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DE LA SATISFACTION A L’INSATISFACTION PROFESSIONNELLE

De la satisfaction à l’insatisfaction professionnelle

Plusieurs questions ont clairement un caractère d’évaluation de la satisfaction professionnelle des surveillants. Il s’agit tout d’abord de la question qui demandait si on conseillerait à des membres de sa famille ou à des amis d’entrer dans l’AP. Il est clair que si on est insatisfait de sa situation on ne conseillerait pas cette entrée. La pente était nettement descendante en 2007 mais une majorité continuait à conseiller l’entrée dans l’Administration Pénitentiaire (AP). En 2018, la majorité s’est très nettement inversée : 7 surveillants sur 10 ne conseillent plus d’entrer dans l’AP.

Tableau XIII :

Conseilleriez-vous à des membres de votre famille ou à des amis d’entrer dans l’administration pénitentiaire ?

N = 213 % Janv. 1993 Sept. 1993 1994 1995 2007 2018

Oui 86 80 70 67 55 29

Non 14 20 30 33 43 71

Graphique 5 :

Conseilleriez-vous à des membres de votre famille ou à des amis d’entrer dans l’administration pénitentiaire ?

Janv. 1993 Sept. 1993 1994 1995 2007 2018 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 Oui Non

A l’entrée et à la sortie de l’Énap, les élèves peuvent difficilement se déjuger quant à leur choix tout récent d’entrer eux-mêmes dans l’AP. Aussi répondent-ils massivement de façon positive à la question (80%). En revanche, dès la rencontre réelle du terrain et au fur-et-à-mesure que le temps passe, dès la titularisation, ces réponses positives diminuent de façon continue et assez spectaculaire avec une large majorité qui estime, après 25 ans d’ancienneté, que l’entrée dans l’AP n’est pas à conseiller à l’entourage familial et amical. On peut penser que la satisfaction dans le travail a été faible dans la dernière période puisque l’écart est de 25 points entre 2007 et 2018 et que, là encore, ce sont des formes de verdict et de bilan professionnel qui se formulent. On remarque que les raisons d’entrer ne font plus varier significativement les réponses positives ou négatives à cette question.

A la seconde question de satisfaction : si c’était à refaire présenteriez-vous aujourd’hui le concours de surveillants. Désormais une majorité de 54% répond par la négative. La chute est aussi forte avec le temps que pour la question précédente (de l’ordre de 25 points) et on assiste, là encore, à une nette et progressive inversion de tendance en fin de carrière.

Tableau XIV :

Si c’était à refaire, présenteriez-vous aujourd’hui le concours de surveillant ?

N = 210 % Sept. 1993 1994 1995 2007 2018

Oui 89 90 85 71 46

Non 11 10 15 29 54

*La question n’était logiquement pas posée à l’entrée

Graphique 6 :

Si c’était à refaire, présenteriez-vous aujourd’hui le concours de surveillant ?

0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 Sept. 1993 1994 1995 2007 2018 Oui Non

Les réponses à cette question-bilan de satisfaction, qui appelle un jugement, une évaluation des surveillants interrogés sur leur choix de passer le concours et finalement des conséquences de la réussite de ce concours sur la vie au moment de l’interrogation, ne varie pas significativement selon les raisons pour lesquelles on est entré. Malgré le faible nombre de femmes, on observe une corrélation intéressante et significative (p*=0,05) : les femmes répondent presque toutes (8 sur 10) qu’elles présenteraient de nouveau le concours alors que les hommes répondent majoritairement le contraire (52%).

A partir de ces deux questions nous avons construit une échelle de satisfaction. Ceux qui sont pleinement satisfaits, qui représentaient encore tout juste la moitié de l’effectif 14 ans après l’entrée à l’Énap, se réduisent, en 2018, au quart de la cohorte. Une majorité a répondu non aux deux questions (ils ne repasseraient pas le concours si c’était à refaire et ne conseilleraient pas à un ami ou un membre de leur famille d’entrer dans l’AP) et sont donc pleinement insatisfaits et 23% « moyennement satisfaits ». Tableau XV : Échelle de satisfaction N = 209 % Sept. 1993 1994 1995 2007 2018 Satisfaits 77 69 62 52 26 Moyennement satisfaits 8 22 11 22 23 Insatisfaits 15 9 27 26 51 GRAPHIQUE 7 : Échelle de satisfaction 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 Sept. 1993 1994 1995 2007 2018 Satisfaits Moyennement satisfaits Insatisfaits

Nous disposons pour cette sixième vague d’une nouvelle question de satisfaction empruntée à une enquête menée en population générale sur le « bonheur au travail » en France (cf. Baudelot et Gollac, 2003 : 133-162) ; la question est la suivante :

Tableau XVI :

Seriez-vous ou auriez-vous été heureux que l’un(e) de vos enfants s’engage dans la même activité que vous ?

% sur les exprimés (sauf ensemble BaT) Ensemble Enquête BaT* Sous-ensemble employés du public Enquête BaT Ouvriers qualifiés de l’industrie Enquête BaT Surveillants 2018 (n=192) Oui 35 28 19 18 Non 65 72 81 82

*BaT : Enquête Bonheur au travail (Baudelot et Gollac, 2003)

Moins d’un surveillant sur cinq répond positivement. Situons ce score au regard des autres catégories socioprofessionnelles appréhendée par l’enquête en population générale menée au début des années 2000. Les surveillants sont positionnés parmi les niveaux les plus bas, bien en-deçà de la moyenne (35%), bien en-deçà également du sous-ensemble des employés du public qui ont répondu positivement pour 28% d’entre eux. Avec 82% de réponses négatives, notre cohorte de surveillants atteint les scores des chauffeurs (78%), des employés de commerce (80%) ou des ouvriers qualifiés de l’industrie (81%), sans aller, néanmoins, jusqu’aux niveaux les plus hauts atteints par les ouvriers non qualifiés (90%) ou les salariés du secteur des services aux particuliers (92%). L’enquête montrait que plus on s’élève dans la hiérarchie sociale, plus on souhaite que ses enfants exercent le même métier que soi.

Si on construit à nouveau une échelle en ajoutant cette question aux deux précédentes, on obtient quatre niveaux divisibles en deux blocs :

- près de trois-quarts de surveillants insatisfaits ou peu satisfaits (51% insatisfaits avec trois réponses négatives, 22,7% peu satisfaits avec deux non et un oui, soit 73,7%).

- un peu plus d’un quart de satisfaits ou plutôt satisfaits (17,7% satisfaits avec trois réponses positives et 8,6% plutôt satisfaits avec deux oui et un non, soit 26,3%).

En 2007, la satisfaction était corrélée avec les raisons d’entrer mais la satisfaction se détériorant, le fait d’être entré pour des raisons utilitaristes ou par hasard ne fait plus varier significativement le niveau de satisfaction alors que ceux qui répondaient « par hasard » étaient nettement les plus « insatisfaits ». A contrario, on continue de constater une insatisfaction plus faible chez les quelques-uns qui sont entrés pour des « raisons professionnelles », mais les tests ne sont pas significatifs : l’insatisfaction professionnelle s’est généralisée quelle que soit la raison pour laquelle on considère être entré 25 ans après.

En 25 ans, la satisfaction au travail s’est effondrée au point qu’une majorité des surveillants est devenue pleinement insatisfaite. On peut penser qu’il s’agit d’une usure professionnelle au travail assez progressive qu’il conviendra de mettre en relation par la suite avec d’autres éléments, notamment le rapport au métier et ses règles professionnelles, les relations entretenues avec la hiérarchie et l’administration pénitentiaire en tant qu’organisation employeuse, ou encore les relations entretenues avec les détenus. Mais en fin de vie professionnelle, les réponses aux questions posées peuvent aussi se lire comme des verdicts énoncés sur son métier à une période où le retrait de l’activité est relativement proche. Georges Benguigui, au cours de l’enquête sur le « monde des surveillants de prison » au début des années 1990 avait assisté à un pot de départ à la retraite d’un surveillant, celui-ci avait notamment dit à ces collègues lors des remerciements qu’il leur adressait pour le cadeau qu’il venait de recevoir de leur part : « je n’ai jamais aimé ce métier ».