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Peut-on prévoir la prochaine flambée d’arbovirus ? Malheureusement non, il est pratiquement impossible de savoir quelle sera la prochaine menace, d’où elle viendra et quand elle frappera. La modélisation de l’évolution des virus grâce aux mathématiques permet d’apporter des réponses et de rationaliser les actions de santé publique. Cependant, le hasard dans cette problématique est un facteur non négligeable. Par exemple, la flambée de chikungunya à la Réunion fin 2005 était due à une évolution du virus qui l’a rendue capable d’être véhiculé par un nouveau moustique l’Ae. albopictus. De la même façon, si l’épidémie de 2005-2006 était imprévue, celle annoncée par les chercheurs en 2007 n’a jamais eu lieu (106). Les virus à ARN sont particulièrement imprévisibles en raison de leur adaptation, de leur évolution rapide et des interactions complexes qu’ils ont avec différents acteurs. L’épidémie du virus Zika

76 aurait-elle pu être prédite ? Probablement non, vu le peu de connaissance que nous avions sur ce virus. Au mieux, la prédiction aurait pu porter sur le risque relatif d’une épidémie d’un virus portée par Aedes. La modélisation se base généralement sur la prédiction des conditions favorables à la transmission du virus. La plupart du temps, les études sont dépendantes d’un seul virus mais certains analysent les virus portés par Aedes comme un ensemble (Zika, chikungunya, dengue). Il est difficile de prévoir la prochaine épidémie du virus Zika car beaucoup de paramètres restent encore inconnus (période d’incubation chez Aedes, durée et ampleur de la virémie, compétence du vecteur, circulation résiduelle du virus, contribution de la transmission sexuelle). Bien que les virus diffèrent sur de nombreux de points, la circulation endémique des quatre sérotypes de la dengue depuis plusieurs décennies sur le continent américain suggère qu’il en sera de même pour le virus Zika dans un futur proche (107). On peut également se baser sur la vague qu’a suivi le chikungunya dans les caraïbes et en Amérique Latine. Sa détection dans les caraïbes fin 2014 avait été suivie par un pic épidémique l’été suivant. Certains pays d’Amérique Latine n’ont pas encore atteint leur pic épidémique de maladie à virus Zika, ce qui pourrait mener à une nouvelle épidémie bien plus importante. L’immunité contre le virus créée lors des précédentes épidémies pourrait bloquer les suivantes, le temps qu’une nouvelle génération n’ayant jamais croisé le virus ne vienne remplacer l’ancienne. La possibilité d’une grande épidémie en Asie et en Afrique est limitée en raison de la circulation ancienne du virus, la population n’est donc pas naïve comme elle l’était en Amérique. En Europe de l’Ouest, la présence du vecteur compétent pendant les saisons chaudes augmente le risque de cas autochtones isolés.

Une meilleure compréhension des processus sous-jacents favorisant l'apparition de maladies infectieuses peut mener à une amélioration de l'état de préparation à des épidémies dans les populations humaines et animales. De façon peu surprenante, l’apparition accrue d’infections virales est parallèle au progrès médical, vétérinaire, technologique et scientifique, stimulé par notre combat sans fin contre les maladies infectieuses. Un investissement pour une meilleure compréhension des interfaces humaines-animales pourrait nous donner une longueur d’avance dans cette guerre. Nous avons des connaissances limitées sur la façon dont les multiples espèces d’arbovirus, dispersées par le même vecteur, circulent dans les mêmes zones et interagissent entre eux (virus Zika, dengue, chikungunya, fièvre jaune), au sein des populations de moustiques ou d’hôtes animaux. De plus, des programmes de surveillance complets aidés par des technologies de pointe et des outils de diagnostic performants dans les régions du monde qui en ont le plus besoin, représentent une des bases essentielles des programmes de préparation. Arriver à prévenir l’infection à la source et la notion de « One

77 Health » constituent les prochains challenges à court terme pour parvenir à minimiser une prochaine flambée épidémique.

L’expansion des arbovirus tel que le chikungunya, la dengue et le virus Zika est principalement due à l’expansion de leurs vecteurs dans de nouvelles zones, en particulier Ae. albopictus et

aegypti. Celle-ci est facilitée par différents facteurs et notamment le changement climatique.

La température est en effet connue pour jouer un rôle dans la survie du moustique adulte, notamment dans sa réplication virale et dans la période de transmission (92). L’augmentation des températures due au réchauffement climatique peut augmenter le potentiel de survie et/ou de migration des vecteurs dans des zones encore non-endémiques, en dehors des tropiques. En se basant sur des projections à long terme de la pression moyenne atmosphérique, du changement climatique et de la population, Hales et al. ont prédit qu’approximativement 50 à 60% de la population mondiale vivrait dans des zones à risque de transmission de la dengue en 2085 contre 30% en 1990 (108). Cependant, le changement climatique ne fait pas tout, des chercheurs ont prouvé qu’en Australie, l’augmentation du risque d’expansion d’Aedes était davantage imputable à l’installation de containers d’eau à usage domestique face à la sècheresse de leur région qu’au climat en lui-même (109).

Malheureusement, il y aura toujours un prochain nouveau virus…. Le principal problème lié à toutes les maladies « négligées » est le manque d’infrastructures et de système de santé efficients pour lutter contre ces maladies infectieuses. La solution à long terme ne serait-elle pas de renforcer ces systèmes pour une lutte coordonnée de toutes les maladies ? Des épidémies ou des catastrophes peuvent affecter un pays à n’importe quel moment causant inévitablement des pertes humaines et économiques. Les systèmes de santé qui ne sont pas prêts à faire face à ce genre de situation laissent les populations d’autant plus vulnérables. Il y a souvent un manque de personnels de santé qualifiés, d’infrastructures, de logistique, d’information, de surveillance, de gouvernance et de circuit du médicament efficace. Un système de santé fort diminue la vulnérabilité d’un pays face à un risque de santé et lui assure d’être préparé pour étouffer n’importe quelle situation. Trop souvent, les gouvernements ou les partenaires externes ne se focalisent que sur la maladie infectieuse et sur le moyen de diminuer sa transmission et ses conséquences. Cependant, cette réponse est insuffisante. Même dans l’endroit le plus affecté, les patients ont besoin des soins les plus basiques, services qui sont, le plus souvent, encore plus affaiblis par la crise. Les populations qui transitent dans les endroits déclarés libres de la crise surchargent les systèmes de santé qui ont déjà du mal à assumer leur population locale. En d’autres mots, davantage de personnes pourraient mourir d’un disfonctionnement général du système de santé que de l’infection

elle-78 même. Les gouvernements doivent, assistés par des partenaires externes, développer et mettre en œuvre des stratégies pour renforcer leur système de santé et son adaptabilité. Le développement de vaccins contre les arbovirus est la nouvelle priorité en matière de recherche. Les vaccins existant contre d’autres Flavivirus (fièvre jaune, encéphalite japonaise, infection à virus West Nile, dengue) ont permis de lancer rapidement la fabrication de candidats vaccins contre le virus Zika. On note plusieurs technologies utilisées, comme des vaccins ADN codant pour des protéines de surface du virus, des virus inactivés, des virus vivants atténués chimériques avec les virus de la dengue ou de la fièvre jaune, ou encore des vecteurs viraux exprimant des antigènes du virus Zika. L’objectif du vaccin, selon l’OMS, est de prévenir la transmission materno-fœtale du virus et ses conséquences. Il a donc pour but de réduire la virémie et non d’empêcher l’infection. Contrairement au virus de la dengue, le virus Zika ne présente qu’un seul sérotype et ne nécessitera donc pas d’élaborer plusieurs cibles. Un vaccin double dengue-Zika est en cours de développement, il combinerait un vaccin de la dengue déjà en phase clinique III avec un vaccin chimérique Flavivirus contre le virus Zika (107).

Ainsi on peut constater que des progrès ont été accomplis sans que toutefois tous les objectifs aient été atteints.

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CONCLUSION

L’Organisation Mondiale de la Santé a une structure verticale : elle est dirigée par les pays pour guider ces mêmes pays. Dans ce sens, ce système pose des problèmes en termes de juridiction et de gouvernance. L’Organisation se veut chef de file des ripostes aux urgences sanitaires, cependant elle est dépendante de la coopération des pays, tant au niveau des ressources financières que matérielles. Sa structure en trois niveaux : siège, région et locale, lui permet en théorie d’être proche des populations et d’activer une action mondiale et coordonnée. La crise Ebola a révélé que l’OMS n’avait pas les capacités pour répondre à une crise de grande ampleur. Sa culture et sa structure ne permettant pas une intervention efficiente sur le terrain, elle s’est trouvée de ce fait largement dépassée. La mise en route tardive de l’aide internationale venant des pays a aggravé la situation. Ebola est l’épidémie qui a amené le monde à prendre conscience que les maladies infectieuses restaient un problème mondial dont chacun est responsable. Le nombre de morts, ainsi que les critiques des ONG, en ont fait une crise bien plus sanitaire et humanitaire que financière, contrairement à l’épidémie H1N1.

La réponse de l’OMS face au virus Zika reste discutable mais montre d’indéniables progrès en matière de crise sanitaire. Cependant, elle a révélé des failles sur le rôle de leader de l’Organisation, notamment en ce qui concerne les recommandations faites aux femmes enceintes. Cette crise, qui s’est avérée être moins sérieuse que prévue, a permis de tester les programmes créés à la suite de l’épidémie d’Ebola et qui seront évalués et améliorés pour des prochaines plus grosses épidémies. Prédire les risques d’une épidémie reste toujours aventureux. Ainsi, sur-réagir à une crise est toujours mieux ressenti que l’inverse. Cependant, dans la crise Zika, alors que les risques sont encore mal connus, à aucun moment l’OMS ne restreint la circulation des voyageurs ou des biens. Le RSI, en stipulant que l’OMS doit éviter

« de créer des entraves inutiles au trafic et au commerce internationaux » limite largement son

champ d’action. La place de l’OMS implique que toute action soit guidée par une stratégie politique fine : aussi bien la décision de déclarer l’USPPI que celle de maintenir les JO. Les décisions de l’OMS sont influencées par les pays concernés et, dans ce contexte, notamment par le Brésil. La lutte contre le virus Zika au long terme a été intégrée aux différents programmes existants, ce qui montre une fois encore qu’un renforcement des systèmes de santé serait susceptible d’étouffer en partie une prochaine flambée.

L’OMS ressort de ces deux crises avec des programmes remodelés : le programme de préparation et de riposte aux situations d’urgence, le programme R&D Blueprint et celui de

80 lutte antivectorielle. Les pays quant à eux ne sont pas encore tout à fait prêts à lutter contre une potentielle nouvelle épidémie. Ainsi, il reste encore beaucoup de travail pour que la pyramide s’inverse : les pays doivent prendre conscience qu’ils sont le moteur de la préparation et de la riposte aux urgences et doivent mettre en œuvre les politiques adéquates. L’OMS, quant à elle, doit pouvoir s’appuyer sur les pays pour être un coordinateur efficace de la Santé mondiale. Les maladies infectieuses ne s’arrêtent pas aux frontières et sont en constante évolution, raison pour laquelle les pays n’ont d’autre alternative que de travailler ensemble et de s’entraider.

Plus généralement, l’épidémie du virus Zika a mis en lumière que le monde n’était pas prêt à lutter contre de nouvelles maladies émergentes. La recherche est essentielle pour comprendre et anticiper les menaces potentielles à défaut de les prédire. Cependant des actions coordonnées entre les différents secteurs professionnels peuvent aider à atténuer l’expansion des maladies vectorielles. Une avancée sur un vaccin qui protègerait idéalement contre plusieurs Flavivirus permettrait de contenir un temps la menace. Le manque de financement est au cœur de chaque problématique, les acteurs n’investissant pas les ressources nécessaires pour que les organisations partenaires de cette lutte puissent répondre aux futurs défis.

Les virus restent l’un des plus grands prédateurs de l’Homme. Une lutte en chassant une autre, nous serons malheureusement toujours confrontés à de nouvelles épidémies. Cependant, nous pouvons, de notre côté, évoluer pour nous y tenir prêts.

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ANNEXES

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Annexe 2 : Rapport du Directeur général de l'OMS à la Session extraordinaire du Conseil