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Des cartes planaires avec face marquée aux T-arbres

2.3 Une autre bijection bourgeonnante

2.3.3 Des cartes planaires avec face marquée aux T-arbres

Décrivons maintenant l’application réciproque de Θ, que nous notons provisoire-ment Θ.

Considérons une carte planaire C avec une face marquée χ. Commençons par tracer Cdans le plan de manière à ce que χ devienne la face externe.

2.3. Une autre bijection bourgeonnante 41

Décrivons une itération de la transformation. Considérons E l’ensemble des arêtes incidentes à la face extérieure qui ne sont pas des isthmes. Nous orientons les arêtes de E selon le sens trigonométrique dans la face externe. Pour chaque arête e de E, nous procédons comme suit. Nous notons Iel’ensemble des arêtes e de E telles que e et e

sont incidentes aux deux mêmes faces. (L’ensemble Ieest représenté schématiquement sur la figure 2.11.) Si Ieest réduit à e, alors on coupe e en deux : la première demi-arête (selon l’orientation de l’arête) est un bourgeon, la seconde est une feuille. Si Iea plus de deux éléments, alors la suppression de deux arêtes de Iedéconnecte le graphe. Il faut donc déterminer quelle arête de Ienous allons couper. Considérons la composante de C\Iecontenant la racine et l’arête ˆe qui est l’unique arête de Iequi sort de cette compo-sante. Nous remplaçons ˆe par un couple bourgeon/feuille en respectant cet ordre, en conservant les autres arêtes de Ie.

FIGURE2.11 – En gras : l’ensemble Ie. Nous coupons l’arête qui sort de la composante racine.

Nous répétons la précédente itération jusqu’à qu’il n’y ait plus que des isthmes sur la face extérieure. Autrement dit, nous itérons jusqu’à que nous obtenions un arbre bourgeonnant T . On pose T = Θ(C, χ). Les différentes étapes de cette transformation sont illustrées sur la figure 2.12.

FIGURE2.12 – Les différentes étapes de la transformation Θ. Montrons que nous avons bien obtenu un T-arbre.

Proposition 2.3.2. L’image T par Θ de n’importe quelle carte planaire avec face marquée (C, χ) est un T-arbre.

Démonstration. Les points (i) et (ii) de la définition de T-arbre sont trivialement véri-fiés. Considérons une arête e de T . Appelons S2l’ensemble des sommets du sous-arbre associé à e et S1 le complémentaire de S2 dans T . L’ensemble γ des arêtes de C avec

une extrémité dans S1, l’autre dans S2, est un cocycle de C, c’est-à-dire un ensemble d’arêtes minimal pour l’inclusion dont la suppression augmente le nombre de compo-santes connexes de 1. Notons que seules les arêtes de γ peuvent augmenter ou réduire totale la charge de S2 au cours de la transformation Θ. Itérons le processus jusqu’à qu’une arête de γ soit incidente à la face extérieure. Prouvons alors par récurrence9sur le cardinal de γ que la charge de S2est égale à 0 ou 1.

Si γ a un seul élément, alors il s’agit de e : cette arête est et restera un isthme et la charge de S2est nulle.

Si γ comporte au moins trois éléments, alors exactement deux arêtes de γ sont inci-dentes à la face racine de C, donc appartiennent à l’ensemble E des arêtes inciinci-dentes à la face externe qui ne sont pas des isthmes. Une fois qu’une arête appartient à E, soit elle est supprimée, soit elle devient un isthme. Or ces deux arêtes ne peuvent pas de-venir des isthmes car γ contient au moins trois éléments. Elles sont donc supprimées. En outre, une des deux arêtes est orientée dans le sens S1 vers S2 alors que l’autre est orientée de S2 vers S1. Lors de leur coupure, ces arêtes laissent donc un bourgeon et une feuille sur S2. En conclusion, après une itération, γ perd deux arêtes et la charge de S2 reste nulle. On peut donc appliquer l’hypothèse de récurrence à la carte obtenue après cette itération.

Si γ comporte exactement deux arêtes, alors ces deux arêtes sont incidentes à la face externe et une même autre face. Elles appartient donc à Ie. Comme précédemment, une est orientée de S1 vers S2 et l’autre de S2vers S1. Mais l’arête de Iequi est supprimée est celle qui sort de la composante de C\Ie contenant la racine. Or S2 ne contient pas la racine, donc c’est l’arête qui est orientée de S1vers S2qui est supprimée. L’ensemble S2sera donc muni d’une feuille, sa charge est et restera égale à 1.

Nous avons donc bien prouvé par récurrence que la condition (iii) était vraie. Expliquons rapidement pourquoi Θ et Θ sont deux applications réciproques. On se convainc facilement que Θ ◦ Θ est l’identité. En effet, Θ relie les couples bour-geon/feuille que la transformation Θ a coupés. L’application Θ ◦ Θ est aussi égale à l’identité, mais cela s’avère fastidieux à prouver directement sur les objets combina-toires. Toutefois nous pouvons utiliser un simple argument de cardinalité. Plus préci-sément, comme Θ ◦ Θ vaut l’identité, nous savons que Θ est surjective de l’ensemble des T-arbres à f feuilles et s sommets vers l’ensemble des cartes planaires avec face marquée à f + 1 faces et s sommets. Or d’après la relation (2.3), ces deux ensembles ont même cardinal. Donc Θ est bijective ; les applications Θ et Θsont réciproques.

9. La récurrence porte sur des objets un peu plus généraux que les cartes planaires dans la mesure où des bourgeons et des feuilles sont attachés aux sommets. Quand on parle de "charge d’un ensemble de sommets", on parle de la différence entre feuilles et bourgeons attachés à cet ensemble de sommets.

Première partie

3

Série génératrice des cartes forestières

Introduction

Le chapitre 2 nous a montré que l’énumération des cartes planaires est très bien comprise aujourd’hui. Ce sont deux problèmes plus généraux qui concentrent main-tenant l’attention : l’énumération des cartes en genre quelconque [BC86, CMS09] et l’énumération des cartes munies d’une structure additionnelle. Cette dernière question est particulièrement pertinente d’un point de vue physique ; les surfaces sur lesquelles rien ne se passe ("gravité pure") n’ont que peu d’intérêt. Ont ainsi été étudiées les cartes munies d’un polymère [DK88], d’un modèle d’Ising [Kaz86, BMS03, BDFG05], d’une coloration propre [Tut62], d’un arbre couvrant [Mul67]... En particulier, de nombreux papiers ont été consacrés ces vingt dernières années à l’étude du modèle de Potts sur des familles de cartes planaires [Bax82, Dau, DFEG98, EB99, ZJ00]. Comme nous l’avons souligné dans le chapitre introductif, cela revient à énumérer les cartes planaires pon-dérées par leur polynôme de Tutte.

Olivier Bernardi et Mireille Bousquet-Mélou ont récemment prouvé [BBMon] que la fonction de partition du modèle de Potts était différentiellement algébrique (voir Sous-section 1.1.4). Ceci a été au moins vérifié pour les cartes planaires générales et pour les triangulations. Toutefois, la méthode qu’ils utilisent pour calculer ces équations diffé-rentielles est particulièrement technique et ne met pas en évidence la structure combi-natoire des cartes coloriées. En outre, il semble difficile de trouver par cette approche le comportement asymptotique du nombre de cartes coloriées ou l’emplacement des transitions de phase.

Le but de cette première partie de thèse est de remédier à ces problèmes, du moins pour une spécialisation à une variable du polynôme de Tutte. Cette spécialisation est obtenue en fixant une de ses deux variables à 1. Combinatoirement, nous énumérons tout simplement les cartes munies d’une forêt couvrante, que nous appelons cartes

fo-restières. La série génératrice de telles cartes est notée F (z, u, t), où z compte les faces, u les composantes non racine de la forêt et t les arêtes.

Notre approche est purement combinatoire. Utilisant les théorèmes du chapitre 2, la série F (z, u, t) est exprimée en termes de deux séries R et S, solutions couplées d’un système fonctionnel. Nous exploitons par la suite ce système afin de montrer que F est différentiellement algébrique, consolidant ainsi le résultat susmentionné d’Olivier Bernardi et Mireille Bousquet-Mélou.

Puis, pour u ≥ −1 et t = 1, nous étudions les singularités de F (z, u, t) et le com-portement asymptotique de son n-ième coefficient. Pour u > 0, nous retrouvons le régime asymptotique standard avec un facteur en n−5/2. En u = 0, nous observons une transition de phase avec un facteur n−3. Enfin, pour u ∈ [−1, 0[, nous obtenons un comportement extrêmement atypique en n−3(ln n)−2. À notre connaissance, c’est une nouvelle "classe d’universalité" pour les cartes planaires.

Une grande partie de ces résultats provient d’un article conjointement réalisé avec ma directrice de thèse, Mireille Bousquet-Mélou [BMC13, BMC].

Remarque préliminaire

Nous souhaitons mener l’étude des séries génératrices de différentes classes de cartes (cartes cubiques, cartes tétravalentes, cartes eulériennes, etc.). Afin d’éviter les re-dondances dans les calculs, cette étude s’effectuera dans le cadre général suivant : pour chaque carte planaire enracinée, chaque sommet de degré k est muni d’une variable de poids dk. Plusieurs classes de cartes peuvent être ainsi retrouvées par spécialisation des variables dk. Par exemple, l’ensemble des cartes cubiques est obtenu en posant d3 = 1 et dk= 0pour k 6= 3.

3.1 P

REMIÈRES DESCRIPTIONS

3.1.1 Définition

Considérons une carte planaire enracinée C. On rappelle que S (C) désigne l’en-semble des sommets de C et A(C) l’enl’en-semble des arêtes. Une forêt couvrante de C est un graphe F tel que l’ensemble des sommets soit égal à S (C) et l’ensemble des arêtes soit un sous-ensemble de A(C) ne comportant pas de cycle. Chaque composante connexe de F est un arbre : la composante racine désigne l’arbre contenant le sommet racine. Une arête de C appartenant à la forêt F est dite interne ; à l’inverse elle est dite externe. Tout couple de la forme (C, F ) est appelé carte forestière. La figure 3.1 illustre cette définition. Nous allons étudier la série génératrice F (z, u, t) des cartes forestières, comptées selon le nombre de faces (variable z), le nombre de composantes non racine (variable u) et le nombre d’arêtes (variable t) :

F (z, u, t) = X Ccarte planaire Fforêt couvrante de C   Y k≥1 dsk(C) k  zf(C)ucc(F )−1ta(C), (3.1)