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Des espaces d’engagement non mixtes (1979-1995)

Dans le document en fr (Page 167-191)

a. La non mixité comme symbole de la continuité

Les mouvements des années 1970 sont marqués par une rupture, par rapport aux mouvements précédents, caractérisés par la domination de l’aile radicale par rapport aux courants réformistes. Dans ce contexte, les associations de la première vague se retrouvent à la marge. La LFDF, dont le journal ne mentionne pas le MLF4, est dissoute en février

1 Laure Bereni, op. cit., 2007(a), p. 143-148.

2 Par exemple, le refus de la hiérarchie et de la structuration cède le pas à la création d’associations formées

autour d’une présidente ou d’une équipe de direction.

3 Sur le mouvement pour la parité, voir Laure Bereni, op. cit., 2007(a). 4 Son dernier numéro est publié en juillet 1971.

163 1980 et fusionne avec le Comité international de liaison des associations féminines1. Quant au CNFF, il s’oppose aux « mouvements féministes extrémistes » des années 19702 et condamne l’avortement3. Se proposant de défendre un « féminisme raisonnable »4, le CNFF s’écarte en fait du champ féministe et devient une coordination des associations féminines qui constituent « l’élite de la société féminine de notre pays »5.

Si le début des années 1980 entérine donc la sortie du champ féministe des associations nées au début du siècle, il est également marqué par de profondes transformations des groupes militants des années 1970. D’abord, la grande majorité des groupes femmes issus du MLF disparaît au tournant des années 1980. En effet, dans un contexte de crise économique et de reflux des mouvements sociaux, les groupes femmes des entreprises ne peuvent se maintenir, tandis que les groupes de parole s’essoufflent, tout comme les groupes MLAC6. De même, la vitalité de la presse féministe dans la deuxième moitié des années 1970 fait place, au début des années 1980, à une crise des publications, souvent contraintes de cesser pour raisons financières7. Enfin, le MFPF, Choisir ou la LDF ne peuvent enrayer la baisse massive et constante de leurs effectifs militants8. En outre,

1 BMD, Dossier LFDF, DOS 396 LIG, Compte rendu de l’assemblée générale du 6 février 1980. 2 Bulletin du CNFF, 1er trimestre 1971.

3 Paralysé dans un premier temps par la règle de l’unanimité des associations membres (Bulletin du CNFF,

1er trimestre 1971), le CNFF adopte finalement une motion en juin 1973 et affirme que l’avortement n’est ni « un moyen normal de limitation des naissances » ni « un moyen de libération de la femme » (Bulletin du

CNFF, 2ème trimestre 1973).

4 Bulletin du CNFF, 2ème trimestre 1975. 5 Bulletin du CNFF, 3ème trimestre 1970.

6 Si la question de l’avortement représente l’élément unificateur des mobilisations féministes entre 1975 et

1979 (Bibia Pavard, op. cit., 2010, p. 609-639), la reconduction définitive de la loi Veil en 1979 et la création, par des médecins, de l’Association nationale des centres d’interruption de grossesse et de contraception (ANCIC) la même année, concourt largement au fort déclin de l’engagement sur la seule question de l’avortement.

7 Parmi les titres nationaux : Les pétroleuses, journal lancé par le courant luttes des classes en 1974, cesse de

paraître après 6 numéros en 1976. Histoires d’elles, diffusé depuis 1977, ne peut aller au-delà du n°22 d’avril 1980, alors que la revue Remue-ménage ne publie que 5 numéros entre mai 1979 et avril 1980. En 1982,

Sorcières, qui existe depuis 1976, et Le temps des femmes, fondé en 1978, sont contraints à l’arrêt. Enfin, La

revue d’en face disparaît à l’automne 1983 après 14 numéros depuis mai 1977. Finalement, seuls Les cahiers

du féminisme, fondés en novembre 1977 et soutenus financièrement par la LCR, continuent de publier (ils cesseront de paraître en 1998). Le même phénomène s’observe en province : Marie Colère, à Grenoble, paraît vers 1978 et cesse en octobre 1979 après 5 numéros. À Toulouse, Différence, publié depuis avril 1979, n’existe pas au-delà du cinquième numéro en mars 1980. Le journal de la Maison des femmes, La lune

rousse, qui prend le relai, disparaît à la fin de l’année 1981. À Besançon, La bulletine Bisontine ne va pas au- delà de son premier numéro de 1980. Le bulletin Femmes info à Marseille, qui apparaît en 1978, est le seul à perdurer, grâce au financement par la municipalité du Centre de documentation et d’information féminin qui édite le bulletin, jusqu’en 2002.

8 Au MFPF, le nombre des adhérents est presque divisé par 2 entre 1974 et 1979, passant d’environ 42.000 à

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certaines militantes s’investissent dans d’autres champs que le champ militant pour défendre le féminisme, à l’image de nombreux-euses militant-e-s des années 1970 qui tentent, lorsque le mouvement s’essouffle, d’intégrer le monde du travail tout en maintenant leur identité militante1. Dès les années 1970, les militantes du groupe Psychanalyse et politique se tournent vers l’édition, en créant une maison d’édition, Les éditions des femmes, et en tentant d’imposer une presse féminine2. D’autres militantes entrent dans le champ académique3, créent des revues scientifiques telles que Les cahiers du GRIF, dès la fin de l’année 19734, Questions féministes lancé en 19775 ou Pénélope, pour l’histoire des femmes à partir de 19796, et se donnent pour ambition de faire émerger « une science féministe »7.

Outre les désengagements, le non renouvellement des militant-e-s et les reconversions du capital militant8 féministe dans d’autres champs, les militantes qui

1975 et Colloques et comptes rendus de bureau, B 02 01, Compte rendu du 15ème congrès, 10 et 11 mai

1980). Choisir, qui aurait compté jusqu’à 10.000 adhérent-e-s et 53 sections (Camille Louvet-Rueff, op. cit., p. 54), aurait perdu les « trois quarts de ses adhérentes » entre 1974 et 1977 d’après les 19 femmes qui démissionnent collectivement de l’association en mars 1977 pour protester contre l’attitude de Gisèle Halimi (BMD, Dossier Choisir, DOS 396 CHO, Lettre des démissionnaires, 8 mars 1977). Quant à la LDF, si nous ne disposons pas de chiffres, elle n’a probablement jamais réuni plus que quelques dizaines de militantes et peine à se maintenir au début des années 1980.

1 Voir par exemple Annie Collovald, « Reconversion et gestion des fidélités : le cas des polars français », in

Sylvie Tissot, Christophe Gaubert et Marie-Hélène Lechien (dir.), Reconversions militantes, Presses universitaires de Limoges, Limoges, 2005, p. 193-199, Érik Neveu, « Trajectoires de ‘soixante-huitards ordinaires’ », in Dominique Damamme, Boris Gobille, Frédérique Matonti et Bernard Pudal (dir.), op. cit., p. 306-318 et Julie Pagis, Les incidences biographiques du militantisme en mai 68, Thèse de Doctorat en sociologie, EHESS, Paris, 2009, p. 445-471 et p. 628-633.

2 Voir Bibia Pavard, op. cit., 2005. La maison d’édition est créée en 1972. Entre novembre 1974 et juin 1976,

les éditions publient Le quotidien des femmes. Elles publient ensuite Des femmes en mouvement entre décembre 1977 et juillet 1982.

3 Sur l’institutionnalisation des études féministes voir Rose-Marie Lagrave, op. cit., 1990 et Claude Zaidman, op. cit. Les trajectoires de ces militantes féministes qui investissent le monde académique grâce en partie à leurs capitaux militants sont similaires à celles des anciens soixante-huitards – ce que sont en outre une partie des féministes universitaires –qui se convertissent aux sciences sociales dans les années 1970 et s’imposent dans le monde académique (Julie Pagis, op. cit., p. 461-471).

4 La revue sera publiée, avec plusieurs interruptions, jusqu’en 1997.

5 La revue se propose d’être « une revue théorique féministe radicale » (n°1, novembre 1977, p. 3) mais cesse

de paraître avec le n°8, mai 1980, suite à des conflits politiques internes. Elle réapparaît en mars 1981 sous le titre de Nouvelles questions féministes. Elle continue de paraître aujourd’hui.

6 Si la revue se donne pour objectif de « ne pas faire une revue académique » (n°1, juin 1979), notamment en

ouvrant les colonnes à des non-universitaires, elle bénéficie cependant du soutien de Paris 7 et s’éloigne peu d’une revue académique. Elle disparaîtra, faute de financement, à l’automne 1985 après 13 numéros.

7 Questions féministes, n°1, novembre 1977, p. 4. Le colloque « femmes, féminisme, recherche » du 17 au 19

décembre 1982 à Toulouse symbolise le début de l’institutionnalisation des recherches féministes et/ou sur les femmes dans le champ académique.

8 « Incorporé sous forme de techniques, de dispositions à agir, intervenir ou tout simplement obéir, il [le

capital militant] recouvre un ensemble de savoirs et de savoir-faire mobilisables lors des actions collectives, des luttes inter ou intra-partisanes, mais aussi exportables, convertibles dans d’autres univers, et ainsi

165 demeurent actives doivent également s’adapter à l’institutionnalisation qui s’accélère avec la création du ministère des Droits de la femme en 19811. En effet, la volonté du ministère de soutenir le mouvement « impose des contraintes organisationnelles (constitution en association loi 1901), mais aussi des contraintes en termes d’agenda et d’orientation idéologique »2 puisque les associations doivent intervenir dans les domaines désignés comme prioritaires par le ministère pour obtenir des financements3.

Au début des années 1980, le champ militant féministe est donc profondément transformé par rapport aux années 1970 et entre dans une phase de « mise en veille »4. Réunies dans quelques associations déclarées en préfecture, financées par l’État et mobilisées pour des luttes segmentées5, les militantes majoritairement issues du militantisme des années 1970 doivent composer avec un nouveau contexte. La « non mixité, donnée fondamentale du Mouvement de libération des femmes »6, devient alors le moyen symbolique – mais aussi pratique – d’inscrire les combats dans la continuité. À partir d’une étude sur un mouvement de femmes dans l’Ohio entre 1969 et 1992, Nancy Whittier a montré comment le maintien de l’identité collective permet d’assurer la continuité du mouvement7. De même, le travail de Verta Taylor a souligné que le maintien de l’engagement au sein d’« organisations dormantes » est rendu possible notamment par

susceptibles de faciliter cette ‘reconversion’ », Frédérique Matonti et Franck Poupeau, « Le capital militant. Essai de définition », Actes de la recherche en sciences sociales, 155, 2004, p. 5-11, p. 8.

1 Sur l’action du ministère, voir notamment Amy G. Mazur, « Strong State and symbolic reform. The

ministère des Droits de la femme in France », in Dorothy McBride Stetson et Amy G. Mazur (dir.),

Comparative State feminism, Sage, Thousand Oaks, Londres et New Dehli, 1995, p. 76-94, Françoise Thébaud, « Promouvoir les droits des femmes : ambitions, difficultés et résultats », in Serge Berstein, Pierre Milza et Jean-Louis Bianco (dir.), Les années Mitterrand. Les années du changement (1981-1984), Perrin, Paris, 2001, p. 567-600 et Sandrine Dauphin, L’État et les droits des femmes. Des institutions au service de

l’égalité ?, Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2010, p. 41-58. Précisons par ailleurs qu’il ne s’agit pas de réduire le processus d’institutionnalisation à l’émergence d’un féminisme d’État, mais de la considérer comme un des traits de ce processus.

2 Anne Revillard, op. cit., p. 189.

3 Ibid., p. 274-277. Sur les relations entre le ministère et le mouvement des femmes, voir également Sandrine

Dauphin, op. cit., p. 45-47.

4 Verta Taylor, op. cit.

5 Certaines militantes agissent contre les violences domestiques (c’est le cas des femmes du centre d’accueil

Flora Tristan, fondé en 1978 par SOS femmes alternative, groupe issu de la LDF à partir de fin 1975), la LDF milite pour une loi anti-sexiste, Choisir entend agir en faveur de l’indépendance économique des femmes et le MFPF en faveur de l’éducation sexuelle et de l’information sur la contraception et l’avortement.

6 BNF, Recueil Groupes de femmes, 4-WZ-13312, Tract « À propos des états généraux mixtes sur les travail

des femmes et les femmes dans le travail, qui auront lieu au mois d’avril… », signé « des femmes re-belles de la coordination des groupes femmes », non daté (début 1982).

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le développement d’une culture spécifique qui crée une forte cohésion interne1. Il semble alors que dans le contexte français des années 1980, la non mixité constitue le ciment principal permettant le maintien de l’identité collective et de la culture féministe. Ainsi, depuis la polémique engagée autour de la manifestation d’octobre 1979, la question est peu débattue parmi les militantes, d’autant que peu d’hommes expriment le désir de s’engager auprès des féministes. La non mixité paraît s’imposer comme une évidence et la création de la Maison des femmes à Paris en 1982 symbolise ce contexte2. Lieu d’accueil, de rencontres et de solidarités pour les associations féministes3 et pour les femmes, la Maison est interdite d’accès aux hommes. « La non mixité et l’autonomie, justifiées par la nécessité qu’ont les opprimés de décider et d’agir eux-mêmes, sont un acquis fondamental de cette période »4 sur lesquelles les militantes ne comptent pas revenir. La campagne publicitaire contre le viol, signée « mouvement de libération des femmes », en juin 1980, qui montre le visage d’un homme masqué par un texte déclarant « Cet homme est un violeur. Cet homme est un homme »5, témoigne de la certitude des militantes de l’impossible participation des hommes à la libération des femmes. Bien que critiquée par des militantes qui rejettent l’essentialisme que sous-tend le texte6, cette affiche a d’abord

1 Verta Taylor, op. cit., p. 243-244. Les travaux de Suzanne Staggenborg ont en outre souligné que les

modalités de maintien de l’engagement féministe entre deux vagues de mobilisation peut s’accomplir par le biais d’activités culturelles féministes : ces pratiques permettent alors aux militantes de maintenir leur identité féministe et constituent un réseau mobilisable lorsque de nouvelles luttes émergent (Suzanne Staggenborg, « Beyond culture versus politics. A case study of a local women’s movement », Gender and

society, 15(4), 2001, p. 507-530). Voir également Jo Reger et Verta Taylor, « Women’s movement research and social movement theory : a symbiotic relationship », Research in political sociology, 10, 2002, p. 85- 121.

2 Des maisons des femmes sont également créées dans d’autres villes en France.

3 Symbole de l’éclatement des luttes féministes, la Maison des femmes regroupe en mars 1983 le collectif de

gestion de la maison, le MIEL (Mouvement d’information et d’expression sur les lesbiennes), le groupe femmes latino-américaines, le GRIEFS (Groupe inter-entreprises pour l’emploi des femmes), le GAMS (Groupe femmes pour l’abolition des mutilations sexuelles), les filministes, Epidémythe (collectif de lesbiennes féministes), les Nanas radioteuses, MLAC, les Mûres (groupe de femmes de plus de 40 ans), le collectif Ruptures, Nouvelles questions féministes, Mignonnes allons voir sous la rose (groupe de femmes du Parti socialiste) et la coordination des groupes femmes (Paris féministes, n°1, mars 1983).

4 Frédérique Vinteuil, « Dix ans de luttes des femmes », Les cahiers du GRIF, 23-24, décembre 1978, p. 24-

28, p. 24. L’autonomie est ici entendue au sens des années 1970 : les luttes féministes ne peuvent se soumettre à aucune autre lutte.

5 CAF, Fonds MLAC, 10 AF 43, Affiche « Cet homme est un violeur. Cet homme est un homme », signé

« Mouvement de libération des femmes », non daté.

6 L’affiche est réalisée par un groupe de militantes « lesbiennes féministes et radicales » en soutien à une

lesbienne victime d’un viol collectif (Michèle Larrouy, « Féminisme/Lesbianisme : refus d’une visibilité politique », in Natacha Chetcuti et Claire Michard, Lesbianisme et féminisme. Histoires politiques, L’Harmattan, Paris, 2003, p. 67-81, p. 72). Elle crée une polémique parmi les militantes et elle est « violemment critiquée, y compris par certaines femmes qui avaient participé à son élaboration, à cause du sexisme qui s’en dégage » (Les femmes s’affichent… op. cit., p. 41).

167 pour fonction de souligner l’existence d’un rapport de pouvoir entre hommes et femmes auquel les individus ne peuvent se soustraire et donc, par ricochet, de signifier la nécessité de la non mixité, les hommes appartenant de manière inconditionnelle à la classe dominante.

b. Inventer les modalités masculines de contestation du patriarcat

Si la plupart des hommes engagés dans les années 1970, notamment dans les combats pour la liberté de l’avortement, quittent donc les mouvements féministes à partir de 1975, quelques hommes souhaitent cependant poursuivre leur engagement. Ils essaient alors d’inventer des lieux de militantisme compatibles avec l’exigence de non mixité des militantes. À la suite des tentatives du début des années 19701, la volonté de réunir des hommes pour réfléchir à la critique féministe réapparaît alors à partir de 19772. En mars 1977, une annonce dans Libération invite des hommes à former un groupe pour écrire un livre similaire à celui du collectif de Boston, Notre corps nous-mêmes3. Dans la continuité des premiers groupes, l’annonce reprend l’idée de dépasser la « virilité obligatoire » dans un lieu « réservé aux mecs exclusivement ». Une vingtaine d’hommes répond à l’appel et un groupe se constitue4. Au mois d’octobre la forme du groupe de parole est arrêtée et le groupe s’unit à un autre groupe de parole parisien qui s’était parallèlement constitué dans le 19ème arrondissement pour former le collectif « Pas rôle d’hommes »5. La démarche s’inscrit clairement dans une perspective féministe de déconstruction des identités sexuées, par des hommes « venus dans un groupe d’hommes par le féminisme »6, comme en

1 Voir chapitre 2, 2.d.

2 Voir Alban Jacquemart, « Quand le militantisme trouble l’identité de genre. L’expérience des ‘groupes

d’hommes’ dans les années 70 », Terrains et travaux, 10, 2006, p. 77-90. Pour d’autres contextes nationaux, on peut se reporter au témoignage d’un groupe britannique (Cambridge men’s group, « Men and change : reflections from a men’s group », in David Porter (dir.), op. cit., p. 121-139) ou au travail d’Helena Hill sur la Suède (Helena Hill, « Political and personnal in the Swedish men’s movement », communication à l’European conference on politics and gender, Budapest, 14 janvier 2011).

3 Collectif de Boston pour la santé des femmes, Notre corps nous-mêmes, Albin Michel, Paris, 1977 [1970].

L’annonce commence ainsi : « On est deux mecs intéressés par une discussion, la plus large possible, sur la perception que les mecs ont de leur propre corps. C’est un peu en réponse au livre du Collectif femmes de Boston : ‘Notre corps, nous-mêmes’ » (cité dans Types, Paroles d’hommes, n°4, mai 1982, p. 6).

4 Ibid., p. 7.

5 Types, Paroles d'hommes, n°1, janvier 1981, p. 73. 6 Pas rôles d’hommes, n°4, sans date (1979), p. 9.

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témoignent la référence au collectif de Boston et le nom choisi pour le collectif. La forme même des groupes n’est pas sans évoquer les groupes de parole du MLF, d’autant que l’objectif semble également similaire : « avec tous ces ‘moi aussi’ on se rendait concrètement compte que ‘le privé est politique’ »1 rapporte par exemple un militant. Les militants de Pas rôle d’hommes découvrent rapidement que d’autres groupes existent en France2 et entreprennent d’organiser une rencontre. Les 25, 26 et 27 mars 1978 à Ris Orangis plusieurs dizaines d’hommes3 se rencontrent et échangent leurs expériences, leurs réflexions et leurs projets. L’enthousiasme gagne les participants le temps d’un week-end et « c’est tout juste si on ne parlait pas d’un ‘mouvement d’hommes’ »4. Mais les projets n’aboutissent pas et Pas rôle d’hommes devient un « collectif fantôme »5 et « décide de s’auto-dissoudre »6. Cependant, des militants parviennent à diffuser quatre numéros d’un bulletin ronéotypé, Pas rôles d’hommes, entre 1978 et 19797. Si le collectif échoue et que le bulletin cesse8, beaucoup des militants ont pourtant toujours la volonté de s’investir pour faire valoir d’autres modèles de masculinité9 et les groupes épars continuent d’exister.

Certains d’entre eux s’engagent en outre dans l’expérimentation de la contraception masculine10 et fondent en octobre 1979 l’Association pour la recherche et le développement de la contraception masculine (ARDECOM), se donnant pour objectifs l’expérimentation, la diffusion et l’information11. Les hommes qui s’aventurent dans

1 Ibid., p. 7.

2 Types, Paroles d’hommes, n°1, janvier 1981, p. 73. Selon les militants, il y avait également des groupes à

Vincennes, Jussieu, Marseille, Toulouse, Montpellier, Brest ou Rouen.

3 Guido de Ridder (op. cit., p. 64) évoque 120 hommes et 20 enfants. Un participant qui propose un compte

rendu quelques jours plus tard note « une centaine » d’hommes (La gueule ouverte, n°205, 5 avril 1978, p. 2).

4 Pas rôles d’hommes, n°4, sans date (1979), p. 1. 5 Ibid.

6 Types, Paroles d’hommes, n°1, janvier 1981, p. 74.

7 Nous n’avons pu retrouver que le numéro 4, non daté, très probablement publié à l’automne 1979. Un

militant par ailleurs confirme qu’il y a bien eu quatre numéros de la revue, tous parus après la rencontre (Types, Paroles d’hommes, n°1, janvier 1981, p. 74). Le bulletin était tiré à 100 exemplaires (Espace-Temps, n°16, février 1982, p. 19).

8 Les responsables du bulletin, d’abord deux puis quatre, expriment dans le dernier numéro leur doute sur

l’utilité du bulletin et leur découragement devant la faible mobilisation des hommes : « quel rôle joue-t-il ce

Pas rôle d’hommes. Celui de moyen de communication à l’intérieur d’un réseau de mecs ? Tu parles. Ce réseau n’existe pas » (Pas rôles d’hommes, n°4, sans date (1979), p. 26).

9 Voir par exemple le texte sur « les bisous » en annexe 8.

10 La pratique de contraception par certains hommes aurait débuté à la suite des journées de Ris Orangis

(Gilbert Cette et Jean-Yves Rognan, « Les groupes d’hommes, réflexions et pratiques », Les temps modernes, n°462, janvier 1985, p. 1305-1321).

11 Archives du MFPF, Associations, A 01 03, Statuts de ARDECOM. Sur l’histoire d’ARDECOM, et plus

169 l’expérimentation de la contraception sont certainement peu nombreux, bien que quelques groupes soient créés en province1, mais la démarche rencontre un certain succès :

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