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C. Du vote en direct au clic : un renforcement de l'imaginaire de « l'interactivité »

1. De la notion d’interactivité à celle de conversation

Même si la télévision est construite sur un modèle asymétrique : la diffusion de l’information étant contrôlée du côté du média et à direction du public, les médias ont progressivement installé des voix de retour comme le standard téléphonique ou le courrier des lecteurs. Ainsi, il est important de préciser que les volontés d’intégrer la parole des téléspectateurs au sein des programmes n’est pas un phénomène nouveau.

Sur les réseaux sociaux, cette volonté d’intégration se manifeste grâce à de nouvelles possibilités techniques. Les internautes peuvent laisser des commentaires, « liker » des publications ou exprimer des avis au travers d’un clic. Pour Serge Proulx et Michel Senecal, la notion « d’interactivité » se définit comme « une relation instrumentale entre l’homme et des

machines asservies à sa demande d’information »79. En matière de communication, l’interactivité

est vue comme une norme idéale à atteindre car une possibilité d’impliquer l’internaute sur les plateformes numériques dédiées aux programmes télévisuels. Par exemple, ces publications sur Facebook avec comme titre : « PRENEZ LE CONTRÔLE : choisissez la prochaine danse de

Artus et Marie » (figure 13) ou encore l’affichage du terme « REAGISSEZ » sur un visuel de

l’émission The Voice mis en ligne (figure 14).

79 PROULX Serge, SENECAL Michel, L’interactivité technique, simulacre d’interaction sociale et de démocratie ?, In : TIS, Volume 7, Numéro 2, Année 1995, p.240

Figures 13 et 14 : Publications sur les pages Facebook de The Voice et Danse avec les stars.

Source : facebook.com

En réalité, quelle place est laissée au lecteur et quelle est sa capacité d’écrire ? Afin de comprendre de quelles manières l’expérience spectatorielle est mise en scène sur les réseaux sociaux, il est nécessaire de voir quel rôle est attribué à l’internaute et d’évaluer sa capacité d’écrire. Si l’on tente de réaliser l’expérience qui est proposé, on peut remarquer que son espace d’intervention est très restreint. Lorsque l’on nous demande de choisir les danses du prochain prime de Danse avec les stars, en réalité, nous ne pouvons qu’exprimer notre choix entre deux danses et deux musiques déjà présélectionnées (figure 15).

Ainsi, la promesse exprimée à travers les accroches publiées sur Facebook n’est pas entièrement respectée. L’interactivité fait croire au récepteur qu’il occupe la place importante de protagoniste et le statut de participant à l’écriture du programme. Pour Yves Jeanneret et Emmanuel Souchier :

« le média informatisé peut créer une illusion de manipulation du contenu chez l’utilisateur qui pourrait se croire créateur de sens »80. Plusieurs signes sont mobilisés pour donner l’impression que l’internaute a le contrôle sur les publications. Pour Eléni Mitropoulou les sites dits « interactifs » des médias traditionnels comme MyTF1, bénéficient des plans d’expressions très animés afin de constituer des espaces privilégiés d’expression pour l’internaute. Mais en réalité, ce ne sont fondamentalement que des lieux d’archivage81.

Pourquoi utiliser cette notion d’interactivité ? Parce qu’elle possède un imaginaire et un désir fort autour des valeurs de nouveauté, de liberté et d’émancipation du téléspectateur. Ce terme fait l’objet d’une appropriation de la part des professionnels de la communication afin de renvoyer vers cet imaginaire. Les publications diffusées par les équipes en charge de la stratégie digitale de la chaîne participe à nourrir un désir projeté sur les individus qui composeraient l’audience. À travers leur participation sur Internet, ils deviendraient des acteurs de la culture tout en restant public. Les écrits d’écran seraient l’illusion d’une approche plus active de la culture par ceux qui ne l’ont pas faite. En effet, c’est la chaîne qui garde le privilège de la diffusion du contenu et qui trace les propositions d’itinéraires sur ses propres plateformes numériques.

L’utilisation d’illustrations visuelles et de textes appelant plusieurs actions de la part des internautes peuvent nous donner une impression de dialogue. Ainsi, plutôt que de parler « d’interactivité », il serait plus judicieux de développer l’idée de « conversation » autour du contenu médiatique. Pour Valérie Patrin-Leclère, la conversation est une représentation de la communication au sein de laquelle le destinataire est susceptible d’interagir82. À travers la possibilité de diffusion des commentaires, les réseaux sociaux sont favorables au développement de conversations autour des programmes. Libres, mouvantes et parfois imprévisibles, c’est aux médias de chercher à les intégrer dans leur propre système d’énonciation. Pour Yoann Robert, il

80 JEANNERET Yves, SOUCHIER Emmanuel, L’énonciation éditoriale dans les écrits d’écran, Communication & langages, numéro 145, collection « Armand Collin », 2005, pp.3-15

81MITROPOULOU Eléni, Média, multimédia et interactivité : jeux de rôles et enjeux sémiotiques, Th : Actes Sémiotiques, Université de Limoges, Année 2007

82 PATRIN-LECLERE Valérie, La communication revisitée par la conversation, Communication & langages, 2011 pp.15-22

est nécessaire de fournir du contenu divertissant afin de générer une discussion positive sur les réseaux sociaux : « notre travail c’est vraiment de positiver la discussion. Mon métier est

d’envoyer du contenu positif à propos du programme afin d’en faire parler mais dans le bon sens »83. Ainsi, parler de « conversation » pour caractériser les échanges en ligne autour des

contenus médiatiques reste un terme à prendre avec précaution. En effet, la conversation est une action naturelle qui s’associe avec les idées d’oralité et de proximité entre les participants. Or, sur les plateformes numériques appartenant à la chaîne, elle est orchestrée par les émetteurs. La conversation est encadrée, orientée et surtout modérée par les administrateurs qui s’occupent des réseaux sociaux.

En apparence, la participation du public sur les publications Internet est spontanée et à l’initiative des internautes. En réalité, elle est impulsée par la chaîne en fonction d’une stratégie éditoriale établie en amont.

2. Le retour en force du dispositif « live » et la