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Des convergences décisives avec la conventionnalité

B/ La convergence matérielle des compétences, facteur d’interdépendance

1) Des convergences décisives avec la conventionnalité

151 - UNE CONVERGENCE MATÉRIELLE ENTRE CONVENTIONNALITÉ ET CONSTITUTIONNALITÉ – Cela

a été souligné à maintes reprises762

: il existe bien une « identité matérielle et fonctionnelle »763 entre contrôle de constitutionnalité et contrôle de conventionnalité – en particulièrement lorsqu’est en cause la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH). De nombreux auteurs ont ainsi qualifié la conventionnalité de « constitutionnalité indirecte »764

, en raison du fait qu’une loi contraire à une convention internationale méconnaît simultanément l’article 55 de la Constitution qui en prescrit le respect765

. De manière plus générale par ailleurs, il est régulièrement souligné que le contrôle de conventionnalité « s’apparente de très près »766

au contrôle de constitutionnalité – par la confrontation normative à laquelle il donne lieu – au point que l’on parle parfois de « constitutionnalité déguisée »767

. Ce rapprochement entre les deux contrôles n’est qu’une conséquence du fait qu’ils s’exercent « au regard de normes de référence substantiellement comparables, voire identiques »768

, de sorte que la distinction entre les deux devient « perméable »769

.

152 - UNE CONVERGENCE FRAGILISANT LE MONOPOLE DU JUGE CONSTITUTIONNEL – Cette

convergence entre les deux types de contrôle remet directement en cause le monopole, attribué au Conseil constitutionnel, de l’évaluation de la norme législative770

. Désormais les juridictions

762 Pour une présentation générale, v. BROYELLE (C.), La responsabilité de l’Etat du fait des lois, préf. Y. Gaudemet, Coll. « Thèses », L.G.D.J., 2003, spéc. pp. 213 et s. V. aussi : NIBOYET (J.-P.), « La séparation des pouvoirs et les traités diplomatiques », in Mélanges Raymond Carré de Malberg (C. Pfister dir.), Paris, Sirey, 1933, pp. 413 et s. ; ABRAHAM (R.), Droit international, droit communautaire et droit français, Paris, Hachette, 1989, spéc. p. 13 ; LUCHAIRE (F.) CONAC (G.) et PRÉTOT (X.) (dir.), La Constitution de la République française.

Analyses et commentaires, Coll. « Droit », Economica, 3ème éd., 2008, spéc. p. 1119

763 ROUSSEAU (D.), « Vers un ordre juridictionnel européen des droits et libertés », in Conseil constitutionnel et

Cour européenne des droits de l’homme : Droits et libertés en Europe (D. Rousseau et F. Sudre dir.), Coll. « Les

grands colloques », Éditions STH, 1990, pp. 117 et s.

764 RIVERO (J.), « Observations sous CC, n°74-54 DC du 15 janvier 1975 », AJDA, 1975, pp. 134 et s. ; GENEVOIS

(B.), « Note sous CE, Ass, 30 octobre 1989, Nicolo », RFDA, 1989, pp. 824 et s. (spéc. note 10) ; VERDIER (M.-F.), « Le Conseil constitutionnel face au droit supranational : une fragilisation inéluctable ? », in La Constitution

et les valeurs : mélanges en l'honneur de Dmitri Georges Lavroff, Dalloz, 2005, pp. 297 et s.

765 BÉCHILLON (D. de), « De quelques incidences du contrôle de conventionnalité par le juge ordinaire (malaise

dans la Constitution) », RFDA, 1998, pp. 225 et s. ; GOHIN (O.), « Le Conseil d’Etat et le contrôle de la constitutionnalité de la loi », RFDA, 2000, pp. 1175 et s. (spéc. p. 1183)

766 BÉCHILLON (D. de), Hiérarchie des normes et hiérarchie des fonctions normatives de l’Etat, Coll. « Droit public

positif », Economica, 1996, spéc. p. 296

767 KIBOLO ADOM (J.), « Les validations législatives et le contrôle judiciaire de l’opportunité de la loi, note sous

Cass., Soc., 24 avril 2001 », D., n°30, 2001, pp. 2445 et s.

768 LEVADE (A.), « La QPC : perspectives européennes », in La question prioritaire de constitutionnalité (J.-B.

Perrier dir.), Coll. « Bulletin d’Aix – Hors-série », PUAM, 2011, pp. 57 et s.

769 MAGNON (X.), « La question prioritaire de constitutionnalité est-elle “préjudicielle“ ? », art. préc.

770 V. BONNET (J.), Le juge ordinaire français et le contrôle de la constitutionnalité des lois : analyse critique d’un

refus, op. cit., spéc. p. 145 ; VERDIER (M.-F.), « Le Conseil constitutionnel face au droit supranational : une

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administratives et judiciaires « sont juges des mêmes textes (les lois nationales) au même moment

(a posteriori) »771

, de sorte que l’on considère que « le pouvoir de juger la loi est aujourd’hui complètement diffus dans l’ordre juridictionnel »772

. C’est précisément la raison pour laquelle d’aucuns plaidaient pour l’exercice du contrôle de conventionnalité par le juge de la rue Montpensier773

– ou, à tout le moins, pour la réunion des deux types de contrôles entre les mains d’un même juge774

. Or, c’était précisément sur ce monopole du contrôle de la loi que reposait l’argument visant à faire du Conseil constitutionnel « l’interprète ultime » de l’ordre juridique – sa spécialisation fonctionnelle étant employée aux fins de légitimer son pouvoir d’interprétation.

153 - UNE CONVERGENCE FACTEUR DINTERDÉPENDANCE – En réalité, l’évolution actuelle des

rapports entre conventionnalité et constitutionnalité laisse à penser qu’au contraire, la répartition des compétences juridictionnelles favorise l’interdépendance des juges, et donc leur concurrence s’agissant du pouvoir d’interpréter des énoncés juridiques très similaires. Laissant aux juridictions administratives et judiciaires le soin d’exercer le contrôle de conventionnalité, le Conseil constitutionnel prend le risque de voir une partie de son autorité lui échapper, dès lors que toute tentative de « prise de pouvoir » sur celles-ci « pourrait être très efficacement contrecarrée par des jurisprudences portant sur la conventionnalité des mêmes dispositions »775

. La distinction formelle des contrôles induit une forme « d’équilibre de la terreur » entre les juridictions suprêmes. Ainsi, la constitutionnalité peut permettre aux juridictions administratives et judiciaires d’établir un dialogue avec le juge européen et ce, sans que le juge constitutionnel n’en soit l’intermédiaire776

. La procédure de QPC – pourtant instaurée en vue de concurrencer le contrôle de conventionnalité777

– renforce les interactions entre les deux contrôles778

. Elle incite donc le Conseil constitutionnel à tenir

771 LEVADE (A.), « La QPC : perspectives européennes », préc. spéc. p. 58

772 BÉCHILLON (D. de), « De quelques incidences… », art. préc.

773 MAUS (D.), « Nouveaux regards sur le contrôle de constitutionnalité par voie d’exception », in L’architecture

du droit. Mélanges en l’honneur de Michel Troper, Dalloz, 2006, pp. 677 et s. ; ALBERTON (G.), « De

l’indispensable intégration du bloc de conventionnalité au bloc de constitutionnalité », RFDA, n° 2, 2005, pp. 250 et s. ; ALBERTON (G.), « Peut-on encore dissocier exception d’inconstitutionnalité et exception d’inconventionnalité ? », AJDA, 2008, pp. 967 et s.

774 V. ARRETO (M.-C.), « Les rapports de système : retour sur la spécificité française de séparation des contrôles de constitutionnalité et de conventionnalité », Intervention au IXème Congrès français de droit constitutionnel

(AFDC), Lyon, 26-28 juin 2014 (disponible sur www.droitconstitutionnel.org) ; SUDRE (F.), « De QPC en Qpc…

ou le Conseil constitutionnel juge de la Convention EDH », JCP (G.), n° 41, 6 octobre 2014, doctr. 1027

775 WARUSFELL (B.), « Les juridictions suprêmes dans l’ordre interne », in La question prioritaire de

constitutionnalité. Étude sur le réaménagement du procès et de l’architecture juridictionnelle française (E. Cartier

dir.), Centre de recherche Droits et Perspectives du droit, Université Lille II, 2013, pp. 217 et s. (spéc. p. 220)

776 L’utilisation de principes constitutionnels peut ainsi permettre de « neutraliser » les atteintes portées par un texte aux droits fondamentaux, ou encore de réclamer le bénéfice d’une marge nationale d’appréciation. V. LAMY

(B. de), « L’exception d’inconstitutionnalité : une vieille idée neuve », art. préc.

777 V. Rapport AN n°892 sur le projet de Loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Vème République, fait par Jean-Luc Warsmann au nom de la commission des lois, enregistré le 15 mai 2008, spéc. p. 427

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davantage compte du contrôle de conventionnalité exercé en dehors de son prétoire779

, puisqu’elle est déclenchée à l’occasion d’un litige concret, à l’issue duquel la saisine de la CEDH peut tout à fait intervenir. Le Conseil constitutionnel est alors placé dans une situation délicate, car « sa décision sera susceptible d’être immédiatement suivie d’une appréciation de la Cour EDH »780

, de sorte que « sa jurisprudence est placée – de fait – sous la vigilance de la juridiction européenne »781

. Ces difficultés sont d’autant plus vives que s’y ajoutent aussi, désormais, les considérations liées aux effets dans le temps des décisions adoptées par le juge constitutionnel782

.

154 - UNE CONVERGENCE FACTEUR DE CONCURRENCE – La convergence matérielle entre

constitutionnalité et conventionnalité illustre de manière très nette le fait que la spécialisation fonctionnelle des juridictions, en favorisant leur interdépendance, induit leur mise en concurrence. « Le mécanisme est très simple : une Cour, consciente de ce que la solution qu’elle pourrait adopter risque de demeurer en deçà de celle qu’une autre pourrait prendre, préférera faire évoluer sa jurisprudence plutôt que de s’exposer à un désaveu »783

. Les interprètes n’hésiteront pas à modifier la portée qu’ils confèrent à tel ou tel principe, pour « s’aligner » ou « dépasser » la jurisprudence de leurs homologues. Dès lors que les normes de référence sont elles-mêmes en concurrence, leurs interprètes le sont aussi784

. Cette « rivalité mimétique entre les différentes juridictions sur le terrain de la protection des libertés »785

induit une « saine émulation dont a sans doute tout à gagner le

779 MALHIÈRE (F.), La brièveté des décisions de justice (Conseil constitutionnel, Conseil d’Etat, Cour de

cassation). Contribution à l’étude des représentations de la justice, Coll. « Nouvelle bibliothèque des thèses »,

Dalloz, 2013, spéc. p. 463

780 JAURÉGUIBERRY (A.), « Les juridictions suprêmes et le Conseil constitutionnel dans l’ordre externe : la place

ambigüe du droit européen », in La question prioritaire de constitutionnalité. Étude sur le réaménagement du

procès et de l’architecture juridictionnelle française (E. Cartier dir.), Centre de recherche Droits et Perspectives

du droit, Université Lille II, 2013, pp. 221 et s. (spéc. p. 222). V. aussi : JESTAZ (Ph.), Le droit, Coll. « Connaissance du droit », Dalloz, 7ème éd., 2012, p. 66 ; BONNET (J.), Le juge ordinaire français et le contrôle de

la constitutionnalité des lois : analyse critique d’un refus, op. cit., spéc. p. 663 ; PLATON (S.), « Les interférences

entre l'office du juge ordinaire et celui du Conseil constitutionnel : ''malaise dans le contentieux constitutionnel'' ? », RFDA, 2012, pp. 639 et s.

781 MAZIAU (N.), « L’appréhension de la Constitution par la Cour de cassation… », art. préc.

782 Cf. infra § 160

783 BÉCHILLON (D. de), « Cinq cours suprêmes ? Apologie (mesurée) du désordre », Pouvoirs, n°137, 2011, pp. 33

et s.

784 CASU (G.), Le renvoi préalable. Essai sur l’unification préjudicielle de l’interprétation, Thèse [dact.], op. cit., spéc. p. 300 ; THIBAUD (V.), Le raisonnement du juge constitutionnel. Jalons pour une structuration

herméneutique du discours juridique, Thèse [dact.], réalisée sous la direction du Professeur Ph. Blachèr, Université

Lumière – Lyon II, 2011, spéc. p. 299

785 EGÉA (P.), « Les Cours suprêmes, “contre-pouvoirs“ face au Conseil constitutionnel ? », in Question sur la

Question III. De nouveaux équilibres institutionnels ? (X. Magnon, W. Mastor, S. Mouton et al. dir.), Actes du

Colloque organisé à Toulouse le 14 juin 2013, Coll. « Grands colloques », L.G.D.J.-Lextenso, 2014, pp. 167 et s. (spéc. p. 181)

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, qui peut ainsi se tourner vers le juge « le plus offrant »787

. Mais elle rend également caduques les tentatives de légitimation de l’office du Conseil constitutionnel fondées sur la dépréciation du contrôle de conventionnalité exercé par les juridictions de droit commun.

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