent et les sujets qu’elles soulèvent, se heurtent au tabou sociétal de la mort : « Alors nous, on est dans ce milieu-là, donc on, on le connaît, on le vit. Comme je vous le disais, moi ma compagne travaille en réseau de soins palliatifs donc, on en parle tous les jours. Mais le problème c’est sur l’ensemble des […] citoyens. Donc, comment derrière, c’est un vecteur plus large, c’est un débat plus grand, mais, comment on resociabilise cette fin de vie ? Comment on en parle ? Comment on le remet […] sur le sujet ? Moi je le vois quand j’interviens dans d’autres conférences ou autre, qui sont pas sur ces sujets-là, on en est presque sur du tabou. Quand on parle qu’on travaille dans la fin de vie, on dit "Ah bon ! C’est pas déprimant ? C’est pas ci ? C’est pas là ?". Moi chaque fois, à chaque fois que… Je vais vous donner un exemple, pardonnez-moi d’être encore une fois très personnel. Quand ma compagne dit "J’travaille en réseau de soins palliatifs", on lui dit "Mais t’es pas déprimée toute ta journée ?" et qu’elle dit "Non et j’aime mon travail", ça étonne tout le monde. Donc en fait y’a, y’a… Et tout le monde lui dit : "Ah bon !" et tout le monde me dit "Ta compagne, elle est un peu bizarre !" » (E2). Il s’agit en réalité de rendre attrayante une discussion morbide : « Moi, quand j’ai lu le tableau et quand j’suis revenue aux directives anticipées, je me suis dit "Mais c’est affreux !" C’est, c’est, ce sont quelques pages techniques… et, froides et on n’a pas envie de les remplir finalement… (E5) Ah ! C’est pas […] très agréable comme c’est tourné ! Oui ! J’avoue ! (E2) ». Mais cette discussion et cet accompagnement sont nécessaires au patient pour qu’il se réapproprie sa mort : « Pour leur repositionner les directives anticipées dans une maîtrise, en leur proposant d’être… un petit peu plus… de reprendre leur vie en main et d’exprimer leurs désirs concernant leur fin de vie. Hein, en fait, y’a plein de pubs à la télé pour après la mort, mais (E4) Oui, oui (E3) la question qui est taboue c’est avant. Et leur dire "Mais écoutez, votre vie, (E4) Totalement ! (E2) vous ne l’avez pas toujours tout choisie, mais on est là nous, professionnels de santé, on peut vous accompagner

accompagnement de fin de vie" (E4) ». Les directives anticipées sont en effet une occasion d'aborder la mort et de l'accepter, pour le patient comme pour le soignant : « il me semblait que les remarques […] englobaient le fait d’envisager de parler d’accepter la mort, en gros. Et que les directives anticipées intervenaient quelque part dans ce chemin-là, mais que, voilà, l’ensemble des propositions était… avait une visée beaucoup plus large » (E5).

Pour réussir à dépasser cette crainte de parler de la mort, il est donc impératif de sensibiliser

au tabou de la mort dans la formation des soignants : « Dans la première partie "Comment améliorer la formation des professionnels de santé au sujet des directives anticipées ?", il me semblait que les remarques englobaient d’avantage que les directives anticipées, englobaient le fait d’envisager de parler d’accepter la mort, en gros. Et que les directives anticipées intervenaient quelque part dans ce chemin-là » (E5).

Ainsi, faire de l’accompagnement à la rédaction des directives anticipées un acte repérable

permettrait de sortir de l'ombre le dispositif, en le faisant clairement apparaître aux

professionnels de santé : « Je crois que culturellement c’est encore tabou et le fait de la nommer et de la valoriser, ça peut amener quand même… […] à regarder la question en face. Un petit peu comme les examens obligatoires du parcours de l’enfant. On peut mettre ça un petit peu en parallèle » (E4).

AFFRONTER LE TABOU DE LA SPIRITUALITÉ DANS LE SOIN

Un autre tabou étroitement lié aux discussions sur la fin de vie est celui de la spiritualité. Les experts ont convenu que les directives anticipées ne peuvent ignorer les croyances, puisque

celles-ci sont au croisement de la vie et de la mort : « Oui, n’empêche que dans les hôpitaux, y’a des chapelles et des salles de prière. (E5) Totalement ! (E2) Donc, on peut assumer, dans les directives anticipées, qu’y’ait des gens qui soient religieux ou qui aient une spiritualité particulière et ne pas aseptiser la mort comme on… enfin je sais pas pour quelle raison (E5) ». Des patients peuvent exprimer une certaine sensibilité religieuse lors de leur fin de vie : « Et, parfois c’est des choses qui, des gens qui ne se savaient même pas avoir une sensibilité avec le fait religieux et ça revient au moment de la fin de vie » (E2).

Or la laïcité institutionnelle conduit à freiner l'expression libre dans les directives

anticipées : « Mais là, on est sur… nous on a un formulaire technique, hein ! (E5) Très technique ! Très français ! Très républicain ! Purement citoyen ! Ouais ! (Rires) (E4) Très froid, hein ! (E5) Après, c’est vrai qu’y’a, y’a cette sensibilité, comme c’est un document qui va être produit... alors je dis pas la question juridique de, de la laïcité. Mais, y’a cette sensibilité dans ce genre de document "produit Ministère" (E2) ».

De plus, de par sa formation en établissement public laïque et son appréhension à soulever ce

sujet délicat matière à polémique, le soignant est souvent réticent à aborder les croyances

religieuses avec son patient : « Mais je vous avoue c’est une formation, quand je fais le fait religieux en établissement, où, quand je commence ma formation, j’ai 80 % des gens qui n’osent pas parler. Donc c’est intéressant sociologiquement parlant. (E2) Ah ouais ! (E5) Mais c’qui veut dire qu’y’a quelque chose vraiment à… à travailler de ce côté-là (E2) ».

Aussi, la formation des professionnels de santé devrait inclure une sensibilisation au fait

spirituel et religieux : « Mais, mais, dans ces formations, même expliquer, expliquer c’que… les représentations de la mort pour un musulman, pour un juif, pour un protestant, pour un catholique, pour différentes, différentes personnes. L’approche des religions, l’approche, la spiritualité même au sein de la formation, elle me paraît importante. L’aligner sur des principes républicains, enfin c’est toujours quelque chose, moi, qui m’a… extrêmement étonnée, peut- être parce que j’ai vécu aux Etats-Unis quelques temps » (E5).