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Chapitre 3 : Partie Expérimentale

I. Etude 1 : Evaluation des capacités attentionnelles et de la mémoire de travail des

4. Discussion

4.1. Des capacités cognitives améliorées chez les personnes aveugles

Dans le test d’attention sélective, les participants aveugles ont obtenu de meilleures performances que les participants voyants : ils ont significativement eu plus de réponses correctes, des temps de réponse significativement plus courts et un nombre de réponses hors délai significativement inférieur. Ces résultats sont en accords avec ceux de plusieurs études de la littérature, dans lesquelles des participants aveugles précoces (Collignon & De Volder, 2009 ; Collignon et al., 2006 ; Després et al., 2005 ; Lerens & Renier, 2014 ; Röder et al., 1999), ou tardifs (Fieger et al., 2006) avaient obtenu des performances supérieures à celles de participants voyants. Dans ces études, les différences significatives observées entre participants aveugles et participants voyants l’étaient uniquement au niveau des temps de réponse (Collignon & De Volder, 2009 ; Collignon et al., 2006 ; Lerens & Renier, 2014) ou du nombre de réponses correctes (Després et al., 2005 ; Fieger et al., 2006 ; Röder et al., 1999), alors que les performances des participants aveugles et voyants de cette étude différaient significativement au niveau des temps de réponse et des réponses correctes, suggérant une meilleure sensibilité du test d’attention sélective utilisé dans notre étude. Cela peut également être expliqué par la taille des échantillons testés. En effet, le nombre maximum de participants aveugles testés dans les études précédemment citées était de douze, alors que soixante- quatre personnes aveugles ont réalisé notre étude. De plus, à la différence de la présente expérimentation, les paradigmes utilisés dans ces études impliquaient un traitement spatial de l’information. Les tests utilisés dans ces études antérieures impliquaient de juger de la

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localisation de stimuli alors que le test que nous avons proposé nécessitait un jugement quant à la catégorisation (lettre ou chiffres) des stimuli. Il est possible que les différences au niveau de l’attention sélective entre les personnes aveugles et les personnes voyantes soient plus prononcées en dehors du traitement spatial.

Dans le test d’attention soutenue, de meilleures performances ont été observées pour les participants aveugles par rapport aux participants voyants. Les participants aveugles ont obtenu significativement plus de réponses correctes, des temps de réponse significativement plus courts et un nombre de réponses hors délai significativement inférieur. Lorsque la tâche a été analysée en trois parties, pour rendre compte de la fluctuation de l’attention au cours du temps, aucun effet de la partie n’a été révélé, quelle que soit la variable dépendante considérée, indiquant que la performance moyenne de l’ensemble des participants ne variait pas au cours du temps. En revanche, pour le nombre de réponses correctes, les temps de réponse et le nombre de réponses hors délai, des interactions significatives entre le statut visuel et la partie de la tâche ont été mises en évidence, suggérant que la partie de la tâche avait tout de même un effet chez l’un des groupes. L’observation des différences de moyennes des scores entre les différentes parties pour chacun des groupes révèle que les participants aveugles (différence de 0,5 point pour les participants aveugles de moins de 60 ans et de 0,4 point pour les participants aveugles de plus de 60 ans) semblent plus constants d’une partie à l’autre que les participants voyants (différence de 1,6 point pour les participants voyants de moins de 60 ans et de 2,8 points pour les participants voyants de plus de 60 ans). Cela est confirmé par un effet du statut visuel significatif pour le nombre de réponses correctes. La fluctuation de la performance est ainsi plus importante pour les participants voyants que pour les participants aveugles, même si l’absence d’effet principal de la partie significatif limite la force de cette hypothèse. Cette étude semble être la première à avoir appréhendé l’attention soutenue des personnes aveugles et à avoir montré qu’elles avaient des capacités plus importantes que les personnes voyantes à maintenir leur attention sur une durée prolongée. En situation de déplacement, il est indispensable pour les personnes aveugles de maintenir leur attention de façon de prolongée, en premier lieu pour leur sécurité (une faute d’inattention peut entraîner un choc ou un chute) mais également pour ne pas qu’elles se perdent.

Dans le test d’attention divisée, les participants aveugles ont obtenu significativement plus de réponses correctes, des temps de réponse significativement plus courts et un nombre de réponses hors délai significativement inférieur par rapport aux participants voyants. En outre, des interactions significatives ont été révélées entre le statut visuel et la condition (tâche principale seule et en même temps que tâche secondaire) pour les temps de réponse et le

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nombre de réponses hors délai, indiquant que la division de l’attention a eu plus d’effet délétères sur la performance des participants voyants que sur celle des participants aveugles. Ces résultats sont en accord avec ceux d’études antérieures de la littérature (Collignon & De Volder, 2009 ; Collignon et al., 2006 ; Kujala, Lehtokoski, et al., 1997) dans lesquelles des participants aveugles précoces ont obtenu des temps de réponse plus courts que des participants voyants dans des tâches d’attention divisée impliquant un traitement spatial.

Pour appréhender la mémoire de travail, une tâche de n-back auditive ainsi que le sous-test Mémoire des chiffres de la WAIS-R (Wechsler, 1955 ; 1981) ont été utilisés. A la tâche de n-back, un effet significatif de la condition a été révélé pour toutes les variables dépendantes étudiées, témoignant de la difficulté croissante des conditions. Un effet du statut visuel a été mis en évidence pour les temps de réponse, indiquant que les participants aveugles ont été plus rapides que les participants voyants. L’étude de Bliss et al. (2004), impliquant également une tâche de n-back, n’a pas donné lieu à des résultats aussi manifestes puisque les participants aveugles et voyants étaient testés soit avec du matériel présentant une familiarité différente pour les deux groupes (lettres en reliefs), soit avec un matériel différent (stimuli composés de caractères en braille pour les participants aveugles et stimuli visuels pour les participants voyants) limitant l’interprétation des résultats obtenus. Concernant le sous-test Mémoire des Chiffres, aucun effet du statut visuel n’a été trouvé pour aucune des variables dépendantes étudiées. Néanmoins, un effet plafond est apparu pour les participants aveugles. En effet, certains d’entre eux n’ont pas échoué à l’un ou aux deux derniers items (onze pour l’empan endroit et six pour l’empan envers), ils auraient pu continuer et potentiellement obtenir un score moyen supérieur, alors que pour les participants voyant, cela n’est arrivé qu’une fois (pour l’empan endroit). En outre, une interaction significative entre le statut visuel et l’ordre de l’empan a été révélée et indique que les différences entre la taille de l’empan endroit et celle de l’empan envers sont plus importantes pour les participants voyants que pour les participants aveugles. Cela suggère, même si cela ne peut pas être confirmé en raison de l’absence d’effet principal du statut visuel, que les participants aveugles ont moins eu de difficultés pour la réalisation de l’empan envers que les participants voyants. Cela serait cohérent avec les résultats de Dormal et al. (2016) et Ruggiero & Iachini (2010). Dans leur tâche d’empan tactilo-spatial (adaptation tactile de la tâche des blocs de Corsi), Ruggiero & Iachini (2010) n’avaient, comme dans la présente étude, pas trouvé de différence significative entre des participants aveugles précoces, aveugles tardifs ou voyants pour l’empan endroit. En revanche, pour l’empan envers, une différence significative avait été mise en évidence entre les participants aveugles tardifs et les participants voyants (alors que la performance des participants aveugles précoces était intermédiaire à celles des deux groupes,

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sans toutefois différer significativement de celle de l’un ou de l’autre groupe). Au contraire, la tâche d’empan complexe proposée par Dormal et al. (2016) a révélé une performance significativement supérieure des participants aveugles précoces sur les participants aveugles tardifs et voyants. Ainsi, les résultats de notre étude indiquent une supériorité de la mémoire de travail des personnes aveugles (précoces et tardives) par rapport aux personnes voyantes, en particulier au niveau de l’administrateur central.

En ce qui concerne la flexibilité, testée dans cette étude à l’aide d’une adaptation de la tâche du plus-minus en modalité auditive, aucune différence significative entre les participants aveugles et les participants voyants n’a été mise en évidence. Étant donné qu’aucune autre étude ne semble avoir appréhendé la flexibilité des personnes aveugles, permettant de contredire ou corroborer notre résultat, il semble difficile de conclure que cette absence de différence significative soit due à une absence de différence de capacités de flexibilité entre les personnes aveugles et les personnes voyantes. Il est possible que le test du plus-minus ne soit pas assez sensible pour détecter une différence entre des populations qui ne présentent pas de troubles cognitifs spécifiques. Cette hypothèse semble être également confirmée par les autres analyses statistiques menées dans cette étude : aucun effet significatif de variables inter-individuelles (même l’âge, alors que la flexibilité décline au cours du vieillissement ; Collette & Salmon, 2014) n’a été trouvée sur le coût de flexibilité à la tâche. Ce manque de sensibilité peut être lié au caractère prévisible de l’alternance entre les additions et les soustractions. En effet, les tâches de flexibilité dont l’alternance est prévisible sont moins sensibles à l’effet de l’âge que celles dont l’alternance n’est pas prévisible (Kray, Li, & Lindenberger, 2002). Ainsi, bien que la flexibilité des personnes aveugles doive être évaluée à l’aide d’une autre tâche, plus complexe, pour compléter ces résultats, cette étude a l’avantage d’être à notre connaissance la première tentative de mesure de ce processus chez cette population.

Concernant l’inhibition, aucune différence significative n’a été révélée entre les personnes aveugles et les personnes voyantes au niveau des variables dépendantes au test de Hayling. Cette absence de différence pourrait être liée au choix du test qui n’est peut-être pas assez spécifique. En effet, il est probable que la performance à ce test soit liée à l’étendue de vocabulaire des individus, comme le suggère l’effet significatif du niveau de scolarité qui a été trouvé lorsque les performances des participants aveugles ont été analysées séparément. Une autre façon d’appréhender l’inhibition est d’observer le nombre de fausses alarmes obtenues dans les autres tâches. Dans les trois tests d’attention, aucune différence significative au niveau du nombre de fausses alarmes faites par les participants aveugles et voyants n’a été observée. Ce résultat est similaire à ceux obtenus pour les tâches d’attention

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sélective et divisée des études de Collignon et al. (2006 ; 2009). En revanche, dans la tâche de n-back, un effet significatif du statut visuel sur le nombre de fausses alarmes et une interaction significative entre statut visuel et la condition ont été trouvés, indiquant que le nombre de fausses alarmes était significativement plus important pour les participants voyants que pour les participants aveugles, en particulier dans les conditions les plus difficiles. Cela suggère qu’il y a une différence au niveau de l’inhibition entre les personnes aveugles et les personnes voyantes mais qui ne peut être mise en évidence qu’avec des tâches de complexité importante.

En conclusion, notre étude a permis de montrer que les personnes aveugles (précoces

et tardives) ont des capacités d’attention sélective, soutenue et divisée (en dehors du domaine

spatial) et des capacités de mémoire de travail (notamment au niveau de l’administrateur

central) supérieures aux personnes voyantes en l’absence d’amélioration des temps de

réponse simples ou de différences au niveau du fonctionnement intellectuel (mesuré avec

l’échelle verbale de la WAIS-R). En revanche, aucune différence n’a été révélée entre les personnes aveugles et les personnes voyantes pour les capacités de flexibilité et d’inhibition.

Cette expérimentation consolide et complète les résultats obtenus dans des études antérieures en proposant une évaluation systématique d’un ensemble de processus cognitifs.

4.2. Des effets de facteurs inter-individuels sur les