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Des expériences exigeantes mais heureuses

Dans le document Le bulletin du CRIFPE Sommaire (Page 29-33)

Propos recueillis par Jean-Pierre Proulx

Le programme d’éthique et de culture religieuse (ECR) est expé-rimenté depuis deux ans dans huit écoles primaires et secondaires, publiques et privées, anglophones et francophones. Nous avons recueilli le témoignage de trois artisanes directes de la mise en œuvre de ce programme. Elles travaillent toutes trois en région. Elles rendent compte des grandes exigences du programme, mais aussi de leur satisfaction à l’expérimenter. De son côté, un étudiant à la maîtrise en sciences des religions à l’Université de Montréal livre quelques remarques sur ses observations en classe.

Mme Nathalie Poirier Polyvalente de Pasbébiac

L’école polyvalente de Pasbébiac où enseigne Mme Poirier est située dans la Baie des Chaleurs, dans un milieu socio-économiquement faible. On y compte 300 élèves, tous d’origine canadienne-française et catholique, à quelques exceptions près. Depuis deux ans, elle y expérimente le cours d’ECR en re, 2e et e secondaire auprès de quelque 210 élèves, à raison de 2 périodes réparties sur un cycle de 9 jours.

Mme Poirier n’a pas de formation initiale en enseignement religieux. Ses compétences premières sont en arts plasti-ques et en adaptation scolaire. Mais elle a aussi travaillé auprès des adultes en alphabétisation où elle a développé des aptitudes pour la confection de matériels pédagogiques.

Cela lui a été fort utile puisque les outils didactiques acces-sibles pour l’expérimentation étaient peu développés.

Invitée par l’équipe régionale chargée de l’expérimentation du programme, elle a été au départ quelque peu surprise de la démarche, compte tenu de son absence de formation dans le domaine. Mais elle a été séduite par le programme et particulièrement par son troisième volet, l’apprentissage au dialogue. Elle a vu tout de suite l’impact que cela pour-rait avoir dans sa région compte tenu des deux finalités du programme, soit la poursuite du bien commun et la reconnaissance de l’autre. Elle a constaté par ailleurs que le volet sur la culture religieuse avait beaucoup moins d’attrait pour les adolescents qu’elle accueille dans ses classes.

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Mais le programme a fouetté sa propre curiosité et l’a amenée à se questionner sur les religions. Il faut aussi, précise-t-elle, avoir fait un certain cheminement personnel permettant un recul vis-à-vis de ses propres convictions pour éviter d’être mal à l’aise. Et dans ses rapports avec les élèves, il lui faut être neutre, mais pas détachée. Cela de-mande de la rigueur dans le processus d’accompagnement pour diminuer les tensions et éviter l’anarchie de l’esprit.

Aidée et soutenue par l’équipe du ministère de l’Éduca-tion, du Loisir et du Sport (MELS), Mme Poirier a dû néanmoins beaucoup travailler seule pour se préparer à cette nouvelle tâche et elle a fait ses propres découvertes.

Depuis deux ans, elle a consacré une bonne partie de ses étés à des lectures sur et autour du programme, car elle voulait se sentir à la hauteur des attentes.

Ce qui est difficile sur le plan pédagogique, précise Mme Poirier, c’est l’évaluation, car il faut recueillir des tra-ces de leurs apprentissages. « Je leur demande d’organiser leur pensée et de donner leur point de vue, souvent sous forme écrite, et la plupart de mes élèves n’aiment pas ! » Au surplus, elle se bute à leur manque d’efforts face aux

« petites matières ».

L’autre difficulté, en particulier au regard du volet culturel religieux, est de partir de ce qui est signifiant pour les élèves et de créer des situations d’apprentissage qui les touchent.

Par exemple, Mme Poirier a misé sur l’importance de la chasse pour les parents et élèves de Paspébiac, et a fait des liens avec les spiritualités autochtones. Elle est partie de là pour inviter ses élèves à s’ouvrir davantage à cet univers.

Mais, constate-t-elle, en ce qui concerne le phénomène religieux, le processus d’acceptation s’opère de façon plus lente. Tout est à apprendre. Elle a même observé chez ses élèves la peur qu’on veuille les convertir. Néanmoins, depuis les Fêtes, ceux-ci sont plus réceptifs et malgré quel-ques difficultés, elle demeure tout de même très positive par rapport à l’implantation de ce nouveau programme.

Quant aux parents, rares sont ceux qui ont réagi au programme. Lors de la remise des bulletins, ils s’y sont montrés néanmoins favorables, surtout dans la mesure où le volet du dialogue incite à penser et à interagir avec les autres. Quant au volet culturel religieux, il soulève beaucoup de questions et, admet-elle, c’est parfois diffi-cile. Certains élèves craignent par exemple de perdre leur identité comme catholiques.

Mmes Marie-Josée Mayrand et Nancy Houde

École Plein Soleil de Sherbrooke Mme Mayrand dirige à Sherbrooke l’école Plein Soleil, une toute petite école primaire privée reconnue officiellement par l’Association des écoles internationales. On y dénom-bre quelque 200 élèves.

En mai 2006, elle a reçu un appel du MELS invitant son école à expérimenter le programme d’ECR. « On connais-sait notre dynamisme », ajoute-t-elle fièrement. Le conseil d’administration et les enseignants ont accepté d’emblée.

Tous y ont vu d’ailleurs la cohérence du programme avec leur projet éducatif axé sur l’ouverture au monde et sur l’éthique, dimension sur laquelle l’équipe a déjà beaucoup réfléchi. En septembre 2007, elle s’est dotée à cet égard d’un code applicable à tous.

La directrice insiste aussi sur l’appui que l’école a reçu du Ministère pour la mise en train de l’expérimentation, no-tamment sous forme d’accompagnement des enseignantes.

Car toutes les classes, de la première à la sixième, sont à pied d’œuvre.

L’école s’est empressée ensuite d’enrichir sa bibliothèque d’une série d’albums sur les grandes religions. Au surplus, Mme Nancy Houde, qui enseigne en sixième année, a été rapidement réquisitionnée par le Ministère pour participer au développement de l’échelle des compétences à l’égard des trois volets du programme : l’éthique, le phénomène religieux et le dialogue. Elle participe aussi à la rédaction des « situations d’apprentissage et d’évaluation » (les SAE), ces éléments didactiques qui servent à la mise en œuvre du programme. Quant aux enseignantes, elles travaillent en équipe, insiste la directrice. Elles ont reçu le programme expérimental et, ajoute-t-elle, visiblement fière, elles sont capables, en vraies professionnelles, de se donner les outils didactiques nécessaires. Elles sont sensibles à ce que les situations d’apprentissage suivent un développement progressif tout au long des six années du primaire pour éviter les redondances.

Mme Houde explique par ailleurs qu’à travers ces situations d’apprentissage et d’évaluation, on s’applique à dévelop-per par paires les compétences en éthique et au dialogue ou celles qui sont relatives à la dimension culturelle de la religion et sur le dialogue. Certaines SAE pourraient aussi prendre en compte simultanément les trois compétences.

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Tant Mme Houde que sa directrice sont convaincues que lorsque l’on va découvrir la richesse de ce programme, tous seront stimulés. Au surplus, insistent-elles, ce programme n’est pas fait uniquement pour Montréal où vivent les immigrants, mais pour toute la société québécoise.

Les parents de l’école Plein Soleil ont accueilli très fa-vorablement le programme, d’autant qu’elle offre un programme d’éducation internationale. Sur 125 familles, une seule, de confession baptiste, s’est montrée quelque peu inquiète, mais elle s’est ralliée en constatant qu’il ne s’agissait pas d’endoctriner leurs enfants. D’ailleurs, les enseignants se sont donné une posture d’impartialité.

Pour sa part, Mme Houde est particulièrement consciente des défis que pose ce programme. Elle a d’ailleurs transmis, le 17 mars dernier lors de la rencontre nationale du MELS sur le volet culture du programme, une liste impression-nante des défis que soulève le programme, comme celui

« d’accepter que certains éléments de la compétence ne soient pas développés lors des premières années ou pour tous les élèves » ou encore celui de « demander aux élèves de faire des retours sur leurs apprentissages, leurs démar-ches, les guider dans ce processus et garder des traces ».

L’expérimentation lui a aussi permis de récolter des fruits tels que « découvrir de nouveaux liens entre les matières, les compétences et ainsi pouvoir faire plus d’interdisciplinarité et mieux guider les enfants dans leurs transferts d’appren-tissage ». De même, elle lui a donné « des moyens pour amener les élèves à penser par eux-mêmes, à développer leur esprit critique, leur jugement. »

Mais il est une chose sur laquelle Mme Mayrand et Mme Houde insistent conjointement : il faut se donner le temps de comprendre le programme, de faire des petits pas, de se l’approprier. « En tant que gestionnaire, précise Mme Mayrand, il faut accepter l’incertitude, accompagner les enseignantes et prendre le temps qu’il faut. On l’a fait. » À Québec, le 17 mars, Mme Houde concluait de la même manière : « Le TEMPS, il faut en prendre, en inscrire à votre horaire. C’est essentiel ! »

Sébastien Legros Université de Montréal

M. Legros prépare un mémoire de maîtrise en sciences des religions. Il mène à cette fin une étude ethnographique dans une école de Montréal pour tenter de comprendre comment l’articulation des volets « éthique » et « culture religieuse » au deuxième cycle du secondaire contribue à une gestion pluraliste de la diversité identitaire.

C’est ainsi que depuis l’automne 2007, il s’est retrouvé observateur dans une école secondaire de Montréal, très multiethnique, avec l’accord de l’enseignante chargée d’expérimenter le programme.

M. Legros a particulièrement observé la mise en œuvre des situations d’apprentissage, notamment en ce qui a trait au volet éthique du programme, dans une classe de 5e secondaire. Les jeunes devaient travailler en équipe sur le thème de la tolérance en préparant une présentation sur la question des accommodements raisonnables. Bien que les jeunes aient relevé le défi avec beaucoup de spontanéité et d’originalité, M. Legros a toutefois constaté la difficulté d’une bonne partie d’entre eux de se positionner sur la question. Cette difficulté s’explique par le fait que bien qu’il s’agisse d’une question éthique, la compréhension des accommodements raisonnables nécessite un minimum de connaissances sur le phénomène religieux (p. ex., le kirpan est un objet religieux du sikhisme, et non de l’islam). Aussi, cette confusion autour du religieux rendait la prise de distance critique face aux opinions émises dans différents articles de journaux mis à la disposition des jeunes.

Un bilan provisoire

Le MELS n’a pas encore produit de bilan complet de l’expérimentation qui, d’ailleurs, se poursuit en cette année 2007-2008. Il a néanmoins procédé à une première éva-luation pour l’année 2006-2007. Des élèves, des parents, des enseignants et autres personnels ont été interrogés en petits groupes ou par sondage.

Dans son rapport, le MELS prévient que les observations faites « ne doivent pas permettre de présumer de ce qui se passera quand le programme sera en vigueur dans toutes

1 Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport. (2007). Rapport final. Étude sur l’expérimentation du projet de programme éthique et culture religieuse. Année scolaire 2006-2007. Québec : MELS, Direction de la recherche, des statistiques et des indicateurs en collaboration avec la Direction des programmes.

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les écoles », d’autant que les écoles qui ont participé à l’expérimentation l’on fait volontairement. « Il ne faudra donc pas sous-estimer les difficultés à venir quand il sera question d’une implantation à la grandeur du Québec. » Cela dit, on a noté « un intérêt marqué pour le programme chez les élèves, tant au primaire qu’au secondaire ». Mais on ne saurait dire encore si cet intérêt tient plus du rejet de l’ancien programme que de l’estime pour le nouveau. Chez les enseignants, on a observé aussi « un intérêt élevé pour le programme, mais celui-ci s’accompagne d’un besoin de forma-tion et de matériel portant sur les cultures religieuses. » On qualifie par ailleurs d’« assez positive » l’évaluation des aspects théoriques du programme.

Les parents ont par ailleurs été sondés par un questionnaire postal sur leur intérêt pour le programme. Cependant, 27 % seulement d’entre eux y ont répondu. Une majorité des répondants (64 %) ont déclaré avoir à son endroit un intérêt soutenu (27 %) ou ponctuel (37 %).

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