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SUR LA DEMANDE DE MESURES CONSERVATOIRES

Dans le document Décision 11-D-05 du 23 février 2011 (Page 31-35)

175. L’article L. 464-1 du code de commerce dispose : « L’Autorité de la concurrence peut, à la demande du ministre chargé de l'économie, des personnes mentionnées au dernier alinéa de l'article L. 462-1 ou des entreprises et après avoir entendu les parties en cause et le commissaire du Gouvernement, prendre les mesures conservatoires qui lui sont demandées ou celles qui lui apparaissent nécessaires. Ces mesures ne peuvent intervenir que si la pratique dénoncée porte une atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs ou à l'entreprise plaignante. Elles peuvent comporter la suspension de la pratique concernée ainsi qu'une injonction aux parties de revenir à l'état antérieur. Elles doivent rester strictement limitées à ce qui est nécessaire pour faire face à l'urgence ».

1. LES MESURES CONSERVATOIRES DEMANDÉES

176. Accessoirement à sa saisine au fond, Outremer Telecom demande à l’Autorité de la concurrence d’enjoindre aux membres du consortium :

« de suspendre tous les accords relatifs à la mise en œuvre du Consortium le temps que (i) Outremer Telecom ait pu avoir communication des éléments sur la bases desquelles son adhésion au Consortium pourrait être réalisée et (ii) ait pu présenter sa candidature dans un délai de vingt jours ouvrés à compter de la date à laquelle elle aura eu communication de l’ensemble des éléments pour ce faire ;

de modifier la procédure d’adhésion au Consortium afin de permettre une adhésion de nouveaux membres sur une base objective, transparente et non discriminatoire et d’examiner toute candidature sur la base de cette procédure modifiée ;

de communiquer à Outremer Telecom l’ensemble des éléments lui permettant de présenter sa candidature de manière éclairée au regard des droits et obligations qui pèseraient sur elle en sa qualité de Membre du Consortium, et notamment :

la version actuelle de l’ensemble des accords relatifs au financement, à l’exécution et à la mise en œuvre du Consortium (C&MA, convention d’interopérabilité du câble LION2 avec le câble LION, contrats de fourniture des infrastructures et équipements, etc.) ;

le montant des investissements demandés à chacun des membres du Consortium et leur justification ;

les conditions tarifaires et techniques d’accès au câble LION réservées aux membres du Consortium ;

la capacité qui pourrait être allouée à Outremer Telecom sur le câble LION2 compte tenu de son investissement ; ainsi que

l’ensemble des décisions ayant été, à ce jour, arrêtées par les membres du Consortium dans le cadre du projet LION.

de diffuser, dans les mêmes formes et selon les mêmes modalités que les communiqués de presse afférents à la constitution du Consortium, un communiqué de presse relatif à la décision prononcée par l’Autorité et présentant les mesures qui auront été imposées. »

2. SUR LA GRAVITÉ ET LIMMÉDIATETÉ DE LATTEINTE

177. L’un des principaux arguments avancés par Outremer Telecom pour justifier le prononcé de mesures conservatoires par l’Autorité repose sur le fait que sa pérennité sur les marchés de détail de la téléphonie mobile et de l’accès à Internet haut débit serait compromise. Elle invoque à cet égard le dépositionnement tarifaire et le retard qu’elle subirait dans le lancement des offres de communications électroniques en raison de sa non-participation au consortium.

178. Outremer Telecom fait en outre valoir qu’il en résulterait un affaiblissement grave de la pression concurrentielle sur les marchés concernés, en particulier à Mayotte, ce qui désavantagerait les consommateurs.

179. France Télécom et SRR estiment tout d’abord qu’aucune urgence ne peut être caractérisée étant donné que le câble LION2 ne sera pas mis en service avant le premier semestre 2012.

180. SRR et France Télécom soutiennent ensuite qu’Outremer Telecom ne démontre nullement l’existence d’un préjudice grave qu’elle subirait du fait des pratiques prétendument mises en œuvre par les membres du consortium.

181. Elles considèrent en effet qu’Outremer Telecom n’est pas fondée à invoquer un quelconque risque d’éviction, puisqu’elle sera en mesure de fournir des offres de détail par le biais des offres de gros qui lui seront proposées par les membres du consortium, comme elle le fait d’ores et déjà à La Réunion. Quant au dépositionnement tarifaire invoqué par Outremer Telecom, à le supposer avéré, France Télécom et SRR estiment qu’il ne résulterait pas du refus qui a été opposé à sa demande d’adhésion, mais d’offres de gros de la part des membres du consortium qui ne seraient pas acceptables. En tout état de cause, le manque à gagner qui en découlerait ne suffirait pas à caractériser une atteinte grave et immédiate au sens de la jurisprudence applicable.

182. Enfin, s’agissant de l’argument tiré de l’affaiblissement de la pression concurrentielle sur les marchés concernés, France Télécom et SRR font notamment observer qu’Outremer Telecom ne fait que rapporter leurs parts de marché actuelles sur les marchés de détail de la téléphonie mobile et d’accès à Internet haut débit et n’a mené aucune analyse prospective sur ces marchés.

183. A titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, s’il importe que dans certains cas l’Autorité de la concurrence puisse intervenir en « gelant » une situation afin d’éviter qu’une pratique très vraisemblablement anticoncurrentielle porte une atteinte immédiate et difficilement réversible, ou même irréversible, au mécanisme concurrentiel, il n’en reste pas moins que l’utilisation de cette faculté d’intervention doit rester subordonnée et proportionnée à l’urgence qui commande une telle intervention.

184. En effet, les mesures conservatoires que peut prononcer l’Autorité de la concurrence ne visent pas à prévenir un risque de perturbation potentielle du jeu concurrentiel, mais ont vocation à répondre à une atteinte existante, grave et immédiate par des mesures d’urgence nécessaires pour éviter des conséquences difficilement réversibles et préserver ainsi la

pleine effectivité de l’application du droit de la concurrence dans l’attente de la décision au fond.

185. Il convient d’ajouter également que, si la régulation ex ante mise en œuvre par les autorités sectorielles a vocation à fixer des règles censées éviter la commission de pratiques anticoncurrentielles, les autorités de concurrence ne sanctionnent qu’ex post de telles pratiques passées ou existantes. Les mesures conservatoires prononcées par l’Autorité de la concurrence ne visent pas à encadrer de manière générale le comportement des opérateurs, mais à faire face à une atteinte grave et immédiate résultant de la mise en œuvre d’une pratique spécifique à un moment donné et sur un marché précis, dans des circonstances particulières.

186. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier, au stade auquel se trouve son instruction, qu’Outremer Telecom s’est vu proposer de participer au consortium LION2 lors de la conclusion du MOU en février 2010, proposition qu’elle a déclinée de son propre chef en raison notamment de l’absence de visibilité sur les conditions d’accès au câble LION1 dont bénéficieraient les membres du consortium. L’atteinte dont l’entreprise se prévaut résulte donc, en partie, de son propre comportement. C’est un premier élément qui doit être pris en considération dans le cadre de l’examen de la demande de mesures conservatoires.

187. En deuxième lieu, il convient de relever que le déploiement rapide du câble sous-marin LION2 est en soi un élément d’animation concurrentielle du secteur des communications électroniques dans la zone Réunion – Mayotte, et ce quels que soient les acteurs responsables de ce projet industriel.

188. En effet, la mise en service de ce câble dans les délais impartis permettra de disposer dès le premier semestre 2012 de nouvelles capacités sur les marchés de gros. Dès lors, tout retard pris dans les travaux de construction du câble LION2 serait préjudiciable au secteur.

189. Or, l’entrée d’un nouvel opérateur dans le consortium LION2 entraînerait la suspension des accords relatifs à la mise en œuvre du consortium et, partant, des délais supplémentaires : en particulier, les contrats conclus avec les entreprises tierces pour la fourniture et la pose du câble sous-marin ainsi que la fourniture de l’ensemble des composants électroniques nécessaires à son fonctionnement (répéteurs, systèmes WDM, etc.) devraient être soumis à l’examen du nouvel entrant, qui peut les remettre en cause, et le budget redéfini.

190. Ce n’est donc que dans l’hypothèse d’un risque sérieux d’éviction de l’un des acteurs, comme l’entreprise saisissante, des marchés de détail de la téléphonie mobile ou de l’accès à Internet haut débit dans la zone Réunion – Mayotte qu’une intervention immédiate de l’Autorité pourrait conduire, après avoir mis en balance les risques, à redéfinir les conditions dans lesquelles a été formé le consortium, avec les inconvénients rappelés dans les paragraphes précédents.

191. Or, l’appartenance au consortium LION2 n’apparaît pas, en l’état, constituer une condition d’accès aux marchés indiqués plus haut. En effet, les opérateurs qui n’ont pas souhaité ou ne sont pas en mesure de partager les risques financiers de la construction du câble LION2 devraient avoir la possibilité de louer des capacités de gros auprès des co-investisseurs.

192. Au stade des mesures conservatoires, il convient par conséquent – et c’est le troisième point à prendre en considération – de souligner l’importance pour Outremer Telecom de disposer – au moins – d’un accès à des capacités de gros à des tarifs accessibles et non discriminatoires pour ne pas être pénalisée dans son métier d’opérateur de téléphonie mobile et d’accès à Internet haut débit dans la zone Réunion – Mayotte.

193. L’Autorité prend, à cet égard, acte des engagements formulés par France Télécom et SRR qui ont déclaré en séance qu’elles proposeraient des offres de gros dès que les conditions de défiscalisation seront connues.

194. Ainsi que l’a elle-même indiqué SRR, lors de cette même séance, pendant les premières années de mise en service du câble LION2, le coût annuel supporté par un opérateur tiers au titre de la location de capacités devrait d’ailleurs être moins élevé que celui supporté par chacun des opérateurs membres du consortium, sous réserve du montant des frais de maintenance facturés en sus de la location.

195. En l’absence d’offres de gros ou dans l’hypothèse où les conditions de fourniture de ces offres ne seraient pas jugées acceptables par Outremer Telecom, celle-ci disposera, sans préjudice de l’instruction des dossiers soumis à l’Autorité de la concurrence, de la faculté de saisir sans délai le régulateur sectoriel en application de l’article L. 36-8 du code des postes et des communications électroniques.

196. Dans le cadre de son pouvoir de règlement des différends, l’ARCEP a la possibilité de préciser les conditions équitables d’ordre technique et financier dans lesquelles l’accès aux capacités sur le câble LION2 devra être assuré. Il est vrai, ainsi que l’a rappelé l’ARCEP lors de la séance, que celle-ci ne pourra pas imposer au cas d’espèce le principe d’une orientation vers les coûts. Mais elle sera néanmoins guidée par les objectifs généraux de régulation définis au II de l’article L. 32-1 du code des postes et des communications électroniques, parmi lesquels figurent :

– « l’exercice au bénéfice des utilisateurs d’une concurrence effective et loyale entre les exploitants du réseau et les fournisseurs de services de communications électroniques ;

le développement de l’emploi, de l’investissement efficace dans les infrastructures, de l’innovation et de la compétitivité dans le secteur des communications électroniques ;

la définition de conditions d’accès aux réseaux ouverts au public et d’interconnexion de ces réseaux qui garantissent la possibilité pour tous les utilisateurs de communiquer librement et l’égalité des conditions de la concurrence ;

l’absence de discrimination, dans des circonstances analogues, dans le traitement des opérateurs. »

197. De telles conditions, s’agissant des offres de gros faites à Outremer Telecom, devraient permettre d’éviter que les tarifs de ces offres soient de nature à l’évincer des marchés de détail ou hors de proportion avec les prix habituels du marché de gros.

198. Enfin, France Télécom a précisé en séance que les engagements auxquels elle devra souscrire si son investissement bénéficie du dispositif de défiscalisation lui seraient

« opposables » dans le cadre de la procédure de règlement des différends.

199. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, aucune atteinte grave et immédiate à la situation de la saisissante ou à la concurrence dans la zone Réunion – Mayotte ne peut être caractérisée.

200. En l’absence d’atteinte grave et immédiate à l’un des intérêts protégés par l’article L. 464-1 du code de commerce, il y a donc lieu de rejeter la demande de mesures conservatoires présentée par Outremer Telecom.

DÉCISION

Article 1 : La demande de mesures conservatoires présentée par la société Outremer Telecom, enregistrée sous le numéro 10/0087 M, est rejetée.

Article 2 : Il y a lieu de poursuivre l’instruction au fond de la saisine enregistrée sous le numéro 10/0086 F.

Délibéré sur le rapport oral de Mme Frédérique Laporte, rapporteure, et l’intervention de M. Sébastien Soriano, rapporteur général adjoint, par M. Bruno Lasserre, président, président de séance, Mme Elisabeth Flüry-Hérard et M. Patrick Spilliaert, vice-présidents.

La secrétaire de séance, Le président,

Marie-Anselme Lienafa Bruno Lasserre

Autorité de la concurrence

Dans le document Décision 11-D-05 du 23 février 2011 (Page 31-35)

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